Le Nouvel agenda pour la paix : quelles opportunités pour l'Afrique ?
Le Nouvel agenda pour la paix est prometteur, mais son succès dépendra de sa pertinence et du degré d'engagement des principales parties prenantes.
La recrudescence des conflits dans le monde est flagrante. Les données de 2023 du Global Peace Index (GPI) montrent que le niveau moyen de paix dans le monde a baissé de 0,42 %. Il s'agit-là de la 13e baisse au cours des quinze dernières années, d'après les estimations du GPI. En 2022, si le niveau de paix s'est amélioré dans 84 pays, il s'est considérablement détérioré dans 79 autres.
Les crises interconnectées constituent désormais une source constante d'appels à la résolution des problèmes de paix et de sécurité, problèmes qui ne cessent par ailleurs de s'aggraver. La guerre entre la Russie et l'Ukraine, la menace des groupes extrémistes violents au Sahel, l'instabilité dans la Corne de l'Afrique et, plus récemment, le conflit entre Israël et le Hamas à Gaza sont autant d'exemples de leur imbrication.
La note d'orientation du secrétaire général des Nations unies, António Guterres, sur le Nouvel agenda pour la paix (NAP) constitue une piste prometteuse pour la gestion des risques et des menaces à l'échelle mondiale. Elle attire l'attention sur certains changements majeurs dans le système multilatéral et appelle à des mesures correctives pour contenir les effets cumulés des crises multiples. Compte tenu de la contribution essentielle de l'Afrique à la paix et à la sécurité à travers le monde et de l'ampleur des menaces qui pèsent sur le continent, le NAP sera-t-il en mesure de relever les nombreux défis auxquels il est confronté ? Les décideurs politiques africains se montreront-ils à la hauteur des objectifs du NAP ?
Le contexte du Nouvel agenda pour la paix
Le NAP est l'un des 11 documents d'orientation rédigés pour encadrer les débats du Sommet pour l'avenir prévu en septembre 2024. Lors de ce sommet, les États membres devraient négocier un nouveau pacte mondial destiné à rendre les efforts multilatéraux plus efficaces et plus collectifs afin de mieux relever les défis actuels et futurs. Qualifiant le sommet d'« occasion unique de redynamiser notre capacité à agir au niveau mondial », António Guterres a exhorté les États membres à « renouveler leur engagement à l'égard des principes universels fondamentaux et à continuer à développer les cadres du multilatéralisme afin qu'ils soient adaptés au futur ».
Les décideurs africains se montreront-ils à la hauteur des objectifs du NAP ?
Le NAP met l'accent sur les menaces croissantes qui pèsent sur la paix et la sécurité du fait de risques et de tendances inquiétantes pour lesquels les formes traditionnelles de prévention, de gestion et de résolution ne sont pas adaptées. Il souligne la nécessité de renforcer la coopération multilatérale internationale en matière de sécurité afin de faire de la paix un bien public mondial.
Il avance ensuite 12 propositions dans cinq domaines prioritaires pour lutter contre l'insécurité à l'échelle mondiale, qui sont également pertinentes pour le continent africain. Elles incluent notamment une action mondiale préventive axée sur les risques stratégiques et les divisions géopolitiques, la prévention des conflits et de la violence et la pérennisation de la paix, ainsi que le renforcement des opérations de paix et imposition de la paix. En outre, il est nécessaire d'adopter de nouvelles approches en matière de paix et d'émergence de conflits potentiels, et de renforcer la gouvernance internationale.
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Quelles conséquences pour l'Afrique ?
Le NAP aura des conséquences évidentes pour l'Afrique, un continent qui porte de manière disproportionnée le fardeau de l'insécurité mondiale. Premièrement, le document reconnaît les particularités de l'insécurité en Afrique et mentionne explicitement l'Afrique et l'Union africaine (UA).
Cela est d'autant plus justifié que les conflits africains continuent de dominer l'ordre du jour du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) et que l'ONU consacre la majeure partie de ses ressources humaines et financières au maintien de la paix et à la gestion des crises sur le continent.
Deuxièmement, les responsables africains reconnaissent qu'il est nécessaire de repenser la gestion de l'insécurité. Les graves problèmes de sécurité de l'Afrique requièrent une nouvelle approche qui devrait remettre en question l'architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) et sa corrélation avec les nouveaux facteurs de déstabilisation. Cette démarche s'inscrit dans la logique du NAP qui aspire à un changement de stratégie par la création d'une « nouvelle donne », symbolisant les changements fondamentaux nécessaires à une action multilatérale plus efficace en faveur de la paix.
Troisièmement, bien que le NAP soit un document à portée mondiale, il propose également des recommandations visant à renforcer les efforts de paix et de sécurité de l'UA et de ses homologues sous-régionaux. Le NAP reconnaît le rôle unique des partenaires qui entendent mener « des opérations de nouvelle génération dans le domaine de l'imposition de la paix et de la lutte contre le terrorisme ».
Repenser les paradigmes et redéfinir les approches
Le NAP constitue d’abord une évaluation de la sécurité mondiale suivie d’une série de propositions d'actions correctives. Il souligne que le mécanisme de sécurité collective axé sur les Nations unies ne parvient pas à garantir la paix en tant que bien public mondial. Le NAP attribue les failles de la sécurité collective au déclin de trois principes majeurs : la confiance, la solidarité et l'universalité.
Les défaillances de la sécurité collective résultent du déclin de la confiance, de la solidarité et de l'universalité
Le NAP représente une formidable opportunité de revitaliser l'APSA. En juillet 2023, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a demandé à la Commission de l'UA de procéder à une révision de l'APSA. L'objectif était, entre autres, de l'adapter aux défis contemporains de l'Afrique en matière de sécurité et, pour l'UA, de mettre au point une stratégie visant à promouvoir les réponses des communautés aux conflits sur le continent. Ce dernier point est conforme à la recommandation du NAP selon laquelle les États membres et les organisations régionales devraient élaborer des stratégies de prévention interrégionales.
Le NAP propose en outre de renforcer la diplomatie préventive, en cette ère de divisions, et recommande que la diplomatie mondiale soit à la fois étayée et renforcée par des cadres régionaux qui favorisent la coopération entre les États membres. Ces recommandations visent à à créer une dynamique autour d'un processus intra-africain engageant les États africains dans un programme de prévention des conflits à l'échelle du continent.
Pour ce faire, il faut prendre des mesures politiques audacieuses et transformer les institutions. Au-delà d'un engagement renouvelé en faveur de la prévention des conflits, une véritable volonté politique est nécessaire pour utiliser les structures d'alerte précoce et de réaction rapide de l'UA, telles que le groupe des sages.
Le NAP reconnaît également le rôle essentiel des organisations régionales dans l'imposition de la paix. En appelant à prendre en considération les demandes de soutien des Nations unies en faveur des déploiements de l'UA et des organisations sous-régionales, il ouvre la voie à l'allocation de ressources adéquates aux efforts de paix. Ces propositions tiennent compte du rôle unique des partenaires africains dans le cadre de la nouvelle génération d'opérations d'imposition de la paix et de lutte contre le terrorisme pour faire face à la prolifération des groupes armés non étatiques et à d'autres menaces interdépendantes.
Les enseignements à tirer pour le CPS
Le NAP, de même que le sommet à venir, ne constituent certes pas des processus strictement contraignants dotés d'un mécanisme de mise en œuvre. Il est ainsi reproché au premier de ne pas être suffisamment innovant et de ne pas proposer de mesures et de mécanismes d'application clairs et concrets pour atteindre ses objectifs.
L'UA doit être le fer de lance d'un processus régional pour stimuler la réflexion et contribuer à la réussite du sommet
Pourtant, les deux initiatives offrent une occasion unique de lancer le débat sur les mécanismes de sécurité collective au niveau mondial et régional. L'UA doit être le fer de lance d'un processus régional à même de stimuler la réflexion de l'Afrique afin de contribuer à la réussite du sommet. En amont de l'événement/du sommet, le CPS pourrait organiser une session consacrée à la position de l'Afrique dans les négociations, en invitant au préalable des experts à soumettre des rapports officiels, mais également des documents officieux, afin de susciter des discussions.
En outre, avant d'initier un dialogue avec les États membres des Nations unies lors du sommet, le CPS devrait assurer le suivi de la mise en œuvre de sa décision relative au bilan, à l'évaluation et à l'examen de l'APSA, autant d'étapes essentielles pour calibrer les besoins en matière de lutte contre l'insécurité en Afrique.
L'examen de l'APSA devrait inclure l'évaluation de l'efficacité des approches opérationnelles et des méthodes de travail en matière de prévention des conflits — notamment en ce qui concerne l'alerte précoce — et de ses capacités de médiation. Il est également important de consolider les compétences institutionnelles et d'améliorer la collaboration au sein et entre les différentes organisations de prévention des conflits. La nouvelle donne recherchée par le NAP devrait être mise à profit pour améliorer l'adhésion des États membres et son intégration dans les législations nationales.
Les discussions sur l'APSA devraient également préciser le fonctionnement des mécanismes de déploiement des opérations de soutien de la paix et des interventions au titre des articles 4(h) et 4(j) de l'Acte constitutif de l'UA. Un bon point de départ consisterait à revoir le processus de prise de décision concernant le mandat de la Force africaine en attente (FAA) en déterminant les raisons pour lesquelles les États membres refusent d'y avoir recours pour faire face à l'insécurité. Compte tenu de l'utilisation croissante de mécanismes de sécurité ad hoc, l'UA doit également étudier et rationaliser les rôles de ces mécanismes dans le cadre de la FAA.