Un océan d’armes illégales : contrebande vers la Somalie

Plutôt que de s'appuyer sur des forces navales étrangères, les pays africains doivent prendre en main la lutte contre les flux d'armes illégaux.

Le 6 janvier, les forces du commandement des États-Unis ont intercepté, dans les eaux internationales, un boutre parti d’Iran vers le Yémen qui avait à son bord plus de 2 000 fusils d’assaut AK-47. Selon certaines sources, des cargaisons de milliers d’armes provenant d’un commerce d’armes entre les deux pays seraient illégalement acheminées vers la Somalie par voie maritime. Elles y seraient vendues aux groupes extrémistes violents que sont l’État islamique en Somalie et Al-Shebab. 

On pense que des groupes armés du Kenya, d’Éthiopie et du Mozambique, proches d’Al-Shebab, font partie de ce réseau de trafiquants d’armes, menaçant la sécurité d’une région déjà instable. Ce commerce illicite constitue une violation des sanctions de l’Organisation des Nations unies (ONU) et de l’Union européenne (UE) contre la Somalie, ainsi que de l’embargo sur les armes qui la frappe et qui a été reconduit par le Conseil de sécurité de l’ONU. Le commerce illégal d’armes compromet par ailleurs les améliorations résultant de la diminution des actes de piraterie dans la région. 

Pour le continent africain, ainsi que pour le reste du monde, la Corne de l’Afrique joue un rôle majeur sur le plan économique, géopolitique et sécuritaire. En effet, le territoire est bordé par des voies maritimes vitales pour le commerce international. Le détroit de Bab el-Mandeb relie la Méditerranée et la mer Rouge au golfe d’Aden et à la mer d’Arabie dans l’océan Indien, et c’est ce détroit et celui d’Ormuz qu’empruntent les exportations de pétrole et de gaz naturel du Golfe persique pour rejoindre le canal de Suez.

La Somalie est le pays africain qui possède le plus long littoral, mais ses frontières maritimes sont poreuses et les terres côtières exposées à l’insécurité. Les trafics d’armes, de drogue et d’autres marchandises y sont assez courants. La prolifération des armes iraniennes destinées au Yémen et qui se retrouvent en Somalie est cependant un indicateur de la nature transnationale de la criminalité maritime dans la région.
La prolifération des armes iraniennes passées en contrebande en Somalie est un indicateur de la nature transnationale de la criminalité maritime

Ce type de criminalité a pris de l’ampleur en raison de l’inadéquation des moyens de surveillance, de patrouille et de maintien de l’ordre dont disposent les forces navales des pays de la zone. Conjuguées à des conflits internes et à la guerre au Yémen, ces insuffisances ont aggravé l’instabilité régionale et fragilisent le commerce international du pétrole ainsi que la sécurité énergétique.

Soucieuses de préserver leurs propres intérêts économiques et leur propre sécurité, de grandes puissances, à l’image des États-Unis, de la Chine et de l’Arabie saoudite, ont pris position pour faire face à ce désert sécuritaire maritime et dirigent des opérations de patrouille navale. Ainsi, au cours des dernières années, les forces américaines ont intercepté à plusieurs reprises des cargaisons d’armes à destination de la Somalie.

Il n’est toutefois pas souhaitable que l’Afrique transfère à des acteurs extérieurs ses responsabilités en matière de sécurité maritime. Les États de la Corne de l’Afrique doivent prendre les choses en main. Malgré les difficultés de mise en œuvre, les réglementations en vigueur leur en donnent d’ailleurs les moyens.

Ainsi, des initiatives régionales telles que le Code de conduite de Djibouti (par le biais de son amendement de Djedda) reconnaissent déjà la menace considérable que constituent les activités maritimes illégales – parmi lesquelles le trafic d’armes. Cependant, alors que les risques sécuritaires sont accentués par la guerre qui déchire le Yémen, les États tardent à appliquer le Code, dont les amendements ne sont pas juridiquement contraignants.

Les États-Unis, la Chine et l'Arabie saoudite ont pris position en faveur de la sécurité maritime dans la Corne de l'Afrique

Il est possible d’envisager une action proactive qui serait menée conjointement par les pays de la Corne de l’Afrique, et qui s’appuierait sur le groupe de travail sur la mer Rouge et le golfe d’Aden. Créé par l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), ce groupe a pour vocation de promouvoir la coopération en matière de sécurité maritime.

Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA) redouble d’efforts pour mettre un terme au trafic d’armes, et la sécurité maritime est une étape essentielle de son programme destiné à Faire taire les armes. Ces développements stratégiques doivent cependant être coordonnés et se conformer aux politiques maritimes nationales et régionales, ce qui requiert la constitution d’un groupe consultatif au sein de la Commission de l’UA.

Concilier les approches divergentes des pays africains et de ceux du Golfe persique pour sécuriser les eaux du golfe d’Aden constitue un autre défi. Par ailleurs, alors que plusieurs groupes de travail ont été créés dans la région pour traiter des questions maritimes, on peut regretter que certains de leurs membres cumulent des fonctions dans plusieurs d’entre eux et que leurs prérogatives reposent sur une formulation imprécise des intérêts africains.

À défaut d’opérations efficaces conduites par les Africains, les marines étrangères disposant de moyens militaires à Djibouti pourraient s’impliquer dans la lutte contre les trafics maritimes. La décision de l’UE de prolonger l’opération Atalante – nom donné à ses manœuvres militaires dans la Corne de l’Afrique – démontre, alors même que l’on constate la régression des actes de piraterie au large des côtes somaliennes, son engagement en faveur d’une conception élargie de la sécurité.

Un groupe de travail est-africain chargé des enjeux relatifs à la mer pourrait s’attaquer au trafic d’armes et sécuriser ainsi le vaste domaine maritime

Trois mesures concrètes pourraient garantir la sécurité du domaine maritime régional. La première serait d’étendre le mandat de certains programmes, tels que le Groupe de contact sur la piraterie au large des côtes somaliennes, à d’autres formes de criminalité maritime, notamment au trafic d’armes.

La deuxième mesure consisterait à aligner sur l’initiative Faire taire les armes les instruments de portée régionale tels que le Protocole de Nairobi pour la prévention, le contrôle et la réduction des armes légères et de petit calibre dans la région des Grands Lacs, la Corne de l’Afrique et les États frontaliers. Cela faciliterait la réalisation de la cible 16.4 des objectifs de développement durable de l’ONU à l’horizon 2030, qui porte sur la réduction du trafic d’armes. Une plus grande cohérence entre ces instruments favoriserait la mise en commun des ressources et une responsabilité partagée dans l’action.

Troisièmement enfin, les activités maritimes pourraient promouvoir la coopération dont la Corne de l’Afrique a cruellement besoin en matière de politique et de sécurité. Alors que le groupe de travail de l’IGAD réunit des États côtiers et des États enclavés, une approche consensuelle permettrait à l’UA et à l’IGAD d’orienter les engagements multilatéraux dans l’intérêt des principes de gouvernance régissant la sécurité maritime régionale. Par ailleurs, un groupe de travail est-africain chargé des enjeux relatifs à la mer pourrait s’attaquer au trafic d’armes et sécuriser ainsi le vaste domaine maritime de la Corne de l’Afrique.

À défaut de contrôle, le trafic d’armes vers la Somalie continuera à menacer la paix et la prospérité régionales. Il est donc nécessaire que tout le monde soit sur le pont pour assurer la sécurité du domaine maritime dans le golfe d’Aden.

David Willima, chercheur, et Tshegofatso Johanna Ramachela, stagiaire, projets maritimes, ISS Pretoria

Image : U.S. Navy Photo

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