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La résolution 2719 changera-t-elle la donne pour l’ATMIS ?

La candidature de la Somalie pour accéder aux fonds des Nations unies devrait être soigneusement examinée par le CPS.

En décembre 2023, le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) a adopté à l’unanimité la résolution 2719 visant à examiner au cas par cas les demandes d’accès du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) aux contributions statutaires des Nations unies pour les opérations de soutien à la paix (OSP).

La résolution stipule que les Nations unies contribueront à hauteur de 75 % et que les 25 % restants seront mobilisés conjointement par les deux organisations. Elle constitue une étape importante pour le partenariat ONU-UA en matière de paix et de sécurité en Afrique. Après des décennies de dialogues entre les deux organisations, la résolution a été adoptée sans toutefois préciser comment les Nations unies et l’Union africaine se coordonneront pour la mettre en œuvre.

Les délibérations concernant la mobilisation conjointe de fonds, le respect des droits humains et l’adhésion à d’autres cadres réglementaires et administratifs ont donné lieu à des discussions animées dans les couloirs de l’ONU à New York et de l’UA à Addis-Abeba, avant et après l’adoption de la résolution.

L’application de la résolution 2719

L’une des principales considérations porte sur le choix du premier bénéficiaire de la résolution 2719. Des questions ont également été soulevées quant à savoir si la résolution sera utilisée pour soutenir les OSP existantes ou si l’UA profitera de l’occasion pour créer une nouvelle mission.

La possibilité que l’UA sollicite des fonds de l’ONU pour soutenir la mission de transition de l’UA en Somalie (ATMIS) a été également soulevée. Bien qu’il soit prévu que l’ATMIS quitte le pays en décembre 2024, les stratégies proposées supposent la mise en place d’une mission post-ATMIS. Les sources interrogées par le Rapport sur le CPS indiquent qu’une nouvelle mission pourrait élargir le nombre et la portée des pays fournisseurs de contingents afin d’inclure des troupes des pays de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe.

Une nouvelle mission en Somalie doit être envisagée dans le contexte des crises actuelles

À cette fin, il serait utile de réfléchir à l’utilisation de la résolution 2719 pour soutenir la mise en place d’une mission post-ATMIS. S’agirait-il de l’utilisation la plus opportune de la résolution parmi la pléthore de conflits que connaît le continent ?

La demande de la Somalie

Le 26 mars 2024, la Somalie a fait part au CPS, lors de sa 1 205e séance, de sa proposition d’accord de sécurité post-ATMIS, à compter du 1er janvier 2025. Soucieuse de préserver ses acquis dans la lutte contre al-Shabaab, la Somalie a demandé un renforcement des capacités de ses forces de sécurité afin d’éviter tout vide sécuritaire après le retrait de l’ATMIS.

Le CPS s’est fait l’écho des préoccupations de la Somalie et a souligné la nécessité d’un financement adéquat, durable et prévisible par le biais de la résolution 2719 des Nations unies, et ce, malgré sa décision antérieure de clore l’ATMIS avec une troisième phase de réduction des effectifs de 4 000 soldats prévue pour le 30 juin. Ce retrait révèle quelques contradictions : le CPS et le gouvernement fédéral somalien soutiennent tous deux le retrait, alors que le déploiement d’une autre OSP est demandé. La réduction des effectifs en Somalie est-elle appelée à se poursuivre, afin de permettre le remplacement de l’ATMIS par une autre mission de l’UA ?

Certains membres du Conseil souhaitent que la Somalie soit le premier pays à bénéficier des fonds mis à disposition par les Nations unies dans le cadre de la résolution 2719.

Lors d’une récente mission de terrain, une délégation de haut niveau de la Commission de l’UA, dirigée par la division des OSP, a assuré aux Somaliens que le retrait de l’ATMIS ne laisserait pas de vide sécuritaire. Un représentant a déclaré qu’il était prévu d’établir une force post-ATMIS pour protéger les agglomérations stratégiques, les installations des Nations unies et les principales infrastructures gouvernementales. Une telle mission bénéficierait d’un fort soutien régional, en particulier de la part des pays qui fournissent actuellement des contingents militaires et policiers, dont certains sont membres du CPS.

L’ATMIS sera-t-elle remplacée par une autre mission dirigée par l’UA ?

Le gouvernement fédéral somalien est désireux de voir se concrétiser la mise en place d’une mission post-ATMIS par le biais de la résolution. En mai, son ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale a officiellement demandé au président du CSNU de mettre fin à la mission d’assistance des Nations unies en Somalie (UNSOM). Cette demande est perçue comme une tentative de jeter les bases d’une OSP post-ATMIS à la lumière des préoccupations exprimées par les États membres de l’ONU concernant le financement d’initiatives multiples en Somalie.

Les délibérations du CPS et du CSNU devraient déterminer si les fonds de l’ONU devraient financer l’UNSOM, qui renforce les capacités et les institutions de l’État, ou plutôt l’ATMIS, en comparant les coûts et les performances de ces deux initiatives. Il est également important d’examiner le calendrier et le séquençage de ces initiatives afin de préciser si la stabilisation doit précéder ou accompagner le renforcement des institutions de l’État. Pour ce faire, il convient de décider clairement si le contexte actuel de la Somalie nécessite des activités d’imposition de la paix ou de consolidation de la paix.

L’ATMIS 2

Le recours à la résolution 2719 pour le financement d’une mission post-ATMIS présente plusieurs avantages, mais aussi quelques inconvénients. On peut légitimement craindre que le retrait de l’ATMIS ne crée en Somalie un vide sécuritaire dont pourrait profiter al-Shabaab. Même si de nouvelles unités de l’armée sont formées, et malgré le transfert réussi de sept bases sécurisées aux forces somaliennes, les attaques d’al-Shabaab se poursuivent. Les récentes avancées enregistrées par le gouvernement, avec l’aide d’ATMIS, dans le centre de la Somalie pourraient être réduites à néant.

Toutefois, étant donné que ces récents succès sont le fruit d’une campagne conjointe avec les milices claniques, la nécessité pour les forces somaliennes de mettre en place des forces de maintien de la paix, d’œuvrer à la réconciliation intercommunautaire et de répondre aux attentes des populations locales en matière de services de base doit être considérée comme une priorité.

Alors que le gouvernement fédéral, l’UA et le Bureau de soutien des Nations unies en Somalie forment un comité tripartite chargé de veiller au bon transfert des responsabilités aux forces de sécurité somaliennes, il est important de faire la distinction entre la mission de l’UA en Somalie, l’ATMIS et l’éventuelle mission post-ATMIS.

Le retrait de l’ATMIS pourrait créer un vide sécuritaire en Somalie dont al-Shabaab profiterait

En outre, l’évaluation stratégique de la Commission de l’UA destinée à éclairer la prise de décision du CPS devrait refléter les besoins en troupes militaires, en contingents de police et en personnel civil, tout en précisant le concept d’opérations, les implications budgétaires et la finalité de la mission. Cette évaluation stratégique devrait également impliquer le Comité d’état-major de l’UA, qui devrait entreprendre sa propre mission d’évaluation et son propre rapport, et fournir des recommandations au CPS et à la Commission de l’UA.

Au-delà de la Somalie

La décision de déployer une nouvelle mission en Somalie doit également être envisagée dans le contexte des crises actuelles, qu’elles soient persistantes ou émergentes. Le conflit dans l’est de la République démocratique du Congo a atteint un niveau critique, les récentes avancées du groupe rebelle M23 ayant entraîné le déplacement de plus de 250 000 personnes.

La mission de stabilisation de l’Organisation des Nations unies en RDC, qui souffre d’un manque de soutien de la part des populations locales et de la classe politique, devrait prendre fin en décembre 2024. La mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe en RDC, qui ne dispose que de maigres ressources, pourrait servir d’OSP dans le cadre de la résolution 2719, avec un soutien plus fort de la part de la population congolaise et un financement durable.

La guerre civile au Soudan nécessiterait également une intervention de l’UA en vertu de la résolution 2719. La guerre a entraîné l’effondrement des institutions étatiques, un nombre considérable de morts, un lourd tribut humanitaire et le déplacement d’environ huit millions de personnes. Si l’opération hybride ONU-UA au Darfour a permis de tirer des enseignements, une mission mandatée par l’UA pourrait faire pencher la balance de manière significative, aboutir à une stabilisation à court terme et donner une impulsion en faveur d’un cessez-le-feu. Le tableau ci-dessous présente les différents théâtres d’opérations possibles dans le cadre de la résolution 2719.

Locations of Prospective AU-UN Operations

Source : Centre d’études stratégiques de l’Afrique

Conclusion

Le CPS devrait discuter de la meilleure manière de mettre à profit la résolution 2719 pour aider à stabiliser les pays en conflit. Il s’agira également de déterminer si l’UA entend concentrer ses efforts sur une seule mission ou si elle souhaite étendre l’expérience à différents contextes. Cette décision nécessite une analyse plus approfondie des conflits et des avantages et défis potentiels de chaque situation.

En Somalie, la résolution 2719 permet de renforcer et de mettre en pratique le partenariat entre l’ONU et l’UA en matière de paix et de sécurité. La résolution offre également une occasion unique à la Commission de l’UA et au CPS de rendre pleinement opérationnelle la Force africaine en attente telle qu’elle a été conçue à l’origine. Ce serait l’opportunité de constituer une mission autorisée, mandatée et dirigée par l’UA qui assure la sécurité de manière collective, en particulier lorsque des troupes provenant d’autres régions que l’Afrique de l’Est sont déployées.

La résolution 2719 pourrait ne pas être mise en œuvre avant la fin de l’année 2024, les discussions étant prolongées pour aplanir les difficultés. Dans l’intervalle, les décideurs politiques de l’UA devraient se pencher sérieusement sur l’avenir de l’ATMIS et se demander si une nouvelle OSP ferait pencher la balance en faveur d’une paix et d’une stabilité durables en Somalie.

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