Zinsou contre Talon : qui sera le prochain président du Bénin?
Après un premier tour de scrutin pacifique, les citoyens du Bénin choisiront leur prochain leader au deuxième tour le 20 mars.
Le 20 mars prochain les Béninois choisiront leur président lors du second tour d’un scrutin ouvert dont l’issue demeure incertaine. L’enjeu de cette élection est d’autant plus important qu’elle consolide les acquis démocratiques en marquant la quatrième alternance démocratique du pays depuis l’avènement du multipartisme en 1990. Si les résultats du premier tour étaient loin d’être prévisibles, ceux du second tour demeurent incertains, dans la mesure où le jeu des alliances et la capacité des candidats à convaincre leurs électeurs pourraient jouer un rôle déterminant dans le choix du prochain président.
Au regard du déroulement des élections, des résultats du premier tour et de l’émergence de deux candidats, l’actuel Premier ministre et candidat de la mouvance, Lionel Zinsou, et l’homme d’affaires Patrice Talon, l'entre-deux-tours appelle quatre observations.
La CENA semble avoir tiré les leçons depuis son institutionalisation en tant que commission permanente
La première est liée à l’organisation du scrutin par la Commission électorale nationale autonome (CENA). Celle-ci semble avoir tiré les leçons des deux dernières élections tenues depuis son institutionalisation par la loi n° 2013-06 du 25 novembre 2013 en tant que commission permanente. En effet, la CENA a fait preuve d’une flexibilité appréciable, non seulement en permettant aux votants n’ayant pas obtenu leur nouvelle carte d’électeur d’utiliser celle des scrutins de 2015, mais aussi en autorisant les nouveaux majeurs à voter avec leur carte d’identité nationale. La CENA a, en outre, montré son aptitude à faire consensus en associant la société civile et les partis politiques dans la décision de reporter les dates du scrutin. La commission a aussi mieux communiqué en faisant un plus grand usage des réseaux sociaux. Enfin, les grandes tendances de l’élection ont été annoncées dans un délai raisonnable, soit 48 heures après le vote, contrairement aux élections législatives du 26 avril 2015 où elles avaient été révélées cinq jours après la date du scrutin.
Deuxièmement, s'agissant des résultats, il importe d'abord de constater qu’au regard du risque d’une fracture au sein de l’électorat en raison de la multitude de candidats – 33 pour un électorat de 4,7 millions – le premier tour de l’élection s’est joué entre les cinq favoris. Ces derniers mobilisent à eux seuls plus de 90 % de l’électorat. Il s’agit, par ordre décroissant, de Lionel Zinsou, 28,42 %, Patrice Talon, 24,73 %, Sébastien Ajavon, 22,96 %, Abdoulaye Bio Tchané, 8,69 %, et Pascal Irénée Koupaki, 5,87 %, les autres candidats ayant obtenu chacun moins de 2 % des suffrages.
Ainsi, Patrice Talon et Sébastien Ajavon, les deux richissimes hommes d’affaires de ce quintet de tête, totalisent à eux seuls près de 50 % des voix, ce qui semble refléter une crise de confiance des populations béninoises à l’égard des politiciens traditionnels auxquels les populations semblent reprocher leurs ambitions mercantilistes et l’échec des politiques menées jusqu’ici. Le poids de ces deux candidats au sortir du premier tour, qui ont à plusieurs reprises de leurs propres aveux financé des prétendants lors de précédents scrutins, montre aussi avec acuité l’importance des moyens financiers dans l’organisation des campagnes électorales.
Dans la perspective d’un second tour, le jeu des alliances aura un impact certain sur l’issue de l’élection
Ensuite, considérant la répartition géographique de l’électorat en faveur des candidats retenus pour le second tour, le jeu des alliances semble avoir joué en faveur de Lionel Zinsou. L’alliance qui porte sa candidature, dite « de continuité », composée des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE) de la mouvance présidentielle, du Parti du renouveau démocratique (PRD) et de la Renaissance du Bénin (RB), s’est formée le 12 janvier dernier. En effet, dans les fiefs des FCBE que sont le Nord et les Collines, et dans l’Ouémé, plus précisément à Porto Novo (fief du PRD), la performance de Zinsou semble fortement attribuable au soutien du président sortant Yayi Boni – originaire du Nord du pays – et à Adrien Houngbédji, président du PRD, originaire de Porto Novo. Cependant, dans les zones d’électorat traditionnels de la RB que sont le Zou, le Littoral et l’Atlantique, Zinsou a effectué une contre-performance. Il importe de noter que les résultats de Zinsou dans les fiefs respectifs du PRD et de la RB sont inférieurs à ceux obtenus par les deux partis pendant les élections législatives du 26 Avril 2015 et communales du 28 juin 2015.
D’une part, le comportement des électeurs dans les bastions du PRD et de la RB pourrait être une résultante de la désapprobation des militants de base sur le choix de Zinsou et aussi la conséquence des désaccords internes qui ont provoqué des départs au profit des candidats de l’opposition. Le comportement des électeurs démontre par ailleurs la réticence des partisans de ces deux partis à suivre les instructions de leurs leaders politiques – preuve que le respect des consignes de vote n’est pas automatique.
D’autre part, au regard du départ annoncé du président sortant à la fin de son second mandat, ces résultats semblent être un désaveu des populations à l’égard de ce dernier. En effet, les 28,42 % obtenus par Zinsou contre plus de 63 % pour les candidats dits de rupture (Talon, Ajavon, Bio Tchané, Koupaki et Amoussou Fernand) pourraient s’interpréter comme un vote sanction contre le président sortant, mais aussi contre le PRD et la RB dont la décision de rejoindre la mouvance présidentielle est taxée « d’opportuniste » par une partie de l’opinion publique, compte tenu du fait que ces deux partis étaient jusqu’alors dans l’opposition. Par ailleurs, ce résultat du pouvoir apparaît comme une contre-performance au regard des 52 % qui ont porté Boni Yayi à la présidence dès le premier tour en 2011, même si le contexte des deux élections est différent.
Le résultat obtenu par Zinsou au premier tour semble être un désaveu des populations à l’égard du président sortant
Dans la perspective d’un second tour, le jeu des alliances aura un impact certain sur l’issue de l’élection. Pour l’instant, deux coalitions se sont formées autour des candidats qui se présentent. Il s’agit de l’alliance, dite de « la continuité », FCBE-PRD-RB de Lionel Zinsou et de celle dite de « la rupture » composée de Patrice Talon, Sébastien Ajavon, Pascal Irénée Koupaki, Abdoulaye Bio Tchané et Fernand Amoussou. Ces derniers avaient signé le 15 janvier 2015, au lendemain de la formation de l’alliance FCBE-RB-PRD, un pacte moral pour faire contrepoids au candidat de la mouvance, Lionel Zinsou, lors du second tour de l’élection. Si pour l’instant l’alliance FCBE-PRD-RB parait soudée derrière son candidat, la situation au sein de la coalition de la rupture demeure incertaine.
Cependant, compte tenu des résultats du premier tour et des tractations depuis l’annonce des résultats par la Cour Constitutionelle le 13 mars dernier, Patrice Talon semble être en position de force face à Lionel Zinsou, d’autant plus que les candidats de l’alliance qui est supposée le porter ont totalisé ensemble plus de 63 % des voix. En effet, Talon bénéficie pour l’instant du soutien d’une vingtaine de candidats malheureux. Le 14 mars, ces derniers, y compris le candidat Sébastien Ajavon sorti troisième du premier tour avec 22,96% des voix, ont signé un protocole d’accord pour apporter leurs soutiens à Patrice Talon lors du second tour.
Par ailleurs, la performance enregistrée par Talon est d’autant plus remarquable qu’il ressort en deuxième position du scrutin alors qu’il s’était présenté à l’élection en tant que candidat indépendant. Néanmoins, d’éventuels désistements, revirements de dernière minute au profit de Lionel Zinsou ne sont pas à exclure. En outre, il n’est pas certain que les militants à la base suivront les consignes de vote.
Après un premier tour qui s’est déroulé dans un climat globalement apaisé, les institutions en charge de l’organisation de l’élection doivent maintenant relever le défi d’un second tour pacifique et garantir la transparence et la crédibilité des résultats.
Le paysage politique béninois ne sera plus le même au sortir de ces élections. Quel qu’en soit l’issue, le président élu aura la lourde responsabilité de rassembler les différentes forces politiques pour faire face aux défis que sont la pauvreté, le chômage des jeunes, la corruption, et la securité intérieure.
Ella Jeannine Abatan, Chercheur boursier, Division Prévention des Conflits et Analyse des Risques, ISS Dakar