La réunion CPS-COPS révèle les failles du partenariat UA-UE
La rencontre entre les décideurs africains et européens a été marquée à la fois par des convergences et des divergences.
Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) et le Comité politique et de sécurité (COPS) de l’Union européenne (UE) ont tenu leur retraite informelle conjointe et leur réunion consultative les 2 et 3 mai 2023. Ces séances, qui ont eu lieu à Bruxelles un an après le dernier sommet UE-UA, constituaient respectivement la sixième retraite informelle et la quatorzième consultation entre les deux organes. Elles ont permis d’examiner les préoccupations des deux organisations et de renforcer leur coopération en matière de paix et de sécurité en Afrique.
Les rencontres de cette année se sont déroulées dans le contexte d’un système multilatéral mondial profondément fracturé. Elles ont été l’occasion d’une réflexion sur l’existence de positions communes sur la réforme du multilatéralisme mondial, l’architecture financière internationale et la crise énergétique mondiale, tout en permettant d’approfondir la coopération et de relever les défis.
Parmi les sujets abordés figuraient les opérations de soutien à la paix, les répercussions mondiales des événements géopolitiques, la sécurité frontalière et la vulnérabilité des pays du bassin du lac Tchad. Une attention particulière a été accordée aux transitions politiques et aux processus électoraux à venir dans le Sahel, ainsi qu’à la nécessité de coopérer pour s’attaquer aux facteurs sous-jacents qui alimentent les tensions récurrentes dans la région.
L’avancement des processus de Nairobi et de Luanda pour tenter de stabiliser la République démocratique du Congo et la région dans son ensemble, était également à l’ordre du jour. La Corne de l’Afrique a fait l’objet de discussions qui ont porté notamment sur la consolidation de la paix et la réconciliation en Éthiopie, la coopération en vue d’un retrait effectif de la mission transitoire de l’UA en Somalie et les crises politiques et humanitaires au Soudan.
Les réunions de cette année se sont déroulées dans le contexte d’un système multilatéral mondial profondément fracturé
S’il y a eu convergence sur certaines questions d’intérêt commun, des divergences sont également apparues sur des sujets tels que la crise ukrainienne. Pour la deuxième fois, les positions contradictoires des deux partenaires sur certaines questions ont empêché la publication d’un communiqué public et ont une fois de plus soumis la relation entre les deux organisations à rude épreuve.
Bien que les discussions de fond soient primordiales, l’absence de communiqué témoigne de la détérioration progressive du partenariat entre l’UA et l’UE. Néanmoins, plusieurs aspects de la rencontre entre le CPS et le COPS méritent d’être relevés afin d’identifier les moyens d’améliorer leurs relations.
Le choix de l’ordre du jour
Malgré les réunions et consultations préparatoires entre les représentants des deux organisations pour établir l’ordre du jour des séances de Bruxelles, certaines préoccupations pressantes de l’Afrique n’ont pas été prises en compte. Les problèmes de paix et de sécurité en Afrique du Nord (Tunisie et Libye) et en Afrique australe (Mozambique), par exemple, n’ont pas été abordés. Même s’il est difficile de traiter tous les sujets lors de ce type de réunions, le fait de ne pas mentionner certaines réalités cruciales à l’ordre du jour des décideurs politiques africains soulève des questions quant au niveau de consensus ou à la hiérarchisation mutuelle de ces questions entre les deux partenaires.
Les sources interrogées par le Rapport sur le CPS font état d’une difficulté supplémentaire dans l’articulation des sujets abordés. Certaines questions présentées n’auraient pas nécessairement été articulées de manière convaincante au cours des discussions comme, notamment, le financement des opérations de soutien de la paix. Cela met directement en évidence les disparités de capacités entre les partenaires, et soulève des doutes quant à la stratégie qui guide les préparatifs et la faculté des délégations africaines à dégager un consensus sur des questions essentielles avant les réunions avec les principaux partenaires.
Pour la deuxième fois, les divergences de positions entre l’UA et l’UE ont soumis leur relation à rude épreuve
Ceci est particulièrement important en cas d’absence flagrante de position commune à l’échelle du continent sur une question internationale épineuse. Le choix de l’ordre du jour nécessite la consolidation préalable des positions intrarégionales et l’élaboration d’une stratégie commune pour garantir au moins un succès minimal durant les efforts d’engagement ou de représentation.
Le défi de la recherche de consensus
Si certains diplomates affirment qu’il y a bien eu un consensus africain sur de nombreux sujets majeurs, notamment la crise russo-ukrainienne, d’autres soutiennent que les positions des États membres n’ont jamais été uniformes. L’Ukraine reste une préoccupation essentielle pour les partenaires européens de l’Afrique, mais ses répercussions se font sentir bien au-delà de l’Europe. En Afrique, le conflit a eu une incidence considérable sur les prix des denrées alimentaires et de l’énergie, avec des conséquences importantes sur la stabilité et la sécurité des États. Bien que ces problèmes aient été reconnus, la position du continent n’est pas claire, même si les partenaires européens continuent d’insister pour qu’elle le soit. Les dirigeants du continent évitent de « s’immiscer » dans les affaires de la Russie et de l’Ukraine, pour des raisons propres à chaque État.
La difficulté à définir une position continentale sans équivoque a souvent affecté la représentation africaine (les A3) au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) et entrave parfois la capacité de l’organe onusien à suivre les préconisations des A3 en ce qui a trait à la paix et à la sécurité en Afrique.
Le manque de convergence sur la crise ukrainienne constitue une nouvelle tension diplomatique entre l’UE et l’UA. En sont la cause, en partie, la position de non-alignement de l’UA, les divergences de position entre les États membres sur la crise et les différences d’approche entre les deux organisations.
Étant donné que le CPS de l’UA n’a pas pour mandat de débattre de questions qui dépassent le cadre de l’Afrique, les représentants africains n’ont pas pu se prononcer, bien que leurs homologues européens aient désespérément besoin que l’Afrique s’aligne sur leur position. Par ailleurs, en l’absence d’une orientation claire au plus haut niveau du processus décisionnel continental, il est difficile pour les ambassadeurs africains de s’exprimer sur le sujet.
Compte tenu des implications pour la paix et la sécurité de l’Afrique et des relations de cette dernière avec l’Europe, certains estiment que le continent doit clarifier sa position ou encourager des discussions franches entre les chefs d’État et de gouvernement. Les diplomates africains à Bruxelles, New York et Pékin pourraient ainsi jouer un rôle de premier plan et l’UA pourrait renforcer l’action de l’Afrique en jouant, tel qu’ambitionné, un rôle accru à l’échelle mondiale.
De son côté, l’UE a tout intérêt à renforcer sa collaboration avec l’UA par le biais de réunions informelles afin d’améliorer leur compréhension mutuelle des positions africaines et européennes. L’Europe devrait préciser et expliquer ce qu’elle attend de l’UA. Le partenariat axé sur les problèmes africains pourrait ainsi passer à une collaboration multilatérale mutuellement bénéfique.
Quelques appréhensions concernant le financement
Malgré les progrès et les discussions opportunes sur le financement des opérations de soutien à la paix en Afrique, certains diplomates africains appréhendent l’impact de la crise ukrainienne sur les perspectives de financement européen pour l’Afrique.
L’UA doit adopter une stratégie de mobilisation de ses partenaires, en particulier dans le domaine de la paix et de la sécurité
Préalablement à ces récentes inquiétudes, le Conseil de l’UE avait décidé, le 22 mars 2021, de remplacer la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique (FPA) par la Facilité européenne de soutien à la paix (FEP), un nouveau mécanisme mondial destiné à prévenir les conflits, à consolider la paix et à renforcer la sécurité internationale. Cette décision permet à l’UE d’outrepasser l’UA et de financer directement diverses opérations de soutien à la paix sur le continent, y compris celles qui n’ont pas été autorisées par le CPS. En adoptant cette approche, l’UE rompt avec la norme qui consiste à faire transiter ses financements par l’UA, ce qui pourrait certainement nuire aux relations entre l’UA et l’UE à long terme. L’absence initiale de consultation de l’UA dans ce processus a fait craindre que l’enveloppe allouée à l’Afrique ne soit compromise. La récente réunion constitue une occasion manquée pour les deux organes de trouver un terrain d’entente sur la transition du FPA vers le FEP, en particulier dans le contexte de la guerre en Ukraine.
Le COPS de l’UE est désormais l’organe de décision en ce qui concerne la FEP et la réunion a été l’occasion d’ouvrir le dialogue à ce sujet. En l’absence d’un document final, il est difficile de savoir si les questions de financement telles que la mise en place du FEP ont été abordées et si des discussions sur l’accès de l’Afrique aux contributions statutaires de l’ONU ont été menées à bien.
Bien que le financement soit une dimension importante du partenariat, les deux organisations devraient envisager de sortir une fois pour toutes de cette dépendance financière. Cela permettrait de dissiper l’impression que les ordres du jour sont dictés par les priorités politiques de l’UE et que les coupures budgétaires ou les réorientations financières seraient motivées par des considérations politiques. Cela donnerait par ailleurs aux États membres de l’UA l’élan nécessaire pour financer durablement leurs propres programmes et leurs propres opérations de paix tout en s’attaquant aux rapports de force asymétriques qui existent dans ce partenariat.
En quête de symétrie
La 15e réunion entre le CPS et le COPS n’ayant lieu que dans un an, le CPS de l’UA a le temps de réfléchir à l’amélioration de son partenariat avec l’UE et au renforcement de ses positions sur les nombreuses questions inscrites à son ordre du jour politique. Cette réflexion pourrait déboucher sur des résultats mutuellement bénéfiques pour les deux continents et garantir à l’Afrique des dividendes plus importants en matière de paix et de sécurité.
En amont de la récente réunion de Bruxelles, le CPS de l’UA a officiellement pris contact avec les ambassadeurs africains en poste à Bruxelles, ce qui constitue une avancée. Des échanges réguliers, tant formels qu’informels, avec ces diplomates permettront aux responsables basés à Addis-Abeba de tirer parti de la vaste expérience des diplomates africains établis en dehors de l’Éthiopie. Ils renforceront également la capacité du CPS de l’UA à s’orienter dans les nombreux méandres de l’action extérieure de l’UE.
Image : © Christophe Licoppe/European Union