Un troisième mandat à tout prix pour le président guinéen

Le référendum d'Alpha Condé visant à modifier la Constitution pourrait encore attiser la colère des Guinéens.

Le président guinéen Alpha Condé a récemment signé un décret prévoyant la tenue, le dimanche 22 mars, d'élections législatives et d'un référendum visant à modifier la Constitution. Cette décision est intervenue après trois reports des élections en trois semaines. Ce référendum vise notamment à supprimer la limitation des mandats présidentiels, ce qui permettrait au président sortant Condé, âgé de 82 ans, de se présenter pour un troisième mandat.

Ces projets ont provoqué des manifestations massives en Guinée. Jusqu'à présent, la situation guinéenne n’est pas inscrite à l'ordre du jour du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l'Union africaine (UA). En revanche, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a quant à elle pris des mesures, en refusant de déployer des observateurs lors des élections et du référendum initialement prévus pour le 1er mars, à l’instar de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et plus tard de l'UA.

Au cours de la dernière semaine de février, Condé aurait opposé une fin de non-recevoir à une demande de la CEDEAO de déployer en Guinée une mission de haut niveau (comprenant les présidents du Nigeria, du Ghana, du Burkina et du Niger). C'est la pression combinée de l'OIF et de la CEDEAO, ainsi que le désaveu ultérieur de l'UA, qui ont conduit au dernier report en date des élections et du référendum.

Pendant ce temps, persistent des problèmes fondamentaux autour des listes électorales, de la transparence, de la crédibilité et du caractère inclusif du scrutin législatif et du référendum, et finalement des élections présidentielles prévues en octobre 2020. L'incertitude quant à la candidature de Condé à un troisième mandat est également au cœur des manifestations. Cette question doit impérativement être résolue.

L'incertitude quant à la candidature de Condé à un troisième mandat est au cœur de la contestation

Tant la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, adoptée par l'UA en 2007, que le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance de 2001 découragent toute modification constitutionnelle portant atteinte au principe de l’alternance du pouvoir. Ces deux instruments encouragent également la tenue d'élections libres, équitables et inclusives.

La crise en Guinée se profilait depuis plus de deux ans. Après des mois de spéculation publique et de flou au sommet de l’État, les déclarations du gouvernement et de Condé lui-même indiquaient la probabilité d’un passage rapide à une modification de la Constitution visant à supprimer la limitation des mandats présidentiels.

Cela s'est produit à l’issue de manifestations massives, qui ont vu la Guinée sombrer dans un cycle de violence et de répression, faisant plusieurs morts. Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), composé d'acteurs sociopolitiques guinéens, était à l'avant-garde de la riposte contre les projets de Condé.

Le FNDC et les partis d'opposition ont alors pris la décision de boycotter les élections législatives, au motif que celles-ci ne seraient ni libres ni équitables. Ils ont invoqué des irrégularités concernant les listes électorales et l'impartialité de la Commission électorale nationale (CENI). Les listes électorales ont été contestées et sept membres de la CENI ont démissionné en guise de protestation contre le manque de transparence du processus électoral et l’incapacité de la CENI à mener à bien son mandat.

Le pays va probablement sombrer dans une plus grande instabilité à l'approche de l'élection présidentielle

Le processus électoral a suscité un boycott d’autant plus important après la signature par le président de décrets successifs prévoyant la tenue simultanée des élections législatives et du référendum. Le couplage des deux scrutins a été considéré comme une tentative à peine voilée de stimuler la participation des électeurs, ce qui permettrait de renforcer la légitimité du référendum.

Un audit des listes électorales réalisé à la demande du gouvernement guinéen et mené par l'OIF, l'UE et les Nations Unies en 2018 a révélé des irrégularités concernant près de 2,5 millions d'électeurs (sur 11,6 millions d'électeurs inscrits). Ayant constaté que le gouvernement n'avait pas résolu ces irrégularités, l’OIF et l'Union européenne ont soutenu l’opposition au processus électoral.

La CEDEAO a déployé une mission d'enquête en Guinée du 3 au 13 mars, notamment afin d’examiner la question des listes électorales. Cette mission, qui a pris fin le 11 mars, a recommandé de rayer les électeurs problématiques des listes électorales.

L’UA aura du mal à se saisir de la décision de Condé de modifier la Constitution, étant donné que plusieurs autres dirigeants africains ont récemment fait de même. Ces dix dernières années, au moins sept pays africains ont modifié leurs constitutions dans le but de supprimer la limitation des mandats présidentiels, de remettre le compteur des mandats à zéro ou d’accroître les pouvoirs de l'exécutif. Certains ont modifié leur constitution pour atteindre, non pas un, mais plusieurs de ces objectifs.

L'instabilité de la Guinée aggravera les défis que pose le terrorisme, qui touche de nombreux pays de la région

Ces décisions ont gravement entravé les contre-pouvoirs de ces systèmes, tout en réduisant l'espace civique à travers le continent. Dans tous ces cas, les gouvernements ont pris des décisions controversées et contestées (bien qu’en toute légalité pour la plupart) visant à renverser l'ordre constitutionnel. Cela a rendu plus difficile une intervention à l'échelle continentale ou régionale.

Ce type de modifications constitutionnelles alimente l'instabilité politique et réduit à néant deux décennies de progrès démocratiques en Afrique. Cela se produit dans un contexte d’augmentation des émeutes et des manifestations publiques. Les Africains descendent de plus en plus dans la rue pour dénoncer la mauvaise gouvernance, souvent source d'exclusion, et la propension de leurs gouvernements à réprimer les manifestations tout en garantissant la pérennité des régimes, quoi qu’il en coûte.

La Guinée-Bissau voisine étant elle aussi confrontée à l'instabilité, une crise profonde en Guinée constituera un pas en arrière, non seulement pour la démocratie, mais aussi pour une région de la CEDEAO plus stable et politiquement développée. La situation guinéenne aggravera également les défis que pose l'extrémisme violent, qui touche déjà de nombreux pays de la région.

En insistant pour s’accrocher au pouvoir, Condé risque de provoquer davantage de violence. Le pays va probablement sombrer dans une plus grande incertitude à l'approche de l'élection présidentielle d'octobre. Une nouvelle mission des chefs d'État de la CEDEAO en Guinée, prévue cette semaine, a de nouveau été reportée sans qu'aucune autre date ne soit fixée. Ce n’est certainement pas en enjoignant la tenue des élections législatives et du référendum le 22 mars, sans créer les conditions adéquates pour cela, que la situation actuelle du pays va s’améliorer.

Quelles que soient les mesures prises par l'Afrique pour faire face aux amendements constitutionnels et à l'instabilité qui en résulte, il faudra que l’UA et les Communautés économiques régionales mènent une réflexion innovante et prennent des mesures décisives.

Mohamed M Diatta, chercheur, Rapport du CPS, ISS Addis-Abeba

Cet article a initialement été publié dans le Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité de l'ISS.

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