Le retour des coups de force militaires en Afrique
Alors que leur nombre avait baissé depuis les années 1990, on assiste depuis 2020 à une recrudescence des coups d’État.
Le coup d’État militaire du 30 août 2023 au Gabon constitue le centième réussi dans l’Afrique postcoloniale. Au cours des 71 années qui se sont écoulées depuis le premier coup d’État en Égypte en juillet 1952, seulement 25 années se sont succédé sans coup d’État sur le continent. Sur les 55 États membres de l’Union africaine (UA), seuls 20 pays n’ont pas été touchés par ce fléau.
Le putsch gabonais représente également le neuvième changement anticonstitutionnel de gouvernement (CAG) en Afrique depuis 2020. Le continent n’a pas connu une telle recrudescence de coups d’État depuis les années 1970 et la première moitié des années 1980. Cette récente augmentation survient alors que leur nombre était en baisse depuis les années 1990.
Dans les années 1990, 15 coups d’État réussis avaient été dénombrés, puis huit entre 2001 et 2010, et six entre 2011 et 2020. Comment alors expliquer cette recrudescence des coups d’État militaires malgré l’existence de plusieurs instruments normatifs continentaux et régionaux ?
Les raisons d’une résurgence
Pour justifier leurs actions, les militaires à l’origine des récents coups d’État invoquent trois erreurs « impardonnables » commises par les dirigeants renversés. Il s’agit de la mauvaise gouvernance et de l’autoritarisme, de la corruption endémique et du népotisme généralisé, le tout conjugué à une mauvaise situation économique et une détérioration de la sécurité. En effet, au moins l’un de ces éléments est souvent présent dans les situations de coup d’État.
Les récents coups évoquent des problèmes de gouvernance, mais les motivations personnelles prévalent
Toutefois, l’expérience montre que ces préoccupations sont rarement les véritables ou les seules inquiétudes des responsables des coups d’État. Et s’il peut s’agir d’une réelle préoccupation initiale, ils changent souvent rapidement de priorité, leurs motivations cachées étant de nature personnelle ou liées aux intérêts d’une partie de ceux qui détiennent le pouvoir militaire.
Les ingérences étrangères sur fond d’intérêts et/ou de rivalités géopolitiques sont également à l’origine d’un grand nombre de coups d’État, en particulier à l’époque de la guerre froide. Bien qu’il soit difficile d’affirmer qu’elles sont en cause dans la vague actuelle de coups d’État, la possibilité que la géopolitique internationale soit un élément du calcul des auteurs de coups d’État dans certains pays ne peut pas être écartée.
Coups d’État réussis en Afrique par décennie et par région : 1952-2023 Source : © Issaka K Souaré, 2023 (cliquez sur le tableau pour voir l'image en taille réelle)
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Indépendamment de la sincérité ou de l’absence de sincérité des putschistes, la présence de « conditions favorables » à la réalisation d’un coup d’État doit être considérée comme un signe alarmant, justifiant la mise en œuvre de mesures préventives appropriées. Tout en condamnant les coups d’État militaires, la Déclaration de Lomé et la Charte africaine de la démocratie, de la gouvernance et des élections (les deux principaux cadres continentaux de lutte contre les coups d’État) reconnaissent plusieurs éléments susceptibles de réduire ces risques.
Il s’agit notamment du respect rigoureux des « principes de bonne gouvernance, de transparence et de respect des droits humains » et du « renforcement des institutions démocratiques ». Selon les deux cadres, ces éléments réduiraient considérablement le risque de CAG — y compris les coups d’État militaires — sur le continent.
Pourquoi un tel changement ?
Si ceci peut expliquer l’occurrence des coups d’État, comment expliquer l’évolution des tendances ? La tendance à la baisse observée entre 1990 et 2020 peut s’expliquer par plusieurs facteurs interdépendants. L’un d’eux est la (re)mise en place de systèmes démocratiques multipartites après des décennies de domination militaire et de généralisation des régimes à parti unique.
Les militaires ont donc été largement discrédités en tant que gouvernants. Un autre facteur connexe est le départ de nombreux dirigeants historiques, à la suite d’élections « fondatrices » au début des années 1990 et 2000, lesquelles ont fait naître l’espoir d’un véritable renouveau démocratique dans de nombreux pays africains.
Réduire les coups d’État passe par une bonne gouvernance, le respect des mandats et des institutions fortes
Bien que certains s’interrogent encore sur sa pertinence, un troisième facteur tiendrait aux dispositions relatives à la limitation du nombre de mandats présidentiels incluse dans la plupart des nouvelles constitutions africaines. Ces dispositions ont commencé à porter leurs fruits dans les années 2000. À ce jour, 33 chefs d’État africains ont quitté le pouvoir après avoir effectué le nombre maximum de mandats prévu dans leur constitution. Les deux derniers en date sont Muhammadu Buhari (Nigeria) (2015-2023) et Uhuru Kenyatta (Kenya) (2013-2022).
Les défaites électorales des dirigeants en poste et la perspective d’une alternance du pouvoir après un nombre maximal de mandats consécutifs allant de quatre à sept ans ont sans nul doute suscité l’espoir d’un changement. Elles ont peut-être fait disparaître l’un des principaux prétextes aux coups d’État. Plus important encore, des normes et des mécanismes de lutte contre les coups d’État ont été adoptés au cours de la même période et ont été appliqués de manière cohérente. Leurs lacunes ont été corrigées au fil des ans.
Une tendance inverse a cependant commencé à se dessiner au cours de la même période. Elle a coïncidé avec l’abandon par plusieurs dirigeants africains des limites constitutionnelles du nombre de mandats. Cette pratique a pris deux formes et s’est étendue sur deux générations. La première a commencé au Burkina Faso en janvier 1997. Un an avant la fin de son premier septennat, le président de l’époque, Blaise Compaoré, a modifié la disposition de la Constitution de 1991 relative à la limitation du nombre de mandats.
La Guinée a suivi en 2001, la Tunisie et le Togo en 2002, le Gabon en 2003, le Tchad en 2004, l’Ouganda en 2005, le Cameroun et l’Algérie en 2008, le Niger en 2009 et Djibouti en 2010. Tous les pays, à l’exception du Cameroun, du Gabon et de Djibouti, ont procédé à ce changement.
La deuxième a consisté en une modification générale de la constitution ou en l’adoption d’une toute nouvelle constitution assortie de la proclamation de nouvelles règles politiques. Aucune modification de la limitation du nombre de mandats n’était toutefois effectuée.
Les États membres devraient aborder leurs problèmes sécuritaires de manière globale
Mais puisqu’un nouvel ordre politique était créé, le compteur électoral était remis à zéro sur la base du principe juridique de base de la non-rétroactivité automatique des lois. Ce principe a été utilisé pour les réformes constitutionnelles dans des pays tels que le Rwanda et la République du Congo en 2015, la Côte d’Ivoire en 2016, l’Égypte en 2019 et la Guinée en 2020.
Renverser la tendance
Comment peut-on enrayer la tendance actuelle pour restaurer et consolider l’état de droit ? Sans être naïf quant aux motivations déclarées des auteurs de coups d’État, il importe de prendre des mesures préventives concrètes afin d’empêcher les dirigeants en place de manipuler leur constitution et pour garantir la tenue d’élections crédibles. Ces actions sont susceptibles de restaurer la confiance des citoyens africains désabusés envers les systèmes politiques de leurs pays.
L’alternance régulière du pouvoir peut non seulement profiter aux pays en leur apportant de nouvelles idées et des équipes dirigeantes renouvelées et plus énergiques, mais aussi révéler aux citoyens le dynamisme de leurs systèmes de gouvernance démocratique. L’abolition des dispositions relatives à la limitation du nombre de mandats ou leur contournement par des réformes constitutionnelles controversées se sont avérés des arguments de poids pour de nombreux citoyens africains qui accusaient les institutions africaines de pratiquer la politique du « deux poids, deux mesures », considérant qu’il s’agit là de « coups d’État constitutionnels ».
Il est vrai qu’on ne peut empêcher les pays de « réformer » leurs textes juridiques, y compris leur constitution. Toutefois, tout en respectant cette prérogative légitime d’États souverains, l’expérience montre que le fait de toucher à la limitation du nombre de mandats dans le cadre de ces réformes répond principalement à un désir de se maintenir au pouvoir. Il est rare que de telles réformes soient motivées par un véritable souci d’adaptation aux nouvelles réalités sociales. Il est donc essentiel, dans l’immédiat et à moyen terme, d’empêcher l’utilisation abusive de cet aspect crucial des constitutions et des mécanismes d’alternance pacifique du pouvoir.
L’UA et les communautés économiques régionales devraient redoubler d’efforts pour aider les États membres à relever les défis sécuritaires auxquels ils sont confrontés, de manière globale et non en se concentrant uniquement sur des approches militaires cinétiques. Ces efforts devraient inclure le développement socio-économique et la promotion de la cohésion sociale et de la coexistence intercommunautaire pacifique, sans négliger le dialogue avec les groupes dissidents pour comprendre leurs griefs légitimes.
Les canaux de communication doivent également rester ouverts avec les autorités en place lors de transitions militaires, malgré leur suspension des institutions régionales et continentales. Les groupes de contact internationaux mis en place entre 2008 et 2015 ont rempli cette fonction. La Facilité africaine d’appui aux transitions inclusives, une nouvelle initiative conjointe de l’UA et du Programme des Nations unies pour le développement, pourrait servir de plateforme de communication crédible, en aidant les autorités coopérantes à rétablir l’ordre constitutionnel. Cet appui devrait se fonder sur une feuille de route claire et crédible pour la transition, convenue avec l’UA et/ou la communauté économique régionale concernée.