Stratégies COVID-19 desquelles l’Afrique peut s’inspirer
L’Afrique peut tirer de grandes leçons de l’échec de l’expérience américaine de réponse au coronavirus.
Alors que la COVID-19 refait surface au Japon, à Singapour et ailleurs, il devient évident que ce virus fera malheureusement partie de notre quotidien dans les années à venir. Toutefois, l’on ignore encore beaucoup sur cette maladie. Au moment où les responsables politiques africains s’interrogent sur la réponse à adopter face aux épidémies, certains pays présentent des opportunités pour mieux comprendre à quoi s'attendre.
Il semblerait logique que les États-Unis, le pays le plus riche du monde, montrent la voie à suivre à l'Afrique, le continent le moins développé. L'Afrique peut en effet se tourner vers les États-Unis pour mieux comprendre ce qui l’attend, pour s’inspirer de certaines réponses politiques et pour piocher parmi les nombreux exemples à éviter en réaction à cette pandémie.
Comme les États-Unis, l'Afrique s’étend sur une large superficie, avec une forte population hétérogène et des frontières très poreuses, le tout en l’absence d’une réponse coordonnée à la COVID-19. Il existe bien sûr d'énormes différences entre les États américains et les pays d’Afrique, mais il faut se souvenir que les États-Unis n’ont qu’une seule frontière internationale.
Bien que les États-Unis soient un pays riche, ils ne bénéficient pas de la plupart des protections sociales que l'on retrouve dans les pays développés
Le pays a fait de la lutte contre l'immigration clandestine une priorité absolue et y a consacré un budget colossal. Pourtant, environ 11 millions d'immigrants sans papiers vivent aux États-Unis. Quelle que soit la politique en vigueur, il s’agit là d’un mouvement généralisé. Cela signifie qu'aux États-Unis, si la Géorgie et la Floride décident de rouvrir l’économie pendant la crise due a la COVID-19, les restrictions mises en place en Caroline du Nord ou au Tennessee importent peu.
En Afrique, si une grave épidémie frappe le Zimbabwe et le Mozambique, il est presque certain qu'elle se propagera aux pays voisins comme l'Afrique du Sud et la Tanzanie, et vice versa. C’est l’interconnectivité qui permet à la COVID-19 de se répandre ; ainsi, surveiller l’évolution des épidémies dans les pays les plus intégrés aide à les anticiper.
Aux États-Unis, certains États se regroupent spontanément afin d’harmoniser leur réponse au virus. En Afrique, cependant, il n'est pas nécessaire de développer des organisations ad hoc car des structures permettant une telle coordination existent déjà ; les Communautés économiques régionales (CER).
Si de nombreux États membres harmonisent déjà certaines de leurs politiques, la Communauté d'Afrique de l'Est semble s’être dotée des politiques les plus solides et pourrait servir de modèle. Il semble que son objectif immédiat soit de relancer l'activité commerciale. Les autres CER devraient s’inspirer de ce travail pour déterminer quelles politiques pourraient s'appliquer à leurs régions.
L'Afrique a besoin de stratégies coordonnées au niveau régional qui répondent aux besoins de chaque État
Au moment où les États africains collaborent au sein des CER pour coordonner les réponses, partager des données et organiser l'achat en gros d'équipements de protection individuelle, les communautés régionales devraient également s'aligner les unes sur les autres.
C’est d’ores et déjà le cas du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique), qui a créé des Centres régionaux de collaboration. Le Centre a une forte expérience des situations d'urgence et une expertise importante à offrir, d'autant plus que l'on sait peu de l’interaction de la COVID-19 avec des comorbidités telles que la tuberculose, le VIH, le paludisme et la malnutrition.
L'Afrique compte de nombreuses populations vulnérables (la pauvreté, la faim et les conflits mettent en danger la vie de millions d'Africains) et un énorme secteur informel qu'il ne sera pas facile de protéger contre les répercussions économiques des confinements. Bien que les États-Unis soient un pays riche, ils ne bénéficient pas de la plupart des protections sociales mises en place par certains pays développés. Pendant que certains États s'efforcent à mettre en place des filets de sécurité sociale, certains pays africains pourraient en tirer des leçons.
Une autre tendance inquiétante se dessine aux États-Unis concernant la violence domestique, des spécialistes indiquent qu’elle tend à augmenter à mesure que les familles passent plus de temps ensemble. Des rapports préliminaires du monde entier suggèrent également que les quarantaines peuvent avoir un impact négatif sur la sécurité des personnes au sein de leurs foyers.
La COVID-19 est une mine d'or de désinformation aux États-Unis, l'Afrique doit se tenir prête à contrer ceux qui profiteraient de l'incertitude
Or, aux États-Unis, les appels pour dénoncer la violence domestique sont en baisse. À Cincinnati, dans l'Ohio, ils ont chuté de près de 50 % par rapport au mois de mars 2020 et de près de deux tiers par rapport au mois d’avril 2019. À Los Angeles, en Californie, les appels ont diminué d'environ 20 % par rapport à l'année dernière. La Police de la ville de New York rapporte que les appels pour violence domestique ont « progressivement diminué » depuis le début de l'épidémie. Les lignes d'assistance téléphonique de New York enregistrent elles aussi des baisses spectaculaires.
Cette tendance s’explique facilement : être confiné chez soi avec son agresseur décourage fortement une victime à appeler la police, par crainte de provoquer l’agresseur. Alors que les pays africains s'efforcent de limiter l'ampleur des épidémies, il convient de souligner que les statistiques peuvent être trompeuses, en particulier dans les premiers temps.
Garantir aux femmes la continuité d’accès aux systèmes de soutien essentiels pendant les périodes de confinement devrait constituer une priorité. Le renforcement des services existants, quels qu’ils soient, offre également la possibilité de faire des progrès significatifs et durables en matière d'égalité des genres sur le continent.
La pandémie stimule également les moteurs structurels de l'instabilité qui accroissent le potentiel de violence, de criminalité et de troubles politiques. En Afrique, une grande partie de la violence est le fait des États, accusés de brutalité policière à l’encontre de civils, notamment en Afrique du Sud et au Kenya. Aux États-Unis, c’est une tendance inverse qui s’observe. Le 30 avril, des prétendus émeutiers ont pris d'assaut le Capitole de l'État du Michigan afin de réclamer le rétablissement d’une activité économique « normale ».
Il est clair pour les groupes extrémistes qu’ils ont la possibilité d'utiliser le confinement afin d’exploiter les discours préexistants sur les excès du gouvernement, son incompétence, ou tout autre grief, qu’il soit réel ou perçu. Les difficultés économiques peuvent également être à l’origine de nouveaux actes criminels et violents.
Les États africains doivent se montrer attentifs aux réseaux sociaux et autres outils de propagande. La COVID-19 est une véritable mine d'or en termes de désinformation aux États-Unis, et l'Afrique doit se tenir prête à contrer ceux qui profiteraient de l'incertitude en diffusant de fausses informations. De même, les organisations de la société civile doivent se préparer à demander des comptes aux gouvernements dès lors qu’ils utiliseront la désinformation à leurs propres fins.
L'expérience politique menée actuellement aux États-Unis sera utile aux décideurs africains ; elle leur servira de laboratoire. L'Afrique a besoin de stratégies coordonnées régionales qui répondent aux besoins de chaque État. Il sera également essentiel de concevoir rapidement de nouveaux programmes de sécurité sociale (ou de modifier les programmes existants) qui ciblent les populations difficiles à rejoindre et en constante évolution.
Si les États-Unis n'ont pas réussi à tirer parti de leur système fédéral pour mettre en œuvre une stratégie descendante dynamique, l'Afrique peut tirer le meilleur parti de ses avantages régionaux pour construire une approche continentale à partir de la base.
Zachary Donnenfeld, chercheur consultant, ISS Pretoria
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Crédit photo : Amelia Broodryk/ISS