Une drones peut-elle rendre les mers africaines plus sûres ?

Le coût abordable des drones permettraient d’atténuer la pénurie de ressources en matière de sécurité maritime en Afrique.

Le 29 octobre, l’Ukraine a attaqué des navires de la flotte russe dans le port de Sébastopol, en Crimée, au moyen de drones aériens et de drones de surface navals (USV). Le navire amiral de la flotte russe de la mer Noire, l’Amiral Makarov, ainsi qu’un dragueur de mines auraient été endommagés.

Ces nouvelles tactiques en matière de guerre navale mettent en lumière le rôle potentiel des drones dans la sécurité maritime, notamment en Afrique. Tous les États côtiers du continent sont confrontés à des menaces non militaires et transfrontalières, comme le trafic, la surpêche, l’immigration clandestine et la piraterie, et ne disposent pas de ressources suffisantes pour protéger leurs territoires. Cette nouvelle technologie pourrait-elle y remédier ?

Les armées du monde entier reconnaissent que les drones aériens pourraient optimiser les opérations navales. En dehors de l’Ukraine, plusieurs pays dont la Chine, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni utilisent des drones perfectionnés pour assurer la protection de leurs frontières maritimes, et développent la technologie des drones de surface navals.

L’absence de pilote est un avantage évident. Les missions sont mises en œuvre par une petite équipe d’experts, et les plateformes modernes peuvent transporter différentes charges utiles, ce qui rend les systèmes relativement abordables. Les drones peuvent aussi accomplir une variété de tâches et atteindre des lieux plus éloignés ou inaccessibles.

Le secteur privé a été le premier à utiliser cette technologie pour la surveillance, le contrôle des ports et des installations pétrolières et gazières en mer, la détection de la pollution marine et les relevés océanographiques. Toutefois, des organisations criminelles peuvent également utiliser ces innovations pour exploiter les lacunes en matière de maintien de l’ordre et de surveillance.

Les drones sont abordables et relativement faciles à déployer, ce qui peut être utile aux marines nationales et aux gardes-côtes

En juillet, la police espagnole a appréhendé des suspects impliqués dans la fabrication de drones sous-marins utilisés pour le trafic de drogue en provenance du Maroc. Les guérilleros colombiens utilisent des tactiques similaires, faisant passer des stupéfiants à l’aide de drones de surface navals télécommandés. Les rebelles Houthis du Yémen ont également mené plusieurs attaques en mer Rouge à l’aide de drones du même type.

La prolifération des drones et leur utilisation par des acteurs non-étatiques à des fins malveillantes devraient inquiéter les décideurs politiques en Afrique, où les groupes armés sont à l’origine de nombreux conflits et où la criminalité organisée sévit.

Dans le même temps, la sécurisation du paysage maritime africain est une mission de grande envergure. Les pays ont la responsabilité d’un vaste espace, avec une longueur totale des côtes de 26 000 milles marins et une zone économique exclusive combinée de 13 millions de km2. L’ampleur des menaces maritimes en Afrique nécessite des investissements importants concernant la sensibilisation, le suivi des personnes et des marchandises en mer, et la détection rapide des activités suspectes. La plupart des États n’ont pas une capacité suffisante de surveillance qui leur permette de dissuader ou d’appréhender les contrevenants potentiels.

Parce qu’ils sont abordables et relativement faciles à déployer, les drones peuvent être utiles aux marines nationales et aux gardes-côtes. Ebunoluwa George Ojo-ami, pilote de drone et spécialiste des informations et des opérations dans une entreprise de sécurité maritime basée au Nigeria, a déclaré à ISS Today que « les technologies sans pilote pourraient soutenir et faciliter les missions des marines africaines ».

Il a affirmé que même les technologies actuelles pourraient améliorer considérablement la connaissance de la situation maritime et renforcer les opérations de maintien de l’ordre en mer, tout en réduisant les risques pour la vie humaine. Ces technologies pourraient permettre de relever l’un des principaux défis de l’Afrique : travailler avec des capacités limitées pour obtenir un impact maximal.

Plusieurs pays africains ont déjà commencé à utiliser des drones pour assurer leur sécurité maritime

Plusieurs pays africains ont déjà commencé à utiliser des drones pour assurer leur sécurité maritime. Le Nigeria a par exemple acheté des drones maritimes pour mener à bien son projet de sécurité maritime intitulé Deep Blue. Selon Bashir Jamoh, directeur général de l’Agence nigériane d’administration et de sécurité maritimes, les nouveaux systèmes fourniront « des informations en temps réel permettant d’agir en temps utile pour assurer la sécurité des navires et des marins dans nos eaux ».

L’Autorité de la pêche des Seychelles a quant à elle récemment acquis des drones  maritimes dotés de capacités d’intelligence artificielle avancées. Ces drones faciliteront la surveillance en temps réel des « navires cibles », et amélioreront les opérations de recherche et de sauvetage en surveillant les zones éloignées le long du littoral des Seychelles.

Malgré les avantages qu’elle procure, cette technologie n’est pas parfaite et plusieurs facteurs peuvent retarder son déploiement. Tout d’abord, la taille du drone détermine la nature des tâches à mettre en œuvre, la durée pendant laquelle il peut opérer en haute mer, sa portée, sa vitesse et sa vulnérabilité aux changements météorologiques. Neil Tinmouth, président-directeur général d’ACUA Ocean et expert en drones de surface navals, a expliqué à ISS Today que la préférence allait actuellement aux plateformes plus petites et plus économiques, qui fonctionnaient mieux dans les eaux côtières et les ports.

Cependant, les systèmes plus petits ont un champ d’action, des fonctions et une portée limités, ce qui se traduit par un faible retour sur investissement. Les plateformes plus grandes, qui accomplissent des tâches plus variées pendant plus longtemps, ont tendance à coûter plus cher. Alors qu’un petit drone peut être acheté pour environ 350 000 dollars US, un plus grand peut coûter entre 2 et 5 millions de dollars.

L’utilisation des drones en Afrique est entravée par des réglementations obsolètes et des retards administratifs

Malgré ces coûts plus élevés, plusieurs facteurs font que les drones plus grands sont mieux adaptés à la sécurité maritime à un coût opérationnel comparable à des plus petits. Ils ont notamment pour avantage de pouvoir opérer en pleine mer, transporter des systèmes de communication à large bande passante et déployer des capteurs à charge utile puissants et stables.

Selon Tinmouth, le rapport coût-bénéfice des drones de plus grande envergure devient évident au fil du temps par rapport aux plateformes navales traditionnelles. Ils offrent un moyen évolutif d’atteindre la couverture géographique et temporelle qui est de plus en plus nécessaire dans l’environnement maritime actuel.

Le deuxième inconvénient est que les drones, et les données qu’ils recueillent, sont exposés aux risque de piratage. Les drones modernes et les plateformes flottantes opérant en mer s’appuient sur la navigation et les données par satellite, qui sont susceptibles d’être perturbées. De ce fait, les attaques visant à modifier les signaux GPS d'un drone, en particulier, sont source d’inquiétude.

Des acteurs étatiques et non étatiques hostiles pourraient ainsi « tromper » un GPS en modifiant ses coordonnées de localisation, en le neutralisant ou en exposant les navires de passage à des risques de collision et de naufrage. Le mauvais déploiement ou la modification des signaux GPS d’un drone pourraient même être considérés comme des actes de guerre ou avoir de graves conséquences juridiques.

Enfin, le déploiement des systèmes de véhicules sans pilote se voit limité par des réglementations obsolètes. Selon Tinmouth, le principal obstacle est le décalage entre les directives existantes et les exigences relatives à l’utilisation de systèmes sans équipage dans les eaux africaines.

Par exemple, des caméras ou des capteurs embarqués sur des drones peuvent détecter la présence d’un navire dans des eaux réglementées, mais cela ne suffit pas forcément à arrêter et à poursuivre des individus. Un autre défi concerne la délimitation des juridictions et la collecte de preuves qui en découle, ce qui peut entraîner des lacunes juridiques. Les gouvernements doivent modifier les réglementations pour couvrir les opérations effectuées par des drones et s’assurer que les données recueillies peuvent être utilisées dans le cadre d'arrestations et de procès.

Bien que les drones ne puissent pas encore se substituer totalement aux forces de l’ordre, ils peuvent avoir un effet multiplicateur, en renforçant les opérations et en décourageant les activités illégales en mer. La priorité pour les gouvernements africains est de s’attaquer aux réglementations obsolètes et aux retards administratifs. Ces éléments compliquent le déploiement de nouveaux systèmes, limitent la portée des tâches que les drones peuvent accomplir, ou rendent le déploiement tout bonnement impossible.

L’Organisation maritime internationale élabore actuellement un instrument destiné à réglementer l’utilisation des navires de surface autonomes, qui entrera en vigueur en 2028. Au cours des cinq prochaines années, les organisations et gouvernements africains devraient rédiger des lois qui s’aligneront sur ces réglementations et permettront de les harmoniser.

Grâce aux nouvelles avancées technologiques, l’utilisation de drones dans le cadre de patrouilles maritimes, de la surveillance des activités maritimes illicites et du signalement des accidents et de la pollution pourrait transformer la sécurité et le développement du littoral et des mers d’Afrique.

Denys Reva, chercheur, et Tshegofatso Johanna Ramachela, stagiaire, secteur maritime, ISS Pretoria

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