L’Afrique doit prendre le relais de l’aide internationale
Les coupes budgétaires sans précédent dans l’aide humanitaire mondiale obligent l’Union africaine à trouver des solutions.
Des crises dévastatrices
En juin 2025, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a publié son rapport annuel sur les tendances mondiales. À la fin de l’année 2024, 123,2 millions de personnes étaient considérées comme déplacées, un chiffre qui a augmenté de sept millions sur l’année écoulée. Le dérèglement climatique, les conflits prolongés et la fragilité économique se conjuguent pour aggraver les crises. La plupart des Africains déplacés restent dans leur pays d’origine ou vont dans les pays voisins, qui sont pour la plupart eux-mêmes pauvres en ressources et en proie à des conflits, des troubles ou des catastrophes.
Près de 75 % des crises humanitaires à travers le monde se produisent sur le sol africain. Depuis 1946, le continent a été le théâtre d’un tiers de tous les conflits armés et, depuis 1989, de près de 75 % de tous les conflits non étatiques. Le nombre d’Africains déplacés a doublé depuis 2018 : plus de 44 millions d’entre eux ont été contraints de quitter leur foyer. Pour la 14e année consécutive, les conflits, les violences, les troubles, le dérèglement climatique et les catastrophes ont déplacé un nombre record de personnes.
Des organisations telles que l’Union africaine (UA) et les communautés économiques régionales (CER) ont joué un rôle secondaire dans le financement et la fourniture de l’aide humanitaire sur le continent. Le soutien des États riches, notamment des démocraties libérales occidentales, a été amplement utilisé par ceux-ci comme un outil d’influence politique mondiale. L’aide humanitaire internationale a fourni un soutien vital dans les situations d’urgence, mais moyennant certains engagements. Ainsi, elle a été le plus souvent conditionnée à la satisfaction des intérêts politiques et économiques des pays donateurs et à la création d’une dépendance à leur égard. Bien que l’Afrique soit un créancier net, les donateurs gagnent entre 7 et 8 dollars US pour chaque dollar dépensé en aide.
Les pays donateurs ont considérablement réduit leur budget humanitaire à la suite de l’évolution de leurs priorités nationales, de l’incertitude économique ambiante et d’une certaine lassitude. D’importants changements politiques internes sont intervenus et les dépenses de défense ont augmenté entraînant notamment une réduction correspondante de l’aide, la fermeture des programmes de réinstallation des réfugiés et le renforcement de la sécurité aux frontières.
Depuis sa création, l’UA et ses États membres ont été exhortés à exercer leur autorité et leur propre pouvoir d’action.
L’UA a créé des instruments humanitaires tels que la Capacité africaine de gestion des risques en réponse aux catastrophes naturelles et aux conditions météorologiques extrêmes, et les Centres africains pour le contrôle des maladies (CDC Afrique) pour les urgences de santé publique. Elle a également établi le Cadre de politique humanitaire et le Fonds spécial d’assistance d’urgence pour l’aide humanitaire, ainsi que l’Agence humanitaire africaine (AfHA). La mise en œuvre de la plupart de ces instruments reste toutefois entravée par le manque de financement et de volonté politique.
Depuis 1989, l’Afrique est le théâtre de 75 % des conflits non étatiques
L’AfHA a été créée lors du sommet de l’UA en 2016, mais n’est pas encore opérationnelle. En revanche, le CDC Afrique, fondé lors du même événement et lancé en 2017, est intervenu de manière efficace pour pallier la faiblesse des systèmes de santé dans plusieurs pays.
La volonté politique en matière d’aide humanitaire reste un sujet complexe, en particulier dans les zones de conflit où le contrôle des interventions humanitaires est fortement politisé et instrumentalisé pour renforcer le contrôle des opposants et saper leur légitimité. Dans de nombreux cas, l’aide est délibérément bloquée et les acteurs humanitaires sont attaqués par les parties belligérantes. Les initiatives et les agences de l’UA se disputent des financements limités et l’UA, avec ses nombreuses priorités, doit attirer l’attention et les financements d’un nombre de pays restreint et en déclin.
L’aide et la solidarité internationales : deux principes en recul
En décembre 2024, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) et l’UA ont organisé ensemble le lancement de l’Aperçu de la situation humanitaire mondiale 2025, faisant un appel de fonds de 47 milliards de dollars US, dont 20 milliards (41 %) pour l’Afrique. Sur les 305 millions de personnes dans le monde qui auront besoin d’aide en 2025, 46 % se trouvent en Afrique : 85 millions en Afrique australe et de l’Est, 59 millions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et 57 millions en Afrique de l’Ouest et centrale. Cet appel a par ailleurs été l’occasion de tirer la sonnette d’alarme, seulement 43 % des 47 milliards de dollars US demandés pour 2024 ayant été réunis.
Le Conseil norvégien pour les réfugiés publie chaque année une liste des dix crises de déplacement de populations les plus négligées au monde. En 2025, huit d’entre elles, contre neuf l’année précédente, concernent l’Afrique : le Cameroun, l’Éthiopie, le Mozambique, le Burkina Faso, le Mali, l’Ouganda, la RDC et la Somalie. Le Cameroun est alors classé comme la crise la plus négligée au monde, recevant une note de zéro sur 30, au vu de l’absence de volonté politique de la rendre visible et de la « faiblesse » de sa couverture médiatique.
Le Cameroun accueille des personnes qui fuient les conflits et les violences dans le bassin du lac Tchad et en République centrafricaine. Il accueille 1,1 million de déplacés et 480 000 réfugiés, et recense 2,8 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë.
Au début de son second mandat, le président américain Donald Trump a publié un décret présidentiel imposant un gel quasi total de l’aide étrangère et du programme d’accueil des réfugiés. Cette mesure a été rapidement suivie d’un arrêt des activités de soutien aux réfugiés.
L’UA et ses États membres sont encouragés à exercer leur autorité et leur pouvoir d’action
Selon certaines informations, Trump détournerait 250 millions de dollars US du budget américain de l’aide extérieure pour expulser des étrangers, sans procédure régulière et même parfois à l’encontre de décisions de justice.
Si les États-Unis ont instauré les changements les plus radicaux, le Royaume-Uni a diminué son assistance au développement de 40 % et des pays européens comme la France et l’Allemagne ont annoncé des réductions. L’Union européenne a réorienté une partie de son budget consacré au développement vers l’Ukraine et la gestion de ses frontières extérieures.
Avant ces coupes importantes, les besoins mondiaux de financement pour les réfugiés atteignaient déjà les 24 milliards de dollars US en 2024. À titre de comparaison, cette somme correspond à ce que les pays du monde entier dépensent en quatre jours dans la défense. Le financement de l’aide alimentaire humanitaire devrait baisser de 45 %, alors que la plupart des personnes déplacées de force se trouvent dans des zones touchées par des crises alimentaires. Les réductions concomitantes de l’aide au développement diminueront les capacités budgétaires des pays d’accueil à soutenir les réfugiés.
L’action humanitaire de l’UA à la traîne
Le 1er juillet 2025, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a abordé la situation humanitaire en Afrique lors de sa 1286e réunion. Le communiqué qui a été publié exprimait l’inquiétude du Conseil face aux crises et à la diminution du soutien financier. Dans un esprit de partage équitable du fardeau et des responsabilités, il soulignait la nécessité d’une solidarité mondiale envers les pays africains qui accueillent un grand nombre de personnes déplacées.
Il a en outre reconnu les liens entre paix, assistance humanitaire et développement, ainsi que la nécessité de renforcer les synergies, la coordination et l’action conjointe entre l’UA, les CER, les mécanismes régionaux et les acteurs humanitaires. La paix et la sécurité ne peuvent être assurées dans un contexte de crises humanitaires majeures. Le communiqué a réitéré les appels à activer et à financer de manière durable l’AfHA et sa demande aux États membres de respecter leurs engagements pris lors du sommet humanitaire extraordinaire et de la conférence des donateurs de Malabo en 2022.
Lors du 26e sommet de l’UA en janvier 2016, la Conférence de l’UA a décidé de créer une agence humanitaire africaine qui s’appuierait sur des mécanismes régionaux et nationaux et serait financée par des ressources africaines. Elle a demandé à la Commission de l’UA de mettre en place une architecture fondée sur les principes du panafricanisme et sur les valeurs communes africaines.
Sans financement durable ni capacité de réaction rapide, l’AfHA ne résoudra aucune crise
L’AfHA avait pour objectif de faciliter la collaboration entre les acteurs des domaines de la sécurité et du développement, du secteur privé et les acteurs humanitaires. Elle devait être financée à partir du budget ordinaire de l’UA et exploiter de nouvelles sources de financement afin de garantir une appropriation et une orientation proprement africaines.
L’AfHA devait piloter l’élaboration de stratégies d’intervention et renforcer les capacités des États membres et des autres acteurs. Elle institutionnaliserait les meilleures pratiques, mobiliserait des ressources et coordonnerait les interventions humanitaires, avec le concours des États, des CER, des organisations régionales et des agences d’aide humanitaire.
Sa structure a été approuvée à Malabo, en Guinée équatoriale, en mai 2022, les participants s’engageant à verser 176 millions de dollars US. Le sommet a abouti à la déclaration de Malabo et à l’établissement du plan de mise en œuvre post-Malabo 2023-2032, d’une durée de 10 ans.
Ses priorités stratégiques comprennent le renforcement du rôle de l’État dans l’action humanitaire, la réforme de l’architecture humanitaire africaine, la lutte contre les causes des crises, la proposition de solutions durables et la mise en œuvre des normes. Les États membres ont adopté ses statuts en février 2023 lors du 36e sommet de l’UA. En juillet 2024, L’Ouganda a été choisi pour héberger l’AfHA et le recrutement du personnel de direction serait en cours.
Le communiqué publié en 2023 à l’issue de la 1176e réunion du CPS a réitéré l’appel lancé à la Commission de l’UA pour qu’elle accélère la mise en place de l’AfHA d’ici 2024-2025. Celle-ci n’est pas encore opérationnelle et les mécanismes de fonctionnement, de financement et de coordination avec les acteurs humanitaires et les États membres restent imprécis. Au cours des neuf années qui ont suivi la décision de 2016, l’empreinte humanitaire de l’UA est restée négligeable, parfois inexistante. De nombreuses questions se posent sur l’organisation de l’action humanitaire entre les pays, les CER et l’UA.
Parmi les outils dont dispose l’UA figurent le Cadre de politique humanitaire, la Convention de Kampala, la position africaine commune sur l’efficacité humanitaire et la Stratégie régionale africaine pour la réduction des risques de catastrophe. Cependant, l’organisation continentale peine à les faire fonctionner en raison du manque de financement à long terme, de problèmes de coordination au sein et entre les différentes organisations, et du manque de volonté politique de certains États membres.
Face au retrait progressif des partenaires humanitaires, l’UA doit apporter ses propres réponses
Le cadre politique de 2015 visait à fournir à l’UA et aux autres acteurs humanitaires des approches stratégiques et des lignes directrices afin d’améliorer leurs capacités de prévention, de préparation, d’intervention et d’atténuation. Il encourageait le renforcement des capacités et des compétences, mettait l’accent sur l’utilisation de ressources africaines pour des initiatives africaines, chargeait l’UA d’obtenir un financement prévisible et adéquat et demandait aux États membres d’y consacrer 1,5 % de leur produit intérieur brut.
Certains se demandent si l’UA avait vraiment besoin d’une agence humanitaire alors qu’elle dispose déjà de cadres qui ne sont pas pleinement fonctionnels. Selon ces détracteurs, une nouvelle structure non opérationnelle, sans financement durable ni capacité de réaction rapide ne permettra pas de remédier à la situation. L’UA a créé d’autres agences pour répondre aux catastrophes et aux crises, avec plus ou moins de succès. L’AfHA peut notamment tirer des enseignements du CDC Afrique.
Catalysé en partie par la crise Ebola qui a frappé l’Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016, le CDC Afrique aide les États membres à renforcer leurs capacités et leurs infrastructures de santé publique afin de détecter, prévenir, contrôler et faire face aux menaces qui pèsent sur la santé publique. Il a été créé lors de la 26e Conférence ordinaire des chefs d’État et de gouvernement en janvier 2016 et lancé en janvier 2017.
Cette initiative a été saluée pour ses résultats. Parmi ses succès, on peut citer le Nouvel ordre de santé publique pour l’Afrique, la Plateforme de fournitures médicales pour l’Afrique et le Fonds africain pour l’acquisition de vaccins. Il a également coordonné la riposte face à la Covid-19 à l’échelle du continent, négocié des vaccins et empêché les dons de vaccins périmés.
Face à des crises humanitaires sans précédent et à l’abandon progressif de l’assistance humanitaire par les partenaires traditionnels, il est plus important que jamais que l’UA collabore avec les CER, les États membres et les organisations internationales pour mener ses propres actions. C’est l’occasion de repenser le paysage humanitaire, de briser les cloisonnements entre la sécurité, le développement, les acteurs humanitaires et le secteur privé, et de mettre en œuvre des réponses coordonnées et cohérentes. Il faut trouver des moyens innovants pour lever des fonds auprès de sources non traditionnelles, telles que le secteur privé africain ou les philanthropes, ou même unir les forces pour tirer parti de la Capacité africaine de gestion des risques.