Le Conseil doit prêter attention aux troubles qui secouent la région d’Amhara

Le conflit en cours dans la région d'Amhara menace la stabilité au-delà des frontières éthiopiennes en l’absence de mesures décisives.

Depuis avril 2023, la région éthiopienne de l’Amhara est l’épicentre de violences politiques et d’affrontements armés entre les milices ethniques connues sous le nom de Fano et le gouvernement fédéral. Les appels des acteurs nationaux et internationaux pour la cessation des hostilités sont jusqu’ici restés sans effet. Dans son discours en octobre 2023 sur l’état de la fédération, la présidente éthiopienne Sahle-Work Zewde a réaffirmé la nécessité d’un dialogue entre les forces politiques sur les grandes questions qui divisent l’élite politique et la société.

De même, en août 2023, le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, a appelé les deux parties à « cesser immédiatement les combats », à « assurer la protection des civils » et à « engager le dialogue pour parvenir à une solution pacifique ». Il a également réitéré le soutien de l’UA à une « initiative inter-éthiopienne » visant à instaurer la paix et la stabilité. La région reste néanmoins en proie à des troubles.

Au centre de la crise

La région d’Amhara était relativement stable avant la crise du Tigré. Cependant, ses forces armées et ses milices ethniques se sont alliées aux forces du gouvernement fédéral dans le conflit contre les forces tigréennes qui a duré deux ans. Avant la guerre, le gouvernement régional a placé sous sa juridiction certaines zones contestées tels que Wolkayt, Humera, Tselemt et Raya.

Le conflit a pris fin avec la signature, en novembre 2022, d’un accord de cessation des hostilités sous la médiation de l’UA. Par la suite, le gouvernement fédéral a intégré les forces spéciales régionales aux Forces de défense nationale éthiopiennes (FDNE), à la police fédérale et à la police régionale. Les organisations politiques amhara se sont opposées avec véhémence à cette décision, qui a entraîné la défection d’une partie des membres des forces spéciales régionales au profit de milices ethniques Fano.

Depuis des décennies, les élites politiques de l’Amhara et du Tigré entretiennent des relations de rivalité et de méfiance

Certains Amhara affirment que ce plan d’intégration était inopportun, le gouvernement éthiopien et l’UA n’ayant pas réussi à désarmer le Front de libération du peuple du Tigré — une disposition de l’accord de cessation des hostilités. En vertu de l’article 11 de cet accord, l’UA a mis en place en décembre 2022 une mission de contrôle, de vérification et de conformité qui a été déployée à Mekele en janvier 2023.

En mai 2023, la mission a déclaré que 85 % à 90 % du désarmement des forces tigréennes était réalisé. Le mois suivant, la Commission de l’UA a prolongé de six mois le mandat de la mission. Cependant, les forces amhara ne croient pas que leurs homologues tigréens aient été correctement désarmés. Cela tient en partie à la rivalité et à la méfiance qui existent depuis des décennies entre les élites politiques des deux régions. Cette relation déjà difficile s’est encore détériorée avec les traumatismes de la guerre.

Les forces amhara sont également préoccupées par le statut des territoires contestés de Wolkayt et Raya. Elles considèrent donc la recommandation du gouvernement fédéral de résoudre ce litige par le biais d’un référendum comme l’amorce d’une manœuvre visant à les forcer à quitter ces territoires. Elles affirment que ce dilemme sécuritaire trouve son origine dans des griefs antérieurs. Elles reprochent au gouvernement fédéral de ne pas avoir protégé comme il se doit les Amhara contre les attaques à travers tout le pays, en particulier celles de l’Armée de libération oromo dans la région d’Oromia.

Si la résistance face au projet fédéral de réintégration est la cause immédiate des tensions entre le gouvernement éthiopien et les forces amhara, le conflit s’est également formé sous l’effet de divers facteurs historiques et structurels. De même, le soupçon largement répandu parmi les élites amhara que l’accord de cessation des hostilités aurait entraîné un retournement des alliances entre les forces tigréennes et le gouvernement fédéral à leur détriment est le résultat d’une rivalité et d’une méfiance historiques et profondément enracinées.

Une approche sécuritaire

En réponse à la crise sécuritaire et politique, le gouvernement semble avoir opté pour une approche centrée sur la sécurité. Les FDNE ont reçu l’ordre de désarmer les membres des forces spéciales amhara qui n’avaient pas tenu compte de l’appel au désarmement du gouvernement. Bien que la mission des FDNE n’ait pas rencontré de réelle résistance armée, laissant croire aux autorités que la réintégration était un succès, nombre de transfuges amhara se sont ralliés aux milices Fano et ont lancé des attaques coordonnées contre des dirigeants locaux et régionaux.

En réponse à la crise, le gouvernement a lancé une approche centrée sur la sécurité

La tactique de guérilla initialement adoptée par les milices s’est par la suite muée en une série d’attaques coordonnées contre les structures administratives locales, au cours desquelles le groupe a commencé à prendre le contrôle de certaines villes. Finalement, les milices Fano et les autres milices ethniques ont commencé à menacer de prendre le contrôle de la capitale régionale, Bahir Dar, obligeant le gouvernement régional à demander l’intervention du gouvernement fédéral.

Le Conseil des ministres a déclaré l’état d’urgence dans la région de l’Amhara le 3 août 2023, le jour où le gouvernement régional a transmis sa demande. L’état d’urgence restreint fondamentalement les droits civils et politiques. Cette situation est aggravée par la perturbation des moyens de subsistance en raison de la sécurisation des principaux axes de déplacement.

Malgré l’état d’urgence et le déploiement des FDNE pour imposer la paix et la sécurité et restaurer la stabilité, la situation reste fragile dans la région, où les affrontements armés entre les FDNE et les milices Fano et ethniques se poursuivent sans relâche. À ce jour, le gouvernement fédéral maintient son approche sécuritaire dans le but de juguler l’instabilité.

Pourquoi le CPS doit-il intervenir ?

Si l’instabilité dans la région de l’Amhara persiste, elle pourrait avoir des répercussions au-delà de l’Éthiopie. Au cours de la guerre qui a opposé les forces amhara et tigréennes entre 2020 et 2022, l’implication de l’Érythrée a conféré une dimension régionale au conflit. Plus les troubles se prolongeront dans la région de l’Amhara, plus il y a de chances que des acteurs érythréens y prennent part. Cela pourrait s’expliquer notamment par la désapprobation mutuelle des deux parties à l’égard de l’accord de cessation des hostilités.

L’instabilité et la guerre entre les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide au Soudan pourraient également peser sur l’intensité des affrontements armés en Éthiopie.

Le conflit risquant de se propager, l’implication rapide des protagonistes continentaux est recommandée

Le litige concernant la souveraineté du territoire d’Al-Fashaga à la frontière entre l’Éthiopie et le Soudan, l’afflux croissant de réfugiés et l’augmentation du trafic d’armes dans la région constituent autant de facteurs susceptibles d’exacerber le conflit.

La situation dans la région de l’Amhara pourrait également avoir une incidence sur les opérations menées par l’UA, la communauté internationale et la Somalie contre al-Shabaab. En effet, si l’attention des FDNE est accaparée par les forces amhara et qu’elles réduisent leur présence à la frontière entre l’Éthiopie et la Somalie comme en 2020, les efforts déployés par la Somalie pour lutter contre al Shabaab devront être prolongés. Les islamistes pourraient profiter du vide sécuritaire pour tenter de s’infiltrer en Éthiopie à la recherche d’un lieu sûr où se réfugier. Ils pourraient également étendre leur influence en Éthiopie et ainsi mettre en péril la stabilité d’un autre État membre de la Corne de l’Afrique.

Comment le CPS pourrait-il se rendre utile ?

Le CPS devrait voir dans la crise amhara bien plus qu’un simple enjeu local de sécurité dans l’un de ses États membres. Sur la base de son credo « Trouver des solutions africaines aux problèmes africains », l’organe devrait solliciter l’implication rapide des protagonistes continentaux, le conflit étant susceptible d’avoir des répercussions au niveau régional.

Le gouvernement fédéral et le gouvernement régional d’Amhara ont récemment fait part de leur volonté de dialoguer. Il s’agit-là d’une occasion pour la Commission de l’UA de prendre contact — à la demande du CPS — avec les parties au conflit en vue de mettre en œuvre un mécanisme de résolution des conflits dans la région. Cette démarche pourrait être entreprise par un envoyé spécial, sous la supervision de Mahamat.

Le Groupe des sages pourrait également susciter une certaine volonté politique de la part des deux parties en faveur d’un règlement négocié des différends. Une telle approche effectuée en temps utile permettrait d’éviter une nouvelle crise majeure et déstabilisante en Éthiopie.

Image : © Eduardo Soteras/AFP

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