Sommet Russie-Afrique : un bilan plutôt maigre
Le second Sommet Russie-Afrique a plus profité à Vladimir Poutine qu’à la plupart des dirigeants africains.
Le président russe Vladimir Poutine espérait une participation record des dirigeants africains lors du second Sommet Russe-Afrique à Saint-Pétersbourg, la semaine dernière, pour montrer à l'Occident qu'il n'était pas aussi isolé qu'on le prétendait. Ce fut plutôt un échec. Seuls 17 chefs d'État africains étaient présents, bien moins que les 43 qui avaient participé au Sommet de Sotchi en 2019.
L'invasion de l'Ukraine par Vladimir Poutine a évidemment dissuadé de nombreux dirigeants de venir. Moscou a affirmé que « l'ingérence éhontée » de l'Occident les avait poussés à se tenir à l'écart. Certains avaient d'autres raisons. Le président kenyan William Ruto a déclaré que les dirigeants africains ne devraient pas être « tassés dans des bus comme des écoliers » lors de sommets étrangers, et qu'il se sentait adéquatement représenté par l'Union africaine (UA). Le président namibien Hage Geingob était malade, mais beaucoup d'autres ont tout simplement préféré éviter d'afficher un soutien implicite à la Russie.
Si Poutine en a tiré une certaine reconnaissance, qu'en est-il de l'Afrique ? Elle n’a pas obtenu grand-chose, à en juger par la déclaration commune, qui semble avoir été rédigée presque entièrement par le Kremlin. Celle-ci regorge de formules laissant entendre que l'Afrique soutient Moscou contre les sanctions occidentales prises à la suite de l'invasion de l'Ukraine.
Certains dirigeants africains ont néanmoins tiré leur épingle du jeu. Le président russe a annoncé qu'au cours des six prochains mois, la Russie livrerait gratuitement 25 000 à 50 000 tonnes de céréales à la République centrafricaine (RCA), au Mali, à l'Érythrée, au Burkina Faso, au Zimbabwe et à la Somalie. Ce n'est pas un hasard si ces derniers comptent parmi les principaux partenaires africains de la Russie.
Les conclusions du Sommet indiquent le soutien de l'Afrique à Moscou contre les sanctions occidentales
L'organisation paramilitaire privée russe Wagner soutient les autocraties de la RCA et du Mali, et sans doute bientôt la junte du Burkina Faso. Le Mali et l'Érythrée sont les seuls pays africains à avoir voté contre les résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies condamnant l'invasion russe de l'Ukraine.
Poutine avait d'autres cadeaux à annoncer. Il a déclaré que la Russie avait annulé 23 milliards de dollars US de dette africaine, livré des millions de kits de test COVID-19 à l'Afrique et qu’elle ouvrirait des ambassades au Burkina Faso et en Guinée équatoriale. Il a assuré que la Russie avait accordé des privilèges commerciaux à l'Afrique, sans toutefois s'étendre sur le sujet.
Bien que la plupart des présidents présents ne soient pas de grands démocrates et soient bien disposés à l'égard de la Russie, nombre d'entre eux attendaient autre chose du Sommet.
Le président sud-africain Cyril Ramaphosa, peut-être de manière inattendue, compte tenu de la réputation russophile de son gouvernement, a parlé en leur nom et a déclaré que les Africains n'étaient pas venus pour recevoir des « cadeaux » mais qu'ils voulaient que le président russe rétablisse l'Initiative pour les céréales de la mer Noire (BSGI). Le retrait de Poutine de la BSGI a entraîné une hausse des prix des denrées alimentaires et une insécurité alimentaire en Afrique. Cyril Ramaphosa a également annoncé que l'Afrique voulait négocier pour mettre fin à la guerre en Ukraine.
Plusieurs dirigeants africains attendaient autre chose du Sommet
Aucune de ces principales demandes n'a été satisfaite. Lors d'une réunion à huis clos avec Ramaphosa et les six autres pays qui composent l'initiative du groupe de paix africain, Poutine aurait proclamé qu'il ne rétablirait la BSGI que lorsque ses conditions concernant la levée des sanctions occidentales seraient remplies.
En tout état de cause, une déclaration ultérieure des dirigeants de l'initiative de paix a montré qu'ils avaient pris le parti de Poutine : « Les dirigeants ont appelé à des mesures spécifiques pour supprimer les obstacles aux exportations russes de céréales et d'engrais, permettant ainsi la reprise de la mise en œuvre complète de la BSGI ». Les gouvernements occidentaux soulignent que l'argument de Poutine est fallacieux, comme le montrent les récentes exportations records russes de denrées alimentaires et d'engrais.
Les dirigeants africains pour leur part ont simplement indiqué qu'ils acceptaient de poursuivre l'initiative de paix, montrant ainsi que Poutine n'avait pas cédé sur ce point.
Plusieurs dirigeants africains présents au Sommet voulaient que la Russie les aide à rompre les relations commerciales entre l'Afrique et les pays développés, qui consistent principalement à exporter des matières premières et à importer des produits manufacturés à valeur ajoutée.
Les exportations russes vers l'Afrique étaient sept fois supérieures à ses importations africaines en 2020
Selon Poutine, la Russie n'a jamais considéré l'Afrique comme un réservoir de matières premières, elle y a d’ailleurs implanté de nombreuses entreprises et des centrales électriques et sidérurgiques. Mais en réalité, les investissement directs en Afrique sont négligeables, et les échanges sont fortement déséquilibrés en faveur de la Russie. L'Afrique exporte surtout des matières premières et importe des machines, des armes, des hydrocarbures raffinés, des engrais et des produits chimiques.
En 2020, la valeur des exportations russes vers l'Afrique était sept fois plus importante que les importations africaines en Russie. Les échanges commerciaux entre la Russie et l'Afrique se sont montés à environ 14 milliards de dollars (avec un excédent d'environ 10,8 milliards de dollars pour la Russie) contre 295 milliards de dollars avec l'Union européenne, 254 avec la Chine et 65 milliards avec les États-Unis.
Environ 70 % des échanges commerciaux entre la Russie et l'Afrique sont concentrés dans quatre pays : l'Égypte, l'Algérie, le Maroc et l'Afrique du Sud. Lors du Sommet de Sotchi, Vladimir Poutine avait promis de doubler les échanges commerciaux en cinq ans, mais ils ont en réalité diminué.
Ces statistiques reflètent en partie l'absence en Russie d'un système d'importation en franchise de droits comparable à celui de la loi américaine sur la croissance et les perspectives économiques en Afrique (African Growth and Opportunity Act) ou d'accords de partenariat économique de l'Union européenne (Everything But Arms/Economic Partnership Agreements). Ces accords encouragent les importations de produits africains à valeur ajoutée. Par ailleurs, les investissements de la Russie en Afrique représentent environ 1 % du total de ses investissements directs à l'étranger.
Il semble donc que le Sommet de Saint-Pétersbourg ait principalement servi Poutine et les dirigeants africains qui dépendent de la puissance militaire russe ou sont proches de Moscou en raison du soutien reçu à l'époque soviétique et d'un sentiment partagé d'être les victimes des sanctions occidentales.
D'ailleurs, Evgueni Prigojine, le fondateur controversé de Wagner, aurait été présent à Saint-Pétersbourg au moment du Sommet. (Depuis sa mutinerie avortée en juin, il était censé être en exil en Biélorussie.) Prigogine a déclaré dans une vidéo que les combattants de Wagner qui n'avaient pas rejoint l'armée régulière russe renforceraient la présence de Wagner en Afrique.
Le lendemain du Sommet, Prigogine a imputé le coup d'État militaire au Niger aux « anciens colonisateurs » qui remplissaient le pays de terroristes et de bandits pour contrôler l'Afrique. Il semblait vouloir offrir les services de Wagner à la nouvelle junte, puisque cette dernière avait combattu les extrémistes violents dans le Mali voisin.
Le Niger était devenu une nouvelle base militaire pour les forces occidentales dans la lutte contre le terrorisme, après leur expulsion par le gouvernement putschiste du Mali. Certains se sont demandé si le coup d'État au Niger, qui a renversé le pro-occidental Mohamed Bazoum, avait été orchestré par la Russie pour déloger davantage les forces occidentales. La présence de Prigogine à Saint-Pétersbourg véhiculait un message implicite du Kremlin indiquant que Wagner pouvait soutenir les autres juntes militaires qui rejettent l'Occident dans leur lutte contre les djihadistes.
Tout comme les réponses de Poutine sur l'accord sur les céréales et les négociations de paix, cette situation est loin de favoriser la construction d'une relation normale et prospère entre l'Afrique et la Russie.
Peter Fabricius, consultant pour ISS Pretoria
Image : © Alexander Deminchuk / TASS Host Photo Agency/ HANDOUT
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