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Faire face aux ravages causés par les combats urbains

Le directeur exécutif par intérim du Centre for Civilians in Conflict, Udo Jude Ilo, présente son point de vue sur les mesures à prendre pour remédier aux souffrances des civils touchés dans les conflits armés.

Les civils subissent régulièrement de plein fouet les effets des combats urbains, comme en Ukraine, au Soudan et, plus récemment, à Gaza. Quels sont les mécanismes et les outils du droit humanitaire et des droits humains qui permettraient d’alléger ces souffrances ?

C’est une question importante compte tenu de l’augmentation du nombre de conflits armés en milieu urbain. Aujourd’hui, on estime à 50 millions le nombre de personnes touchées par les combats urbains et la prévalence de ce phénomène devrait continuer à augmenter du fait de la concentration de plus en plus importante des populations dans les zones urbaines.

Comme dans tout conflit armé, le respect du droit international humanitaire (DIH) et du droit international des droits de l’homme est de la plus haute importance. En raison des problèmes spécifiques que posent les combats urbains, le respect des principes de distinction, de proportionnalité et de précaution dans la conduite des hostilités est crucial, car il s’agit d’une question de vie ou de mort pour les civils.

Malheureusement, dans de nombreux conflits récents, les principes du droit international humanitaire ont été bafoués. Le nombre de victimes civiles à Gaza, au Soudan et en Ukraine et la destruction complète de certaines infrastructures civiles, notamment des hôpitaux et des écoles, en témoigne clairement.

Outre le respect du droit humanitaire, les armées et les parties au conflit doivent prévenir et atténuer les dommages causés aux civils. Il s’agit notamment de former correctement les forces armées à la protection des populations urbaines, de comprendre le paysage urbain, de cartographier et d’évaluer à l’avance le risque que les opérations militaires peuvent représenter pour les civils et les infrastructures. En outre, il convient de rechercher les moyens d’éloigner les combats des zones peuplées. Ces considérations doivent être prises en compte dans tous les aspects de la formation, de la planification et de la conduite des opérations militaires en milieu urbain.

Sur la base de notre expérience des conflits, nous savons que la collecte de données sur la manière dont les civils sont blessés peut aider les militaires à ajuster rapidement les tactiques et les règles d’engagement afin d’éviter de causer de nouveaux ravages.

Les militaires et les parties en conflit doivent prévenir et atténuer les dommages causés aux civils

Les mécanismes de suivi qui recensent et analysent systématiquement les dommages subis par les populations civiles peuvent également contribuer à les prévenir, à les atténuer et à y remédier. Les belligérants doivent mieux comprendre la manière dont les combats qu’ils engagent affectent les populations. Cela est particulièrement important dans les espaces urbains où les combattants et les civils sont souvent très proches les uns des autres et où les effets des violences se répercutent directement ou indirectement sur les populations.

Les acteurs armés devraient recueillir et exploiter de manière proactive des informations sur la façon dont les civils subissent des blessures et des pertes, afin de mieux évaluer la proportionnalité et de prendre les précautions qui s’imposent. Lorsque ces mécanismes sont appliqués de manière significative, les responsables militaires peuvent savoir rapidement où et comment les civils sont affectés et ainsi réduire les risques.

Le Centre for Civilians in Conflict préconise également de mieux comprendre et d’intégrer les points de vue des civils touchés dans la planification opérationnelle militaire et la réponse aux dommages causés aux civils. Il s’est attaché à faciliter le dialogue entre les communautés civiles et les militaires chaque fois que cela était possible. Les civils disposent également de leurs propres mécanismes d’autoprotection qu’il est essentiel de comprendre si l’on veut les renforcer et les soutenir.

La doctrine de la Force africaine en attente (FAA) prévoit un mandat de protection des civils. Quels sont les éléments nécessaires au déploiement de la FAA et dans quels conflits ?

La FAA pourrait être un mécanisme clé pour répondre aux menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité du continent tout en assurant la protection des civils. L’Union africaine (UA) a déjà déployé des missions de stabilisation, mais de manière ad hoc et avec des arrangements de sécurité qui ne reflétaient pas nécessairement les principes envisagés dans les processus de création et d’autorisation de la FAA. Ces déploiements ne respectent pas forcément le mandat et le calendrier de déploiement de la FAA, ni les accords conjoints établis de manière cohérente par l’UA.

Parmi ces déploiements, citons celui de la force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est dans l’est de la République démocratique du Congo en novembre 2021 pour aider à rétablir la paix et la stabilité. Plus tôt en 2021, le Rwanda et les États de la Communauté de développement de l’Afrique australe avaient déployé deux missions distinctes dans le nord du Mozambique, qui n’ont été approuvées par l’UA qu’après leur déploiement. Des accords ad hoc similaires ont été conclus au sein du G5 Sahel.

Les insuffisances en matière de protection des civils sont souvent liées à l’inadéquation des ressources fournies

Il est impératif de recourir à la FAA pour élaborer une doctrine et une stratégie communes afin de guider les nouvelles missions et opérations menées par les communautés et mécanismes économiques régionaux. Une formation standardisée sur la protection des civils est essentielle. Il s’agit notamment de renforcer les capacités de renseignement, de promouvoir la collaboration avec les agences humanitaires et d’établir un cadre juridique clair concernant l’engagement de la FAA dans les conflits. Les opérations de la FAA devraient être adaptées à des conflits spécifiques, en harmonisant les interventions avec les besoins locaux et les normes internationales.

Au Mali et en République démocratique du Congo notamment, les opérations de maintien de la paix (OMP) et de soutien à la paix (OSP) ont été rejetées parce qu’elles ne parvenaient pas à assurer la sécurité des civils et à asseoir leur légitimité et leur crédibilité auprès des populations locales. De quelle manière les organisations continentales et régionales telles que l’UA et les Nations unies (ONU) pourraient-elles surmonter ces difficultés ?

La responsabilité de protéger les civils incombe principalement au pays hôte. L’ONU déploie des missions de maintien de la paix pour soutenir les États hôtes et protéger les civils dans la mesure de leurs capacités. Bien souvent, l’incapacité à protéger les civils est liée à l’insuffisance des ressources des pays fournisseurs de contingents ou les bailleurs de fonds. Pour éviter que les opérations de maintien de la paix ne soient rejetées par les populations qu’elles sont censées protéger, l’UA et l’ONU doivent donner la priorité à la mobilisation des populations et à l’appropriation locale.

Il est essentiel d’intégrer les perspectives locales dans la planification des missions, d’améliorer les mécanismes de responsabilisation et d’adapter les stratégies à l’évolution de la dynamique des conflits. L’évaluation continue, l’amélioration de la situation et la transparence de la communication peuvent renforcer la confiance et la crédibilité des opérations de maintien de la paix.

Toutefois, les missions ne sont ni conçues ni dotées de ressources suffisantes pour résoudre la plupart des problèmes auxquels sont confrontés les gouvernements et les populations des pays hôtes. Pour s’attaquer véritablement aux causes des conflits, conclure ou appliquer des accords de paix et renforcer la capacité des gouvernements hôtes à protéger les civils, il faut faire appel à des acteurs internationaux et régionaux autres que les missions de maintien de la paix. Une plus grande cohésion est donc nécessaire entre ces acteurs pour soutenir les missions sur le plan diplomatique et financier.

L’ONU peut s’inspirer de l’UA ou des missions régionales africaines qui ont mis en place des mécanismes de suivi et d’analyse des dommages causés aux civils. Les opérations de maintien de la paix de l’ONU cherchent encore à mieux comprendre comment atténuer les dommages causés aux civils et à élaborer une doctrine en la matière, alors que cette question est au cœur de la politique de l’UA.

L’élaboration d’une doctrine relative à l’atténuation des dommages aux civils est au cœur de la politique de l’UA

L’élaboration d’outils efficaces de suivi des dommages causés aux civils et l’adoption de mesures d’atténuation sont nécessaires pour garantir la réalisation du mandat tout en minimisant les risques. Ces outils permettent également de mieux gérer les risques de dégradation de la réputation résultant d’une mauvaise compréhension ou d’une atténuation insuffisante des menaces en cas de dommages involontaires ou d’abandon d’une opération.

En avril 2023, la 15e réunion ordinaire du Comité technique spécialisé de la défense, de la sûreté et de la sécurité a adopté la Politique sur la protection des civils dans les OSP. En quoi ce document est-il important ?

Cette politique fournit un cadre clair permettant aux OSP de l’UA d’instaurer des priorités et de mettre en œuvre des stratégies de protection des civils. Son exécution peut améliorer la responsabilisation, promouvoir le respect des normes internationales et renforcer l’efficacité des opérations de l’UA. La politique reconnaît que le Conseil de paix et de sécurité (CPS) s’est engagé à ce que toutes les OSP disposent d’un mandat de protection des civils.

Il faudra donc mandater les futures OSP et établir toutes les capacités, structures et mécanismes nécessaires à leur fonctionnement. L’UA doit s’appuyer non seulement sur ses États membres, mais aussi sur les acteurs internationaux, en particulier les Nations unies, qui disposent de deux décennies d’expérience en matière de protection des civils.

Par rapport à la politique de l’ONU, l’UA innove et apporte des améliorations en élaborant les stratégies de protection des civils dans chaque OSP avec les parties prenantes, y compris les populations locales. Cela permet d’inclure la société civile dès le début de la planification stratégique et d’intégrer véritablement les partenaires de la société civile dans la mise en œuvre.

Le CPS a récemment appelé à une révision de l’architecture africaine de paix et de sécurité. Comment la protection des civils peut-elle être mieux intégrée dans le spectre des activités menées par l’UA en faveur de la paix ?

Il convient d’adopter une approche globale, notamment en incorporant des mesures de protection dans les initiatives de consolidation de la paix, en renforçant les systèmes d’alerte précoce et en veillant à ce que les accords de paix traitent explicitement des droits et de la sécurité des civils. Des évaluations régulières et des ajustements de l’architecture africaine de paix et de sécurité peuvent permettre l’élaboration d’un cadre plus proactif et plus réactif.

La politique de l’UA définit quatre « piliers » de protection, semblables aux trois « niveaux » de protection des opérations de maintien de la paix de l’ONU. Il est entendu que la protection n’est pas une question de force, mais de dialogue et de mise en œuvre de programmes. Toutefois, les opérations de maintien et de soutien à la paix doivent faire face au défi d’intégrer véritablement les activités de protection de toutes leurs composantes dans le cadre d’une stratégie globale de mission, dirigée par les civils et axée sur la politique. La coordination, le renforcement des capacités et le partage des meilleures pratiques entre l’UA et l’ONU peuvent contribuer à l’intégration de la protection dans les diverses actions pour la paix et la sécurité.

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