La course à la présidence tournante de l’Union africaine s’annonce agitée
L’Afrique du Nord a beau être en position favorable, l’élection du prochain dirigeant de l’UA est loin d’être acquise.
La 37e session ordinaire de la Conférence de l’Union africaine (UA), prévue les 17 et 18 février 2024, réunira les chefs d’État et de gouvernement d’Afrique. L’un des principaux enjeux de ce sommet sera l’élection de la présidence de l’UA pour 2024-2025. La présidence actuelle, assurée par les Comores, devrait céder les rênes à un nouvel État membre en mesure de guider l’organisation dans un contexte mondial complexe et fluctuant.
Conformément à l’Acte constitutif de l’UA et aux principes de représentation régionale équitable, la présidence est exercée sur une base tournante annuelle par les cinq régions d’Afrique. Étant donné que les Comores (Afrique de l’Est), le Sénégal (Afrique de l’Ouest), la République démocratique du Congo (Afrique centrale) et l’Afrique du Sud (Afrique australe) ont assuré la présidence au cours des quatre dernières années, il revient donc à un État d’Afrique du Nord de prendre la relève en 2024.
L’intérêt croissant pour la présidence de l’UA et la concurrence qui en résulte devraient avoir pour effet de rehausser la qualité et le mérite des pays candidats. Cependant, les retards et les disputes produisent souvent l’effet inverse. Les rivalités intrarégionales tendent à rendre le scrutin beaucoup plus complexe et beaucoup plus long, ce qui porte préjudice à la présidence entrante. Le manque de solidarité et de soutien régionaux entrave parfois la capacité de la nouvelle présidence à mener les débats et les actions sur certaines questions thématiques et nationales. À l’approche du sommet de 2024, il est essentiel de comprendre ces défis et d’en souligner les implications.
Un manque de consensus régional
La présidence comorienne de l’UA a été obtenue à l’issue d’un processus âprement disputé. Il s’agissait de la première nomination d’un État insulaire et des discussions et débats animés ont eu lieu sur les capacités de Moroni à assumer cette fonction. De nombreux doutes ont été émis, avant, pendant et après la 36e session ordinaire, quant à ses aptitudes pour relever les défis auxquels le continent est confronté en matière de paix, de sécurité et de gouvernance. La question de la taille du pays a ainsi été mise en cause.
L’intérêt croissant des États membres de l’UA pour la présidence de l’organisation a accru les rivalités
Ces inquiétudes concernant Moroni et leur incidence ont mis en évidence des positions et des points de vue divergents au sein de la Conférence de l’UA, en particulier au sein de la région d’Afrique de l’Est. En amont du 36e sommet, un bras de fer s’est engagé entre le Kenya et les Comores pour représenter la région qui compte 14 États membres. En raison de la prolifération des communautés économiques régionales et des mécanismes régionaux, il n’existe pas de cadre global pour définir la rotation de la présidence et les critères de sélection.
Ce bras de fer s’est soldé par la victoire des Comores. Toutefois, un vif débat s’est engagé pour savoir si la présidence tournante devait être strictement procédurale, chaque État africain se voyant alors accorder l’opportunité d’occuper cette fonction, ou si seuls les « grands États », c’est-à-dire ceux dotés des ressources, du leadership et des capacités suffisantes, devaient jouer les premiers rôles.
Ce débat risque de se répéter avant et pendant le sommet de 2024, car l’Afrique du Nord est également en proie à des rivalités persistantes. La région devra décider lequel de ses sept membres est le plus apte à présider l’UA. Cependant, les disputes et le conflit de longue date entre l’Algérie et le Maroc au sujet du statut du Sahara occidental ne manqueront pas d’opposer les deux pays, qui pèseront probablement de tout leur poids pour faire élire une présidence à même de défendre leurs intérêts nationaux.
La dernière présidence tournante de l’Afrique du Nord a été assurée par l’Égypte en 2019. Le Maroc a été réadmis dans le giron de l’UA en 2017 et s’est prudemment efforcé de faire valoir sa présence et de nouer des relations avec les États membres et la Commission de l’UA. Après six années d’adhésion à l’UA et un deuxième mandat consécutif au Conseil de paix et de sécurité (CPS), le Maroc s’est lancé dans une campagne sérieuse pour sa première tentative de briguer la présidence de l’UA. L’Algérie en a fait de même, pour ce qui constitue également sa première candidature à cette fonction.
La présidence de l’UA devrait-elle être strictement procédurale ou être confiée aux « grands États » ?
L’Algérie et le Maroc disposant de ressources, de moyens et de capacités similaires, le consensus régional sera un facteur déterminant de l’issue du processus. Si les États ne parviennent pas à se mettre d’accord sur l’un ou l’autre des deux pays, un candidat du compromis devra être trouvé parmi les autres États de la région (l’Égypte, la Libye, la Mauritanie, la Tunisie ou le Sahara occidental). Si cet objectif n’est pas atteint, le poste devra être attribué à une autre région, probablement l’Afrique australe. Les États d’Afrique du Nord et d’Afrique australe devraient donc se tenir prêts à remplir cette fonction.
Les raisons qui expliquent les tensions régionales
La rivalité entourant la course à la présidence de l’UA en Afrique de l’Est et en Afrique du Nord ne porte pas uniquement sur les différents intérêts nationaux et régionaux, mais également sur les avantages liés à cette fonction. Comme le souligne l’article 6 (4) de l’Acte constitutif de l’UA, la présidence permet à l’État élu de déterminer le cap à suivre pour le continent. Ce rôle s’accompagne d’un prestige et d’un rayonnement inhabituels, indépendamment de la taille et des capacités du pays.
Les États membres considèrent cette fonction comme de plus en plus stratégique. Les avantages qui en découlent peuvent varier d’un pays à l’autre, en fonction de l’État membre concerné. Pour les grands États, la présidence est souvent considérée comme une occasion de mettre en avant leur puissance, comme ce fut le cas pour l’Égypte (2019-2020) et l’Afrique du Sud (2020-2021). Pour les petits États, il s’agit surtout d’accroître leur influence diplomatique, même seulement pour 12 mois. Ils saisissent l’occasion d’exprimer des préoccupations souvent peu prises en compte.
La présidence des Comores, par exemple, a été l’occasion de mettre en exergue les préoccupations des États insulaires, telles que l’élévation du niveau des océans et l’économie bleue. Le pays a ainsi organisé une réunion ministérielle sur le thème « Économie bleue et action climatique en Afrique : les États côtiers et insulaires à l’avant-garde », qui a donné un certain élan à ce dossier. La présidence de l’UA a également permis à de petits États comme le Congo (2006-2007), le Bénin (2012-2013) et les Comores (2023-2024) de bénéficier d’une notoriété mondiale et d’un poids diplomatique considérable.
Les rivalités entre États menacent l’intégration continentale et entravent les efforts de consolidation de l’UA
L’empressement des États à diriger l’UA a exacerbé les fractures et les divisions régionales, notamment en Afrique de l’Est et en Afrique du Nord. Les obstacles à un consensus sur une candidature unique incluent l’absence d’une organisation régionale solide en Afrique du Nord et celle d’une puissance régionale telle que le Nigeria en Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud en Afrique australe, ainsi que la persistance d’antagonismes profonds. Par exemple, les tensions qui opposent depuis des décennies le Maroc et l’Algérie sont manifestes dans le conflit du Sahara occidental.
Quelles conséquences pour l’UA ?
Comme nous l’avons mentionné, la présidence tournante a été instituée pour encourager la participation des États membres à la conduite de l’UA tant sur le plan interne que multilatéral. Ce système visait également à renforcer l’esprit de fraternité entre les pays africains, esprit qui a inspiré la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et de l’UA. Pourtant, les querelles régionales empêchent le bureau de l’UA de fonctionner correctement depuis 2022.
La rivalité entre le Kenya et les Comores a privé le Sénégal d’une vice-présidence et un scénario similaire est susceptible de se produire avec les dissensions entre l’Algérie et le Maroc. Les responsables politiques consultés par le Rapport sur le CPS ont confirmé la persistance des tensions diplomatiques entre Alger et Rabat sur la question du Sahara occidental et l’ambition de chacun des deux pays de se positionner en tant que puissance régionale en Afrique du Nord. Le tout dans un contexte de vive concurrence pour la présidence de l’UA. Bien que plusieurs sources aient affirmé que l’absence d’une vice-présidence n’avait pas affecté outre mesure le mandat du Sénégal, la charge de travail de Dakar aurait été plus supportable avec le soutien d’un bureau pleinement constitué.
Étant donné que la présidence est source d’apprentissages pour les États, en particulier pour ceux ayant besoin de soutien et d’un renforcement de leurs capacités, l’absence d’une vice-présidence marocaine ou algérienne aura été une occasion manquée pour les Comores tout au long de leur présidence. De même, l’absence d’une vice-présidence a freiné l’institutionnalisation de l’accord de la troïka. Celle-ci nécessite la présence des présidences précédente, actuelle et suivante afin de préserver la mémoire institutionnelle et d’assurer la continuité dans la gestion des affaires continentales.
Si le Maroc et l’Algérie ne parviennent pas à un consensus lors du sommet de 2024, la Conférence de l’UA devra choisir entre deux options. La première consistera à passer le relais à un autre pays d’Afrique du Nord, à savoir l’Égypte ou la Mauritanie. La seconde sera que les États d’Afrique du Nord acceptent de céder leur tour à l’Afrique australe qui élira un président entre ses États membres.
Cette dernière éventualité serait sans précédent depuis la mise en place du principe de rotation en 2003. Ces deux scénarios montrent comment les rivalités entre États menacent l’intégration continentale et compromettent la consolidation de l’UA. Compte tenu de la menace que cette situation fait peser sur la cohésion entre les États et des conséquences potentiellement désastreuses pour l’UA, l’organisation devrait se poser en arbitre du contentieux. L’adoption d’un cadre réglementant l’accession à la présidence de l’UA et guidant le processus régional de prise de décision pour les pays candidats serait un grand pas en avant dans la pérennisation de la présidence, qui demeure un mandat statutaire.