ATMIS Photo/ Mukhtar Nuur/Flickr

L’UA pourrait-elle faire un meilleur usage des déploiements régionaux ?

Les initiatives de sécurité ad hoc pourraient-elles être intégrées à une Force africaine en attente reconceptualisée ?

À l’occasion de sa 1203e réunion qui a eu lieu le 4 mars 2024, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a discuté des déploiements de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) au Mozambique et dans l’Est de la République démocratique du Congo. Si le Conseil a fait part de ses préoccupations quant à l’évolution de la situation sur le terrain, il a également souligné la contribution des déploiements à la gestion de l’insécurité.

Lors de cette même réunion, le Conseil a approuvé la prorogation du mandat de la mission de la SADC au Mozambique (SAMIM). Elle a également félicité la mission pour sa « contribution significative », son « sacrifice continu » et son « engagement à combattre et à vaincre le terrorisme, ainsi qu’à rétablir la paix, la sécurité, la stabilité et à pallier la crise humanitaire dans la province de Cabo Delgado ».

Outre l’intérêt du Conseil pour des situations spécifiques, les discussions sur les missions témoignent du soutien continu de l’Union africaine (UA) et de son appréciation de la nécessité de déploiements régionaux pour gérer l’insécurité à l’échelle du continent. À l’instar de la Force multinationale mixte (FMM), de la force du G5-Sahel et de l’initiative d’Accra, les deux déploiements de la SADC s’inscrivent dans le cadre de multiples initiatives régionales en matière de sécurité. Celles-ci sont souvent activées en réponse à des menaces transnationales émergentes ou d’autres conflits régionaux.

Compte tenu de l’absence de la Force africaine en attente (FAA) et de l’insécurité, ces déploiements sont devenus un important outil de gestion de l’insécurité pour les organisations régionales. Au vu de leurs récents succès et des défis qui entravent l’intervention de la FAA, ces déploiements doivent-ils être encouragés et généralisés ?

Pourquoi la FAA n’est-elle toujours pas pleinement opérationnelle ?

De nombreux observateurs s’accordent à reconnaître les progrès accomplis par le COPS et les États membres dans la mise en œuvre de la FAA au cours des deux dernières décennies. En tant que projet politique, elle a permis de développer avec succès des approches endogènes pour concrétiser une politique de défense commune africaine. Elle a contribué de manière significative à former et à renforcer les capacités des États membres de l’UA, un élément essentiel pour améliorer la préparation au déploiement des contingents nationaux et du personnel civil.

Des avancées ont été réalisées dans la mise en œuvre de la Force africaine en attente

Les progrès de la FAA ont servi de base à la plupart des 27 opérations de soutien à la paix (OSP) dirigées, autorisées et soutenues par l’UA au cours des vingt dernières années. Au niveau régional, la FAA a créé une communauté de pratiques avec des formations et une doctrine standardisées, favorisant le déploiement et la gestion de diverses OSP dirigées par l’UA.

Depuis 2002, la FAA doit être l’un des principaux piliers de l’architecture africaine de paix et de sécurité, mais son déploiement complet a été long. Bien que le CPS l’ait déclarée opérationnelle dès 2015, ainsi que la Conférence de l’UA en 2020, on doit reconnaître que la Force n’a pas encore été véritablement utilisée. Au lieu de cela, des mécanismes ad hoc ont été déployés dans plusieurs contextes et sont considérés comme faisant partie du cadre de la FAA.

Selon les experts et les responsables politiques consultés, en dépit des ressources et des effectifs considérables investis au fil des ans, le déploiement de la FAA ne s’est pas déroulé comme prévu, et ce, pour deux raisons. Premièrement, elle n’a jamais bénéficié d’un processus décisionnel convenu et prévisible pour autoriser ses interventions.

Faute de processus clair de définition de son mandat, son déploiement dépend fortement de la volonté des États membres, des communautés économiques régionales (CER) et des mécanismes régionaux (MR). Pourtant, aucun d’eux n’a fait preuve d’un engagement politique fort pour déployer la FAA en vertu de l’article 13 du protocole du CPS et selon les six scénarios envisagés.

La force en attente devait être un des piliers de l’architecture africaine de paix et de sécurité

Le deuxième problème réside dans l’absence d’un financement adéquat, prévisible et durable, empêchant le déploiement de la FAA, même lorsque celui-ci aurait été nécessaire. De plus, ces défis financiers affectent la constitution de la Force et l’organisation d’exercices d’entraînement. Ces problèmes ont pu transparaître dans les 27 OSP. Les contraintes de financement ont également souvent entraîné des passages de relais prématurés des OSP vers des missions des Nations unies et ont affecté les calendriers de retrait, comme dans le cas de la mission de transition de l’UA en Somalie.

Une place à prendre pour les déploiements ad hoc ?

En l’absence d’une FAA fonctionnelle, les déploiements régionaux ont contribué de manière significative aux efforts continentaux en faveur de la stabilité, comme en témoignent les résultats tangibles obtenus en Afrique de l’Ouest, dans le bassin du lac Tchad, au Mozambique et en Somalie. Dans le bassin du lac Tchad, la FMM, autorisée par l’UA en 2015, a sécurisé les zones touchées par Boko Haram et d’autres groupes extrémistes violents et a facilité la mise en œuvre des programmes de stabilisation de la Commission du bassin du lac Tchad.

Elle a également permis l’organisation d’opérations humanitaires et a aidé les populations touchées, grâce à des approches innovantes et à l’amélioration des relations civilo-militaires, conformément à son mandat. En outre, les nombreuses expériences acquises par la mission ont fourni un certain nombre d’enseignements pour des accords régionaux similaires, tels que l’initiative d’Accra, qui vise à protéger les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest contre les retombées de l’extrémisme violent au Sahel.

Les déploiements régionaux ont contribué aux efforts de stabilisation du continent

De même, le déploiement de la SAMIM a abouti à des résultats significatifs au Mozambique, dans un contexte marqué par l’extrémisme violent. Il a permis de reconquérir des territoires, de dégrader considérablement la capacité opérationnelle des insurgés et de porter assistance aux populations civiles vulnérables. En approuvant la mission et la décision de la SADC de la déployer, l’UA a souligné l’utilité d’une réponse régionale face à des menaces sécuritaires. Comme il l’avait fait pour la FMM il y a quelques années, le CPS a demandé à la Commission de l’UA de mettre à disposition des équipements de la Base logistique continentale et a exhorté les États à mobiliser des ressources supplémentaires pour soutenir la SAMIM.

L’UA devrait-elle encourager le déploiement de missions ad hoc ?

En l’absence de la FAA, les avantages des déploiements régionaux ad hoc sont évidents. Certains affirment que ces avantages sont justement l’une des raisons du manque de détermination à mettre en œuvre la FAA. Il n’en reste pas moins que sans la contribution des initiatives régionales ad hoc, la situation de l’Afrique en matière de paix et de sécurité serait bien pire qu’elle ne l’est aujourd’hui.

La FAA n’ayant pas encore atteint son plein potentiel, les acteurs politiques devraient envisager de la reconceptualiser en y intégrant des déploiements ad hoc, ce qui pourrait présenter plusieurs avantages. Tout d’abord, ceux-ci pourraient offrir à la « nouvelle » FAA la flexibilité nécessaire pour intervenir au-delà des frontières des États afin de poursuivre les milices, les groupes armés ou les insurgés. Deuxièmement, ils pourraient servir de solution militaire d’urgence et renforcer la fonctionnalité de la Force grâce à l’échange d’expériences dans la lutte contre le terrorisme et les relations civilo-militaires.

Dans cette perspective, le CPS devrait travailler en étroite collaboration avec les CER/MR et les coalitions ad hoc. Cela créerait un processus viable de définition des mandats et faciliterait la gestion des questions de commandement et de contrôle entre les acteurs régionaux et continentaux. En fin de compte, cette collaboration favoriserait les apprentissages et bonifierait le fonctionnement et la capacité de déploiement de la FAA dans le contexte actuel d’instabilité du continent.

Le CPS pourrait également envisager de capitaliser sur les acquis des déploiements pour mettre en place une structure continentale solide qui serait en mesure de coordonner efficacement les efforts régionaux. En outre, l’adoption de la résolution 2719 par le Conseil de sécurité des Nations unies le 21 décembre 2023 devrait servir de catalyseur pour financer les interventions régionales qui sont en première ligne pour contenir l’insécurité sur le continent.

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