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Le nouveau panel de haut niveau pourra-t-il sortir le Soudan de la tourmente ?

La création d’un nouveau panel de haut niveau pourrait intensifier les efforts diplomatiques pour mettre fin au conflit.

Le conflit entre les Forces armées soudanaises (SAF) dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (RSF) du général Mohamed Hamdan « Hemedti » Dagalo est entré dans son onzième mois. Compte tenu du nombre de morts, de l’impact humanitaire et des conséquences régionales, cette lutte pour le contrôle du pays constitue sans doute le pire conflit interne du continent.

Bien que les pays limitrophes accueillent les personnes déplacées, les perspectives humanitaires restent désastreuses. Le conflit a fait plus de 12 000 morts et a provoqué la plus grande vague de déplacements de l’histoire du pays. Au moins 10 millions de personnes ont fui leur foyer et environ 25 millions, soit près de la moitié de la population soudanaise, ont besoin d’une aide et d’une protection humanitaires.

Les combats ont repris dans certaines régions connues pour leur précarité, en particulier le Darfour et le Kordofan. La situation met en péril la stabilité de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique centrale, deux régions au demeurant déjà très fragiles.

L’action diplomatique est désorganisée et les efforts de paix sont en grande partie non coordonnés, bureaucratiques, élitistes et axés sur les belligérants. L’exclusion des représentants de la société civile complique les perspectives d’une transition politique sans exclusive. Le rôle stratégique des États voisins a fait l’objet d’un examen approfondi après l’accueil chaleureux reçu par Hemedti en décembre 2023 et janvier 2024 au Rwanda, en Afrique du Sud, en Ouganda, au Kenya, à Djibouti et en Éthiopie.

La capacité de l’Union africaine (UA) à mettre fin au conflit, conformément à son mandat de promotion de la paix et de la stabilité à l’échelle du continent, suscite des interrogations. Le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki, a nommé un groupe ad hoc de haut niveau sur le Soudan, composé de Mohamed Ibn Chambas, Speciosa Wandira-Kazibwe et Francisco Madeira, chargé de mener des efforts de stabilisation.

Le groupe doit travailler avec tous les protagonistes : la société civile, les militaires et les acteurs régionaux et internationaux comme l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), l’Organisation des Nations unies (ONU) et la Ligue des États arabes. Son objectif est de « garantir un processus inclusif en vue du rétablissement rapide de la paix, de l’ordre constitutionnel et de la stabilité au Soudan ».

Les efforts de paix ne sont pas coordonnés et se concentrent essentiellement sur les belligérants

Toutefois, compte tenu de l’approche de l’UA et des récents évènements, nombreux sont ceux qui doutent que le groupe d’experts puisse contribuer à mettre fin à la guerre dans un contexte aussi complexe. Après tout, il est vrai que d’autres initiatives de l’UA et des partenaires de développement du Soudan se sont soldées par des échecs.

L’UA à peine visible

La création de ce groupe est cependant cruciale. Les dynamiques internes soudanaises et le conflit lui-même se sont aggravés et complexifiés dans un contexte de double crise de l’UA sur sa légitimité et son approche en matière de paix et de sécurité. La feuille de route pour la résolution du conflit au Soudan et les efforts qui y sont associés n’ont pas modifié de manière significative le cours de la guerre. Au contraire, ils ont renforcé les inquiétudes quant à l’engagement et à la capacité de l’UA à promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité, non seulement au Soudan, mais aussi sur l’ensemble du continent.

Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a tenu de nombreuses réunions sur la situation au Soudan. Le Conseil a condamné à plusieurs reprises les violences, a appelé à un cessez-le-feu immédiat et a encouragé la tenue d’un dialogue sans exclusive et la recherche d’une solution pacifique. Il a également exhorté le président de la Commission de l’UA à maintenir le contact avec les parties belligérantes pour y parvenir.

De son côté, la Commission de l’UA a été le fer de lance de l’élaboration d’une feuille de route qui a été adoptée par le CPS lors de la 156e réunion des chefs d’État et de gouvernement. Elle a également mis en place un mécanisme élargi sur le Soudan et un groupe central chargé d’harmoniser les efforts déployés par tous les acteurs pour endiguer le conflit.

Si ces actions témoignent de la constance de l’engagement stratégique de l’UA à l’égard du Soudan, force est de constater qu’elles n’ont pour l’heure débouché ni sur un dialogue concret avec les partenaires soudanais ni sur un affaiblissement des combats. Malgré ce processus et la contribution limitée de l’UA, le conflit s’est amplifié au point que l’avenir du Soudan apparaît de plus en plus précaire.

Un coup d’épée dans l’eau ?

Compte tenu de ce contexte difficile, la création du panel de haut niveau, requise lors des 1 156e et 1 185e réunions du CPS, donne à l’UA l’occasion de renouer le dialogue avec les parties prenantes soudanaises afin d’assurer une participation continentale plus solide et d’endiguer la détérioration de la sécurité.

Le panel a-t-il les capacités politiques requises pour amener les parties belligérantes à négocier ?

Le panel, bien que chargé d’une mission extrêmement délicate, dispose de plusieurs atouts. Avec des membres provenant de trois régions africaines, il maximise la diversité régionale et répond au sentiment d’un manque de neutralité parmi les acteurs de la Corne de l’Afrique. Les Soudanais seront ainsi peut-être plus enclins à réserver un accueil favorable au panel et à se montrer optimistes quant aux résultats attendus. Deuxièmement, la très bonne connaissance qu’a le président du panel du dossier soudanais (il a été chef de la mission UA-ONU au Darfour) lui permet de mieux comprendre les complexités de la crise.

Toutefois, diplomates et observateurs s’interrogent sur la capacité politique du panel à convaincre les généraux belligérants de s’asseoir à la table des négociations. Certains analystes ont déclaré au Rapport sur le CPS qu’il s’agissait simplement d’une énième tentative de l’UA, destinée à donner l’impression d’agir. Un diplomate basé à Addis a estimé que l’influence et le pouvoir de convocation du panel auraient pu être renforcés en y intégrant un chef d’État en exercice ou à la retraite.

D’autres s’attendent à ce que de nouveaux évènements inquiétants viennent compliquer la mission du panel. Les luttes d’influence entre les généraux et leurs factions assombrissent les perspectives de paix. Le retrait du Soudan de l’IGAD, la décision des SAF de quitter les pourparlers et d’organiser de nouvelles offensives contre les RSF, ainsi que les récentes avancées militaires des RSF à Wad Madani, à Khartoum et dans l’ouest du Darfour pourraient également contrecarrer ses travaux. L’accueil réservé à Hemedti par certains pays africains pourrait inciter Burhan à douter des efforts de l’Afrique, y compris ceux du panel.

Le panel a besoin d’un soutien financier et politique important

La déclaration d’Addis-Abeba, signée en janvier entre la Coordination des forces démocratiques civiles (« Taqaddum ») de l’ancien premier ministre Hamdok et les RSF, vient encore assombrir les perspectives de voir le groupe travailler avec les parties belligérantes. Bien que ladite déclaration propose une feuille de route pour la paix, la mise à l’écart des SAF pourrait facilement être interprétée comme une légitimation de facto des RSF, dans un contexte de vives tensions entre les deux factions.

Obtenir des résultats

Le panel de haut niveau constitue une initiative cruciale de l’UA pour trouver une solution politique à la guerre au Soudan. Celui-ci a toutefois besoin d’un soutien financier et politique de la Commission de l’UA, des partenaires de l’UA et de l’ensemble des parties prenantes. Ce n’est qu’ainsi qu’il peut espérer parvenir à un consensus régional, indispensable pour inciter les acteurs régionaux et internationaux à faire asseoir les généraux et leurs factions à la table des négociations en vue d’un cessez-le-feu global.

Sa création tombe à point nommé compte tenu des réticences de Burhan à l’égard de l’IGAD et de son refus d’engager des pourparlers avec Hemedti. En collaboration avec d’autres acteurs, le panel devrait exploiter toute ouverture à un éventuel dialogue en renégociant discrètement les conditions d’une résolution du conflit avec les deux généraux. Il devrait s’efforcer d’impliquer des parties prenantes de haut niveau et non s’appuyer sur des mandataires et des représentants. Il pourrait également tirer parti du pouvoir de convocation de l’UA pour inclure plus largement d’autres parties prenantes soudanaises afin de faire pression sur les fauteurs de troubles et les soutiens financiers des factions.

L’UA, par l’intermédiaire du panel et de l’IGAD, devrait encourager la participation de la société civile aux pourparlers de Djedda et concentrer ses efforts non seulement sur les négociations de cessez-le-feu et la fourniture d’aide humanitaire, mais également sur les discussions politiques. L’inclusion d’organisations politiques et de la société civile pourrait aboutir à une structure de gouvernement de transition et à un plan de mise en œuvre qui tiennent compte des aspirations du peuple soudanais, afin d’éviter de répéter les erreurs du passé.

La déclaration d’Addis-Abeba pourrait réviser l’accord de paix de Juba, en tenant compte des intérêts des belligérants et des organisations politiques et de la société civile. Les pourparlers doivent permettre d’aboutir à l’avènement d’un Soudan stable et démocratique, reflet des aspirations de ses citoyens et auquel la plupart d’entre eux ne sont pas encore prêts à renoncer.

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