Adapté de l'Union africaine

Améliorer l’efficacité des missions de terrain du CPS

Malgré des efforts louables, le Conseil de paix et de sécurité peine à rendre ses visites de terrain efficaces.

En septembre 2024, une mission du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) s’est rendue en République centrafricaine (RCA). Son premier objectif était d’évaluer la situation politique et sécuritaire et le second de lancer le Mois de l’amnistie en Afrique, qui encourage le désarmement des civils. L’ambassadeur général Antonio Santos, représentant spécial du président de la Commission de l’UA pour la RCA et chef du bureau de liaison de l’UA en RCA, s’est joint aux membres du CPS. La délégation s’est entretenue avec plus de deux cents parties prenantes, dont des représentants du gouvernement, du corps diplomatique et des organisations de la société civile.

La mission à Bangui s’inscrit dans le prolongement d’une pratique vieille de deux décennies qui a permis au Conseil de recueillir des informations de première main en dialoguant directement avec des acteurs essentiels afin de mieux répondre aux défis en matière de paix et de sécurité. Les missions de terrain constituent également un outil de suivi essentiel qui permet au CPS d’appréhender les situations à traiter et d’adapter ses réponses aux dynamiques internes des pays. Ces visites ont donc pour objectif de prévenir, d’arbitrer et de résoudre les conflits en fonction du contexte. De même, elles sont l’occasion d’aider les États membres touchés par des catastrophes naturelles ou d’autres problèmes.

Toutefois, malgré la place centrale de ce type de missions dans les travaux du CPS et les progrès accomplis au cours des deux dernières décennies, divers obstacles entravent considérablement les efforts du CPS et minimisent ses impacts.

Faire le point

Depuis sa création en 2004, le CPS a entrepris 43 missions de terrain dans 20 pays des cinq régions de l’UA, pendant plus de 130 jours. Ces visites de suivi et d’enquête sont axées sur la gestion des conflits et la réponse aux crises plutôt que sur la prévention. Deux d’entre elles ont été conduites avec le Conseil de paix et de sécurité de l’Union européenne au Mali (2015) et en République centrafricaine (2018) et l’une a été effectuée par le Comité d’état-major en Somalie en 2023.

Depuis 2004, le CPS a mené 43 missions dans 20 pays différents pendant plus de 130 jours

L’Afrique de l’Est a reçu le plus d’attention, puisqu’elle a accueilli 45 % des missions, soit 22 visites (voir figure 1). Le Soudan du Sud, la Somalie et le Soudan font partie des trois pays les plus visités du continent, le Soudan du Sud et le Soudan ayant accueilli des délégations du CPS à huit reprises. Vient ensuite l’Afrique centrale avec 26,5 % des missions, une région où le Tchad est en tête des six pays visités. L’Afrique de l’Ouest arrive en troisième position, avec 22 % des missions, bien que celles-ci soient réparties entre huit pays. L’Afrique australe demeure quant à elle la moins visitée, avec 6 % des missions, dont deux dans deux pays seulement. Cette disparité est due à la récurrence des visites dans certains pays de régions telles que l’Afrique de l’Est, ce qui laisse supposer l’existence d’une crise nécessitant l’intervention continue du Conseil.

Figure 1 : Nombre de visites de terrain par région
Figure 1 : Nombre de visites de terrain par région

Source : Secrétariat du CPS de l’UA

 

En Afrique de l’Est, les missions spécifiques aux pays ont porté sur des questions telles que les opérations de soutien à la paix, la lutte contre le terrorisme et les processus et mécanismes de résolution des conflits. La mission de transition de l’UA en Somalie et la mission d’enquête d’octobre 2024 à Port-Soudan, dans le cadre du conflit en cours, ont également été abordées. Le Soudan du Sud a fait l’objet de cinq visites entre janvier 2016 et juin 2024, principalement pour surveiller la mise en œuvre de l’accord sur la résolution du conflit au Soudan du Sud.

En Afrique centrale, l’accent a été mis sur la lutte contre le terrorisme, les opérations de soutien à la paix (OSP) et la Force multinationale mixte. Le bassin du lac Tchad a été visité et la mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) en République démocratique du Congo (RDC) a été active dans l’est du pays. Le Gabon et le Tchad se sont distingués avec l’accueil de missions axées sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Les deux missions dépêchées en Afrique australe ont principalement porté sur des questions de gouvernance électorale au Lesotho et sur la lutte contre le terrorisme et les organisations de la société civile au Mozambique, en se concentrant sur la mission de la SADC au Mozambique. Cela démontre que la décision de mener une visite de terrain est surtout dictée par l’existence d’une crise, les régions ayant reçu le plus grand nombre de visites étant celles où les problèmes sont les plus urgents.

Figure 2 : Nombre de visites de terrain par pays
Figure 2 : Nombre de visites de terrain par pays

Source : Secrétariat du CPS de l’UA

 

C’est en Afrique centrale que le CPS a été le plus actif. La région représente 66 % du total des missions, malgré un nombre moins élevé de pays visités. Cela s’explique en partie parce qu’il y a plus de pays dans cette région du continent. Cela indique également que les missions ont un accès limité aux États membres touchés et qu’elles tendent à se concentrer sur certaines crises.

Comme le montre la figure 3, 22 discussions ont porté sur les élections et les questions de gouvernance, 21 sur la résolution des conflits et les OSP et 17 sur la lutte contre le terrorisme. Ce qui est lié en grande partie aux tendances actuelles en matière de paix et de sécurité dans les régions. Par exemple, les multiples visites en Somalie correspondent aux besoins en rapport avec la passation de pouvoirs de la mission de l’UA en Somalie à la mission de transition de l’UA en Somalie et avec la nécessité d’une action continentale contre l’insécurité.

Figure 3 : Thèmes abordés lors des missions de terrain de l’UA
Figure 3 : Thèmes abordés lors des missions de terrain de l’UA

Source : Secrétariat du CPS de l’UA

Ce tableau recense les thématiques abordées et leur fréquence, d’après l’analyse des rapports, déclarations et communiqués de 36 missions de terrain. Au total, le CPS a mené 43 missions avec le Comité d’état-major, dont une couvrant les quatre pays du bassin du lac Tchad.

 

Des défis

Les données recueillies indiquent que le CPS a effectué en moyenne deux missions de terrain par an. Compte tenu de la situation qui prévaut sur le continent, ce chiffre semble bien faible et d’autres situations préoccupantes auraient dû faire l’objet de visites. Même si le CPS aurait pu tirer parti d’autres outils de gestion des conflits à sa disposition, le déploiement de visites de terrain visibles et efficaces demeure un bon moyen de sensibiliser les citoyens africains et renforcer leur confiance.

Les acteurs politiques interrogés par le Rapport sur le CPS évoquent toutefois des obstacles à l’augmentation de la fréquence des visites de terrain. Le premier est l’influence sur l’ordre du jour de la présidence tournante du CPS, qui présente chaque mois ses priorités aux 15 membres du Conseil. Certains présidents évitent d’aborder des crises considérées comme sensibles pour leurs intérêts régionaux, ce qui implique de passer sous silence la nécessité d’une visite de terrain. Bien que les membres du CPS aient généralement leur mot à dire sur l’ordre du jour mensuel, il est rare que des situations autres que celles proposées par la nouvelle présidence y soient ajoutées.

Deuxièmement, même lorsque des missions de terrain sont proposées et effectuées, la présidence du CPS et les autres membres du Conseil préservent leurs intérêts en étant extrêmement attentifs au contenu des rapports. Outre la reformulation des rapports, la modération des conclusions constitue un défi de taille pour l’efficacité des missions du CPS. Bien souvent, certaines préoccupations ne sont pas abordées avec toute la sévérité qu’elles mériteraient.

Les missions sont rarement bien accueillies, surtout si le sujet est trop sensible

Le troisième problème réside dans la coopération limitée ou le manque de coopération de la part des gouvernements hôtes. Certaines sources ont indiqué au Rapport sur le CPS que les missions politiques de l’UA sont rarement bien accueillies, en particulier lorsque le pays hôte estime que la situation est trop sensible ou relève de ses affaires internes. Par exemple, les représentants de l’UA se sont vu refuser, sans aucune explication, l’accès aux autorités maliennes pour discuter des questions de transition à la suite du coup d’État.

Renforcer les missions

Le CPS pourrait envisager la mise en place de missions régionales permanentes de suivi et d’observation dotées de mandats étendus et d’équipements adéquats, au moins dans les situations les plus critiques, au lieu de s’appuyer constamment sur des missions sporadiques. Étant donné les difficultés du Conseil à entreprendre davantage de missions dans le cadre de l’approche actuelle, ce dispositif pourrait présenter un double avantage. Il rapprocherait l’UA des crises et des principales parties prenantes tout en favorisant un dialogue cohérent avec les protagonistes et les organes régionaux en vue d’aborder des problèmes émergents. Le Conseil pourrait également faire appel à des experts indépendants pour la collecte de données, conformément au modèle de sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies.

Même si certains États membres ont pu s’opposer à certaines discussions et à certaines visites de terrain, le CPS ne devrait pas hésiter à examiner les questions qu’il juge primordiales pour la paix et la sécurité du continent. L’idée n’est pas de présenter les États membres sous un aspect négatif, mais de leur offrir le soutien nécessaire des structures continentales. Cette question devrait faire l’objet d’un atelier lors d’une prochaine Conférence de l’UA afin de permettre aux États membres de mieux comprendre ce qui pousse le CPS à déployer des missions de terrain.

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