Coups d’État en Afrique : les acteurs étrangers sont-ils de simples boucs émissaires ?
En attribuant la responsabilité des coups d’État à des influences extérieures, on occulte le rôle des dirigeants et l’on se prive d’en traiter les causes.
À la suite du coup d’État du 26 juillet au Niger, le communiqué de la 1 172e réunion du Conseil de paix et de sécurité (CPS), qui a acté la suspension du Niger des activités de l’Union africaine (UA), a fermement condamné « toute ingérence d’un acteur ou d’un pays extérieur au continent dans les questions de paix et de sécurité en Afrique ».
Même si les problèmes domestiques ont été les principaux moteurs des récents coups d’État, les citoyens africains sont de plus en plus nombreux à s’inquiéter du rôle des acteurs extérieurs. Cela est dû en grande partie à la montée d’un sentiment anti-occidental associé à ces événements. La question reste toutefois de savoir s’il y a eu des interventions extérieures dans la recrudescence récente des coups d’État.
Les allégations et les arguments
Le passage en revue des arguments relatifs à l’implication d’acteurs extérieurs fait apparaître des divergences. Certains affirment que les intérêts politiques et militaires et l’accès aux ressources naturelles seraient les principales causes de l’ingérence de l’Occident en Afrique, y compris la destitution des dirigeants qui s’y opposent. Ils associent la défense d’intérêts stratégiques à l’incohérence des réactions des acteurs étrangers face aux coups d’État. Ils mettent ainsi en exergue l’approbation par la France du coup d’État militaire d’avril 2021 au Tchad et l’invocation par Paris de « circonstances exceptionnelles » et de considérations de sécurité.
Les États-Unis et la France ont condamné les prises de pouvoir militaires en Guinée, au Mali, au Burkina Faso et au Niger et ont . Cependant, ils ont soutenu le régime militaire au Tchad en raison de son rôle dans la lutte contre les militants islamistes au Sahel et dans le bassin du lac Tchad. Le Tchad est un allié clé de la France dans sa stratégie de sécurité en Afrique, en particulier dans sa campagne militaire contre les groupes islamistes dans ces deux régions.
Les États-Unis ont également tardé à nommer le coup d'État au Niger, n'appliquant ni sanctions ni suspension de l'aide jusqu'à deux mois après le coup de force, pour des raisons géopolitiques similaires. Par ailleurs, la société militaire privée russe Wagner aurait déjoué un complot en République centrafricaine, ce qui lui a permis de maintenir sa présence et ses intérêts dans le pays. Au Soudan, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et l’Égypte auraient soutenu la tentative des militaires de se maintenir au pouvoir pour renforcer leurs ambitions régionales.
Les défaillances des acteurs étrangers en matière de sécurité ont engendré un sentiment anti-occidental
Par ailleurs, l’échec des approches des acteurs étrangers dans le domaine de la sécurité a suscité un sentiment anti-occidental qui a été exploité par les putschistes pour justifier leurs actions dans le Sahel. L’absence de succès militaire au Mali, au Burkina Faso et au Niger a affaibli la crédibilité de la France en tant que partenaire en matière de sécurité et a détérioré les relations avec ses anciennes colonies.
Cette situation a entraîné la montée concomitante d’un sentiment anti-français au sein des élites militaires, justifiant le renversement des dirigeants proches de la France. Alors que cette rhétorique s’intensifie, le régime militaire nigérien s’est allié au Mali et au Burkina Faso pour accuser Paris d’être responsable des crises sécuritaires du Sahel.
De manière plus controversée, divers documents posent la question, concernant le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, des formations militaires que les futurs responsables de coups d’État ont suivies à l’étranger. Ainsi, le colonel Assimi Goïta, qui a fomenté les coups d’État de 2020 et 2021 au Mali, a reçu des formations aux États-Unis, en Russie, en France et en Allemagne. De son côté, le colonel guinéen Mamady Doumbouya, qui a dirigé le coup d’État de 2021, aurait bénéficié d’au moins une formation militaire de la part des États-Unis.
Alimenter les idées reçues
Comme il est courant en Afrique que des officiers de l’armée suivent des formations dans plusieurs pays étrangers, il est difficile d’établir un lien entre formation militaire et ingérence étrangère. On peut toutefois se demander dans quelle mesure les perceptions peuvent être influencées par les liens entre les auteurs de coups d’État et certains pays, que ce soit par le biais de formations ou en raison d’une proximité professionnelle.
Outre les intérêts militaires, certains affirment que c’est la nécessité d’accéder aux ressources naturelles de l’Afrique qui explique en grande partie l’influence extérieure exercée sur les putschistes. Jusqu’au coup d’État, le Niger a joué un rôle important dans l’architecture de sécurité de l’Occident, en particulier des États-Unis et de la France, dans la lutte contre les insurrections armées dans la région du Sahel.
Les acteurs extérieurs s’efforceront de maintenir leur influence pour mener des opérations de « contre-insurrection »
Bien que la France ait finalement quitté le pays, son refus de plier bagage après le coup d’État — en invoquant l’illégitimité du régime putschiste et un « anti-occidentalisme instrumentalisé » — a suscité des interrogations au sein de certains cercles politiques quant à ses motivations, alors qu’elle avait accepté de se retirer du Mali et du Burkina Faso dans des circonstances similaires.
Certains observateurs affirment que la réticence de la France à quitter le Niger, malgré les pressions, s’explique par la nécessité d’accéder à son uranium. La France en a besoin pour satisfaire ses exigences énergétiques et préserver son hégémonie politique dans le pays.
Certains Guinéens ont mis en cause Washington dans le coup d’État qui a touché leur pays en 2021, en évoquant les intérêts miniers américains. Des analystes ont également suggéré que le récent coup d’État au Gabon, mené par le général Brice Oligui Nguema, était en partie motivé par l’éloignement progressif d’Ali Bongo de Paris, symbolisé par l’adhésion du Gabon au Commonwealth.
La rencontre de Bongo avec le roi Charles en octobre 2022 aurait ainsi creusé un fossé entre le dirigeant déchu et les Français, qui craignaient que le Royaume-Uni n’empiète sur ses intérêts au Gabon. Le leader de l’opposition, Ondo Ossa, qui était susceptible de poursuivre l’éloignement vis-à-vis de Paris, estime que le coup d’État a été orchestré pour l’empêcher d’accéder au pouvoir et pour y maintenir la famille Bongo.
Bouc émissaire ou réelle préoccupation ?
D’autres soutiennent que le rôle des acteurs extérieurs dans les récents coups d’État ne serait qu’une extension du jeu politique. Ils estiment que les évènements ont été provoqués pour servir les ambitions économiques et politiques d’acteurs civils et militaires africains, qui s’alignent parfois sur les intérêts étrangers.
L’UA et les CER doivent mobiliser les ressources continentales et coordonner les approches contre-insurrectionnelles
Il n’est donc pas irréaliste d’imaginer que les États-Unis, la France et d’autres acteurs européens s’efforceront de maintenir leur influence dans certaines parties du continent pour mener des opérations de « contre-insurrection ». Et ce, même si cela implique de soutenir des gouvernements dirigés par des militaires, voire de collaborer avec eux. Dans ce contexte, les récents coups d’État peuvent être considérés comme une extension de la politique par d’autres moyens.
La récente recrudescence de coups d’État peut s’expliquer par une convergence de facteurs, oscillant entre la détérioration du contexte national et les influences étrangères. Au fond, ces coups d’État sont le signe d’une mauvaise gouvernance et d’une insécurité chroniques dans les pays concernés. Cela se manifeste par des défaillances militaires et une incapacité à lutter contre les insurrections islamistes (comme au Mali, au Burkina Faso et au Niger).
Ces coups d’État sont également la conséquence directe de dissensions entre les gouvernements civils et militaires concernant le contrôle des gouvernements de transition. Ces tensions ont été à l’origine des coups d’État au Mali (2021), au Burkina Faso (janvier et septembre 2022) et au Niger (2023), ainsi que des tentatives de coup d’État en Guinée-Bissau (2022) et en Gambie (2022).
En outre, le fait que des élections entachées d’allégations de fraude et perturbées par des manifestations antigouvernementales aient pu être considérées comme crédibles et démocratiques par des observateurs électoraux, qu’ils soient extérieurs ou continentaux, a contribué aux coups d’État au Mali (2018) et au Niger (2021). L’aggravation des difficultés économiques et la prolifération de pratiques autocratiques, telles que le clientélisme politique et les manipulations constitutionnelles, ont été des facteurs importants dans le coup d’État en Guinée.
Il est donc difficile de rejeter toute la responsabilité des coups d’État sur des éléments extérieurs. Toutefois, ceci n’enlève rien à la légitimité des préoccupations relatives aux influences extérieures sur la paix, la sécurité et la gouvernance de l’Afrique. Cependant, imputer la récente recrudescence des coups d’État aux seules influences extérieures constitue une tentative d’en faire un véritable bouc émissaire. Cela détourne l’attention des facteurs nationaux et de la responsabilité des dirigeants africains dans la recherche de solutions à la myriade de causes qui en sont à l’origine.
Les répercussions politiques
Il est dans l’intérêt du continent de s’attaquer à ce qui génère un environnement propice aux ingérences extérieures, plutôt que de se concentrer sur celles-ci. Grâce à une approche holistique qui tient compte des facteurs tant internes qu’externes, les décideurs politiques sont plus en mesure de relever les défis associés aux coups d’État et de promouvoir la stabilité et la gouvernance démocratique.
Tout en remédiant à l’incapacité de contenir les insurrections islamistes, il convient de repenser les stratégies de sécurité au Sahel et dans le bassin du lac Tchad, compte tenu du retrait progressif des forces étrangères. Un nouveau cadre de réponse sécuritaire devrait être mis en œuvre pour combler le vide ainsi créé et redéfinir la nature des relations avec les acteurs étrangers ayant une présence militaire sur le continent. La capacité des décideurs politiques régionaux et continentaux doit être renforcée pour à la fois suivre et façonner les partenariats de sécurité entre les États.
Dans le même ordre d’idées, la faiblesse des armées du Sahel et des efforts continentaux et régionaux de lutte contre l’insurrection met en évidence l’urgence d’agir. L’UA et les communautés économiques régionales doivent mobiliser les ressources du continent et diriger la coordination des approches anti-insurrectionnelles dans le Sahel et le bassin du lac Tchad. L’amélioration de la sécurité dans ces régions pourrait réduire l’incidence des coups d’État. On ne saurait trop insister sur l’importance du déploiement intégral de la Force africaine en attente et de la mise en place de son unité de lutte contre le terrorisme.
Sur le plan intérieur, il est essentiel de remédier à la mauvaise gouvernance et à l’insécurité qui sont à l’origine des coups d’État dans les États membres. Le CPS pourrait contribuer à revitaliser une dimension souvent négligée de l’endiguement des coups d’État, à savoir la prévention. La popularisation de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance permettrait également d’enraciner une gouvernance responsable et de promouvoir le constitutionnalisme dans les États membres.
Image : © Master Sgt. Ken Bergmann / 1st Combat Camera Squadron