Coup de projecteur : La criminalité et la corruption alimentent le braconnage de rhinocéros dans le parc Kruger

Une étude menée dans la province sud-africaine du Mpumalanga révèle des liens complexes entre pauvreté, criminalité et application déficiente de la loi.

Une étude de terrain conduite dans le cadre du programme ENACT a mis en évidence le rôle moteur joué par les réseaux criminels violents et la corruption interne dans le braconnage de rhinocéros au sein du parc national Kruger en Afrique du Sud.

ENACT est un programme financé par l’Union européenne qui analyse la criminalité transnationale organisée en Afrique et élabore des stratégies de lutte correspondantes. Il est mis en œuvre par l’Institut d’études de sécurité (ISS) en partenariat avec INTERPOL et l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée.

Les rhinocéros d’Afrique du Sud sont traqués depuis de nombreuses années. Dans le parc Kruger, le nombre de rhinocéros blancs a chuté de 75 % entre 2011 et 2020 et la petite population de rhinocéros noirs, gravement menacée d’extinction, a diminué de plus de la moitié.

S’il est difficile d’évaluer le nombre d’employés du parc participant à des activités de braconnage, des enquêtes menées par le cabinet d’audit KPMG et la police ont permis d’établir qu’au moins 50 membres du personnel avaient reçu des paiements criminels. Les mesures prises pour remédier à la situation commencent à porter leurs fruits. Deux gardes forestiers et 11 complices impliqués dans des affaires de braconnage, de corruption et de blanchiment d’argent ont ainsi été arrêtés en 2022. 

L’étude menée par ENACT dans la province du Mpumalanga et dans le parc Kruger entre octobre 2022 et janvier 2023 comprenait des entretiens anonymes avec des agents de protection de la faune et des membres des forces de l’ordre, ainsi qu’un examen des recherches réalisées, des documents judiciaires disponibles, des séquences vidéo enregistrées et des rapports émanant de la société civile. Elle a mis en évidence des liens complexes entre la corruption, la criminalité organisée et le braconnage, et analysé les motifs incitant certaines personnes à mettre en péril les espèces sauvages qu’elles sont payées pour protéger.

Plus de 2,9 millions de personnes vivent dans un rayon de 50 km autour de la limite occidentale du parc Kruger. Dans un contexte local marqué par un taux de chômage de plus de 45 %, le parc emploie quelque 2 500 personnes et soutient 4 500 emplois indirects.

La plupart des membres du personnel vivent à proximité du parc et sont donc vulnérables aux menaces et à la coercition exercées par les réseaux de braconnage et les gangs criminels mêlés à la population. « Que faire lorsque l’on vit dans des communautés où les réseaux sont si profondément implantés ? », confie Cathy Dreyer, cheffe des gardes forestiers du parc Kruger, à ENACT. « Je ne cherche pas à les excuser, mais beaucoup de gardes forestiers impliqués dans des affaires de braconnage ou de corruption ont vu leur famille, leurs moyens de subsistance menacés. Et ils n’ont aucune échappatoire. »

Le personnel du parc Kruger est vulnérable aux menaces et à la coercition des réseaux et des gangs

La corruption de la police a créé un vide dans la gouvernance et l’application de la loi, exacerbé par la pauvreté, les inégalités, l’instabilité politique et l’inertie de l’État. Les assassinats de dirigeants politiques, de chefs traditionnels, d’un enquêteur de police expérimenté, de témoins et de figures du crime organisé ont renforcé le climat de peur.

Les relations entre le personnel et la direction du parc Kruger se sont entachées de méfiance et l’intense pression physique et psychologique exercée sur les gardes forestiers par la « guerre » militarisée contre le braconnage a encore aggravé la situation.

Dans le passé, les pouvoirs publics et les organisations de protection de la nature ont investi d’importantes sommes d’argent et déployé des drones, des avions et des moyens technologiques pour tenter de juguler la crise. Malgré ces mesures, les conditions de vie sont restées difficiles pour les populations riveraines du parc et les membres du personnel ont constaté peu de changements dans leur réalité quotidienne. Le moral général n’a cessé de baisser alors que « l’éternelle guerre » contre le braconnage de rhinocéros s’intensifiait en parallèle.

« Ce conflit plus long que de nombreuses guerres en Afrique australe a eu de graves répercussions sur les gardes forestiers qui se trouvaient en première ligne », indique Julian Rademeyer, directeur de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée en Afrique de l’Est et Afrique australe et auteur du rapport d’ENACT.

Il souligne que la direction du parc Kruger a pris des mesures pour repérer et écarter les employés corrompus et pour revoir les salaires des gardes forestiers, dans l’objectif de renforcer la motivation et de rétablir la confiance. « Une dynamique de changement est en marche au sein du parc Kruger, avec des personnes soucieuses de l’éthique qui travaillent dur pour redresser la situation. »

Les résultats de l’étude ayant fait l’objet d’une large couverture médiatique, Julian Rademeyer a été invité à tenir une séance d’information auprès de la Commission parlementaire des forêts, de la pêche et de l’environnement. La ministre de l’Environnement Barbara Creecy a fait référence au rapport d’ENACT lorsqu’elle a annoncé au Parlement que le Cabinet ministériel avait finalement adopté la nouvelle stratégie nationale intégrée de lutte contre la criminalité liée aux espèces sauvages.

Elle a indiqué que le gouvernement s’attacherait à améliorer le bien-être du personnel du parc Kruger afin de réduire l’attrait du commerce illicite. Les mesures envisagées incluent des possibilités d’évolution professionnelle, des formations, une ligne de signalement anonyme et la création de comités de liaison avec les communautés.

« La lutte qui se joue dans le parc Kruger reflète la situation globale en Afrique du Sud », explique Eric Pelser, responsable du programme ENACT au sein de l’ISS. « Les réseaux criminels et leurs pratiques de corruption des fonctionnaires constituent une menace existentielle pour la population, la démocratie, l’intégrité politique et la croissance économique en Afrique du Sud. »

L’étude d’ENACT sera réitérée en 2024 afin de suivre les avancées.

Pour plus d’informations, veuillez contacter :

Eric Pelser, ISS : [email protected]

Image : © Stephanie de Sakutin/AFP

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