Cultiver un terrain d’entente sur le climat, la paix et la sécurité
Les liens entre climat et conflits font l’objet de débats anciens auxquels un front continental uni pourrait remédier.
Lors de sa 774e réunion en 2018, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a débattu du lien entre les changements climatiques, en tant que « multiplicateurs de menaces », et les conflits en Afrique. Les réunions et consultations formelles et informelles du CPS ont permis de hiérarchiser et d’explorer des solutions fondées sur des données probantes aux menaces pesant sur la sécurité climatique. Reconnaissant l’urgence de la situation, le Conseil a demandé à la Commission de l’Union africaine (CUA) de mener une étude sur le lien entre les changements climatiques et la paix et la sécurité.
Les changements climatiques sont un multiplicateur de menaces qui amplifie la gravité des phénomènes météorologiques et exacerbe les vulnérabilités. Ils représentent un risque pour la sécurité humaine en Afrique en raison des relations entre les facteurs de stress climatique et les trajectoires socio-économiques, environnementales et politiques. Ces interactions sont complexes, non linéaires et souvent imprévisibles. Le manque de données sur les conflits induits par le climat limite la capacité des décideurs politiques à créer des outils pour atténuer les risques liés à la sécurité climatique et s’y adapter.
L’étude initiale de la CUA a fourni des données empiriques importantes pour l’élaboration d’une position africaine commune sur le climat, la paix et la sécurité (PAC-CPS). Ce document intitulé Évaluation des risques liés à la sécurité climatique en Afrique (ACRA) a été présenté au mois d’août 2024 et examiné lors de la 1240e session du CPS, en octobre 2024. Le communiqué de la réunion a mis l’accent sur la nécessité de définir des positions consultatives et fondées sur des données, en soulignant l’importance de responsabilités et de capacités communes, mais également différenciées.
Le suivi de la position africaine commune sur le climat, la paix et la sécurité (PAC-CPS)
Le CPS a cherché à de nombreuses reprises à élaborer une approche continentale globale des interactions entre le climat et les conflits. Il a sollicité la rédaction de cette étude lors de sa 774e réunion et en a réitéré la demande lors de ses 1114e et 1184e réunions.
Le stress climatique et les trajectoires socio-économiques, environnementales et politiques sont liés
Le rapport qui en résulte donne un aperçu des principaux risques continentaux en matière de sécurité climatique, y compris une analyse comparative de l’Afrique du Nord, de l’Afrique centrale, de l’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe. Les conclusions constituent la base d’un rapport du président et éclairent la position commune de l’Afrique. Ce document — qui constitue une analyse approfondie des principaux risques liés à la sécurité climatique sur la base d’évaluations régionales — recommande la mise en place de nouvelles « bonnes pratiques ».
Lancée lors de la 28e conférence des États parties, l’ACRA a veillé à ce que la position commune soit fondée sur des données fiables concernant les incidences complexes du changement climatique sur la paix et la sécurité. La CUA a organisé une consultation de trois jours avec les États membres en août 2024 qui a abouti au projet de position commune. Ce document :
- offre un cadre commun pour prévenir et gérer l’insécurité liée au climat et pour maintenir la paix malgré les chocs et les contrecoups des changements climatiques. Il facilite l’adoption de mesures visant à prévenir ou à mieux gérer les risques que les changements climatiques font peser sur la paix et la sécurité
- permet aux États membres et aux institutions africaines de parler d’une seule voix au niveau mondial pour mettre en évidence des préoccupations communes.
L’un des principaux objectifs de l’ACRA, du rapport du président et des consultations de Nairobi était l’élaboration d’une position africaine commune fondée sur les positions des États membres et conforme à celles-ci. Cette position devrait être adoptée lors du sommet de l’UA en février 2025. Une fois adoptée par la Conférence de l’UA, la mise en œuvre de la PAC nécessitera des ressources importantes et une coopération au sein de la Commission de l’UA et entre les États.
Une seule et même voix
La position commune vise à combler les lacunes politiques en intégrant les changements climatiques dans les cadres de sécurité afin de relever les défis qu’ils exacerbent et de favoriser la collaboration entre les parties prenantes en ce qui concerne les menaces liées à la sécurité climatique. Le projet actuel présente des stratégies clés pour les changements climatiques, la paix et la sécurité, en appelant notamment à l’intégration du climat dans la consolidation de la paix.
La position commune vise à combler les lacunes politiques et à intégrer les changements climatiques
La PAC-CPS représente bien plus qu’un document politique. Il incarne la voix unie de l’Afrique et renforcera sa capacité de négociation dans les forums mondiaux sur le climat. Elle promeut une collaboration renforcée entre les États pour le partage des meilleures pratiques et des ressources techniques et financières en vue d’une riposte efficace face à la sécurité climatique. Elle s’appuie sur les conclusions de l’ACRA, qui analyse en profondeur les risques liés à la sécurité climatique à l’échelle du continent.
Une approche équilibrée
Une position commune donne un poids certain, mais elle pourrait malencontreusement limiter la flexibilité nécessaire pour faire face aux répercussions nationales et régionales. Les risques liés à la sécurité climatique en Afrique se manifestent différemment, ce qui suppose des approches spécifiques au contexte. Cette tension inhérente entre la recherche d’une action efficace au niveau local et le besoin d’une politique unifiée au niveau continental a été évoquée lors des consultations de Nairobi, où l’on a reconnu qu’une approche unique limitait les possibilités d’action dans la pratique. En fin de compte, le succès de la PAC dépendra de la volonté et de la capacité des pays à s’engager à respecter les règles qui lient les 55 États membres.
Si les consultations de Nairobi ont jeté les bases d’une approche globale sur le climat, la paix et la sécurité, les États membres doivent se préparer à sa mise en œuvre. Cela impliquera une bonne coopération entre la Commission de l’UA, les CER/MR, les gouvernements nationaux, les organes administratifs locaux et les structures de gouvernance traditionnelles.
La volonté politique des États membres est essentielle au succès de la position commune de l’Afrique
Chaque partie prenante doit jouer son rôle pour mettre en contexte et appliquer la PAC. Les CER seront des intermédiaires importantes entre les aspirations de la PAC et sa mise en œuvre locale, en tenant compte des situations régionales. Les États doivent intégrer les considérations de sécurité climatique dans les mesures qui existent en matière de paix et de sécurité, en coordonnant leurs ministères et en alignant leurs politiques climatiques nationales sur la PAC-CPS.
Des défis
Les chaînes de responsabilité dans le projet de position commune sont assez ambiguës, étant donné que les compétences sont partagées entre plusieurs parties. Le cluster sur la sécurité climatique est géré conjointement par la commission des affaires politiques, de la paix et de la sécurité et la commission de l’agriculture, du développement rural, de l’économie bleue et de l’environnement durable. Tous les départements doivent donc travailler en étroite collaboration pour aligner leurs objectifs et leurs stratégies, une coopération qui doit s’étendre à la santé, aux affaires humanitaires et au développement social. Étant donné que le CPS a considéré le changement climatique comme un multiplicateur de menaces et que l’approche de l’UA doit prendre en compte les interactions entre le climat, le développement et la sécurité, de nombreux autres organes et structures de l’UA devraient être inclus dans la concertation.
Compte tenu du nombre de parties prenantes impliquées, il pourrait s’avérer difficile d’établir des lignes d’autorité claires et des priorités en matière d’allocation des ressources et d’orientation stratégique. Les lignes de responsabilité pour la CAP-CPS pourraient également être brouillées, car sa mise en œuvre dépend fortement de la volonté politique des États membres.
La politique du PAC se heurtera à d’importantes contraintes de financement, à des lacunes en matière de capacités techniques et à un manque de données. L’initiative doit s’accompagner d’efforts pour accéder au financement de la prévention des risques, des systèmes d’alerte précoce et du renforcement de la résilience.
Combler les lacunes
La CUA doit améliorer la coordination des points de l’ordre du jour relatifs au climat, au développement, à la paix et à la sécurité afin de simplifier la prise de décision. Cet effort permettra d’éviter la fragmentation qui peut se produire lorsque plusieurs départements sont impliqués dans le processus, ce qui a pour effet de diluer les responsabilités. Il est également essentiel de maintenir l’autonomie régionale pour permettre des réponses flexibles et spécifiques à chaque région, tout en garantissant l’unité du continent. Le CPS doit présenter la PAC comme une base de référence et non comme une réponse finale aux interactions entre le climat et la sécurité. Il doit également tenir compte de la nécessité d’une mise en œuvre et rendre compte de ses travaux au Conseil.
Enfin, la position commune devrait soutenir les mécanismes existants tels que la Stratégie et plan d’action de l’Afrique en matière de changement climatique et de développement résilient. Cette intégration devrait renforcer les efforts de l’Afrique en faveur de la résilience climatique, mais, là encore, c’est la volonté politique des États qui en déterminera le succès.