© Denis Sassou Gueipeur / AFP

Tchad : qu’augurent les nouvelles institutions électorales ?

Le processus électoral semble d’ores et déjà dominé par le président de la transition et l’ancien parti au pouvoir.

Avec l’adoption de la nouvelle Constitution entérinant la 5e République, la transition tchadienne est entrée dans sa dernière phase. Rentré d’exil à la faveur de l’accord de Kinshasa, l’opposant Succès Masra, leader du parti Les Transformateurs, a été nommé Premier ministre le 1er janvier 2024. Cette entrée au gouvernement amoindrit dans une certaine mesure la capacité de mobilisation de l’opposition en général.

Le pays se prépare aux élections avec la création et la mise en place de l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE) et le Conseil constitutionnel. Cependant, ce processus reste dominé par le président de la transition Mahamat Idriss Déby et l’ancien parti au pouvoir, le Mouvement patriotique du salut (MPS), qui a adoubé ce dernier comme président d’honneur et candidat à la présidentielle.

La loi portant attributions, organisation et fonctionnement de l’ANGE a été adoptée par le Conseil national de transition (CNT) le 26 janvier. Cette loi consacre l’indépendance de l’agence et l’inamovibilité de ses membres pendant leurs sept ans de mandat, deux principes censés garantir l’impartialité de l’organe électoral.

Le mode de désignation de ses membres pose cependant problème. Sur les 15 membres, 8 sont désignés par le président de la transition, 4 par le président du Sénat et 3 par le président du CNT. Or, en l’absence de Sénat, c’est au président du CNT, ancien secrétaire général du MPS, de désigner ces 4 membres.

Pour la société civile et l’opposition, les dés seraient pipés dès la désignation des membres de l’ANGE

À la tête de l’ANGE siège Ahmed Bartchiret, magistrat et ancien président de la Cour suprême, mais aussi membre de l’ancien parti au pouvoir et proche de la présidence. Il a également présidé la commission ad hoc du dialogue national inclusif et souverain (DNIS) qui a recommandé l’éligibilité des autorités et la prolongation de la transition à deux ans. Les autres responsables et membres sont aussi issus en grande majorité de l’ancien parti au pouvoir.

Le 26 janvier a également été adoptée la loi fixant les attributions, l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel, instance suprême en charge des contentieux électoraux. Maître Jean-Bernard Padaré, avocat et ancien ministre, ainsi qu’ancien secrétaire général adjoint et porte-parole du MPS, a été nommé à la tête du Conseil essentiellement composé d’au moins 7 membres sur 9 affiliés au même parti ou à des partis alliés.

Pour la société civile et les partis d’opposition, avec une organe électoral sous la coupe du président de la transition, probablement candidat aux élections sous la bannière du MPS, les dés seraient pipés dès le départ. Le Groupe de concertation des acteurs politiques (GCAP) et la Plateforme républicaine, deux coalitions de partis politiques, déclarent ne pas reconnaitre le CNT, la Cour suprême, le Conseil constitutionnel et l’ANGE.

En dehors du MPS, de ses alliés et des personnalités jugées proches de la présidence, les partis d’opposition et la société civile ne sont pas représentés au sein des deux institutions. Même le parti Les Transformateurs à la tête du gouvernement est pratiquement absent de ces structures. L’attelage MPS-président de la transition s’est donc taillé la part du lion en s’octroyant la possibilité d’une mainmise totale sur les élections à venir, aussi bien en amont qu’en aval.

Comme pour la CONOREC, la mise en place de l’ANGE n’a pas respecté la vision d’une institution neutre

Devant le CNT, le 26 janvier, la représentante du gouvernement décrivait l’ANGE comme « une institution permanente, dénuée de coloration politique, avec l’interdiction formelle pour ses membres d’être chefs de partis politiques, renforçant ainsi sa neutralité ». La mise en place de l’ANGE n’a pas respecté cette vision, encore moins les principes énoncés par la Constitution, notamment l’article 238 qui stipule que « dans l’exercice de sa mission, l’Agence nationale de gestion des élections agit en toute indépendance, impartialité, intégrité, transparence et professionnalisme ».

Cette dynamique rappelle la mise en place de la Commission nationale chargée de l’organisation du référendum constitutionnel (CONOREC) en 2023. Malgré les dispositions de l’article 7 de la Charte de la transition sur le caractère neutre de cette institution, elle était dominée par les mêmes types d’acteurs. Les résultats du référendum, même s’ils n’ont pas été vivement contestés, ont laissé perplexe quant au taux de participation et l’issue du vote.

Cette situation intervient alors que le dialogue politique semble au point mort. L’accord de Kinshasa, vu comme un pas vers la réconciliation, a été décrié par les autres partis d’opposition et la société civile. Pour ces acteurs, il n’engage que les deux parties signataires, c’est-à-dire le gouvernement de transition et Les Transformateurs. Il apparaît donc comme le fruit d’une entente politique entre les deux camps, au détriment d’une discussion plus large.

L’ANGE et le Conseil constitutionnel jouent un rôle capital dans l’organisation et la gestion du processus électoral, mais aussi dans l’arbitrage des contentieux qui pourraient en résulter. Leur capacité à organiser et arbitrer de manière indépendante et impartiale les élections à venir est cruciale pour leur réussite, leur crédibilité et, au-delà, pour la paix et la stabilité du pays.

Les partenaires du Tchad devraient œuvrer pour obtenir un consensus autour du processus électoral à venir

Tous ces faits portent ombrage à l’agenda de départ de la transition, à savoir réconciliation nationale, refondation du Tchad et retour à l’ordre constitutionnel dans les règles de l’art, car ils exacerbent les divisions au sein de la classe politique et jettent le discrédit sur l’ensemble du processus électoral à venir.

Avancer ainsi vers des échéances électorales n’est pas l’idéal pour le pays. Le dialogue reste le maître mot pour sortir de l’ornière. Issu de l’opposition, l’actuel Premier ministre pourrait constituer le trait d’union parfait entre la présidence et le reste de la classe politique. Par ailleurs, la nomination du médiateur de la République offre un levier idéal pour la discussion. Le temps presse et sa tâche s’annonce ardue.

Tous les partenaires du Tchad qui soutiennent la transition depuis le départ, notamment la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), l’Union africaine, les Nations unies à travers le fonds commun d’appui à la transition politique au Tchad, la France et l’Union européenne devraient offrir leurs bons offices pour rapprocher les acteurs en présence, apaiser les tensions et obtenir un minimum de consensus autour du processus électoral à venir. En ce sens, le rôle du facilitateur de la CEEAC reste central pour coordonner les actions et parvenir à de meilleurs résultats.

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