S’abstenir par défaut : la SADC a-t-elle une position commune sur l’Ukraine ?

En Afrique australe, plusieurs États montrent que l’on peut voter contre l’agression russe tout en restant non-alignés.

Vient-on d’assister à une décision officielle de la plupart des États membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) de s’abstenir par défaut de tout vote aux Nations unies (ONU) sur la guerre de la Russie contre l’Ukraine ?

Cela y ressemble. Le 31 janvier, la troïka de sécurité de la SADC s’est réunie à Windhoek, à l’invitation du président namibien Hage Geingob, qui préside actuellement la troïka. Parmi les autres membres présents figuraient son président sortant, le président sud-africain Cyril Ramaphosa ainsi que le président zambien Hakainde Hichilema, prochain président de la troïka.

Le président de la République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, participait également en sa qualité de président de la SADC et en tant que représentant d’un pays inscrit à l’ordre du jour de la réunion. L’Eswatini, le Lesotho et le Mozambique étaient également représentés car figurant en bonne place dans les discussions.

Ce sommet a permis d’adopter plusieurs décisions sur les conflits régionaux. Cependant, l’alinéa 14 du communiqué final faisait référence à des questions extérieures à la SADC et semblait chargé d’une signification implicite.

Cet alinéa se lit comme suit : « Le Sommet a adopté le projet de déclaration de l'Union africaine sur le projet de loi américain ‟Contrer les activités malveillantes russes en Afrique”. À cet égard, il a exhorté les États membres à communiquer la position de la SADC et a réaffirmé la position de non-alignement face aux conflits se déroulant en dehors du continent et de la Région lors des forums multilatéraux. »

Sept États membres ont tenté d’inciter l’ensemble de la SADC à s’abstenir de voter sur tout conflit hors d’Afrique

Ce projet de loi américain a été adopté par la Chambre des représentants des États-Unis l’année dernière, mais n’a pas été repris par le Sénat. Les sources d’ISS Today doutent qu’il le soit un jour. Néanmoins, il a donné aux États africains, en particulier à l’Afrique du Sud, du grain à moudre concernant l’ingérence des États-Unis dans les relations entre l’Afrique et la Russie. Ce projet de loi vise à sanctionner certaines entreprises russes (comme le groupe militaire Wagner) et les Africains qui sont en relation avec elles.

La seconde partie de l’alinéa 14 est plus intéressante et pourrait avoir des implications majeures. Il semble que les sept États présents à Windhoek aient incité les 16 membres de la SADC à s’abstenir de tout vote sur tout conflit se déroulant hors d’Afrique. La guerre de la Russie contre l’Ukraine était particulièrement visée, la décision ayant été prise au même moment que celle concernant le projet de loi américain.

Les États africains se sont montrés très ambivalents à propos de cette guerre, le nombre des abstentions étant presque égal à celui des votes en faveur des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant la Russie. L’Afrique du Sud, en particulier, est restée fidèle à sa position de « pays non-aligné », s’abstenant de tout vote lors des quatre résolutions et de l’unique décision en la matière. Tous les anciens mouvements de libération au pouvoir dans d’autres pays d’Afrique australe ont invariablement fait de même.

Mais d’autres pays de la SADC ont été moins cohérents. Huit d’entre eux ont voté pour la première résolution de l’ONU sur l’Ukraine le 2 mars 2022, condamnant la Russie pour son agression et exigeant un retrait immédiat. Il s’agit du Botswana, des Comores, de la RDC, du Lesotho, du Malawi, de Maurice, des Seychelles et de la Zambie. Ils constituaient la majorité des membres votants de la SADC, puisque seuls sept pays de la région se sont abstenus. L’Eswatini n’a pas pris part au vote.

Lors de la deuxième résolution de l’Assemblée générale du 24 mars 2022, qui a ajouté des préoccupations quant aux souffrances continues des civils, certains États de la SADC qui avaient soutenu la résolution du 2 mars se sont alors abstenus. Au total, six pays de la SADC ont voté pour, neuf se sont abstenus et les Comores étaient absentes. La troisième résolution du 7 avril 2022, qui a suspendu la Russie du Conseil des droits de l’homme des Nations unies en raison de violations flagrantes des droits de l’homme en Ukraine, a vu le soutien de la SADC passer à cinq votes pour, le Zimbabwe ayant voté contre et neuf pays s’étant abstenus.

Au moins neuf des 16 États de la SADC ont soutenu au moins une résolution de l’ONU contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie

Toutefois, lors du quatrième vote du 12 octobre 2022 (qui condamnait et rejetait les référendums unilatéraux organisés par la Russie à Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia), neufs États de la SADC ont voté en faveur de la résolution et sept se sont abstenus. Et lors du dernier vote du 16 septembre 2022 pour ou contre la participation à distance du président ukrainien Volodymyr Zelensky à la réunion annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies, le vote de la SADC en faveur de cette solution a été plus important encore.

Ainsi, au moins neuf des 16 États de la SADC ont voté en faveur d’au moins une résolution de l’Assemblée générale condamnant ou sanctionnant la Russie pour son invasion de l’Ukraine. Pourtant, il semble que tous ces pays soient désormais tenus de s’abstenir de prendre part à ces résolutions.

Il serait intéressant de connaître l’opinion du Botswana sur la décision prise par la troïka. En effet, le pays a voté pour toutes les résolutions de l’ONU, à l’exception d’une seule. Curieusement, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, devait se rendre au Botswana le mois dernier, après avoir visité l’Afrique du Sud, l’Eswatini et l’Angola dans le cadre de son offensive de charme en Afrique. Mais il n’y est pas allé, préférant se rendre en Érythrée, le plus grand admirateur africain de la Russie. Était-ce parce que Gaborone n’a pas souhaité sa présence ?

Les positions de la Zambie et de la RDC sur la décision de la troïka de la SADC sont encore plus intéressantes. La RDC a voté en faveur de toutes les résolutions de l’ONU sur l’Ukraine et la Zambie pour toutes sauf une où elle était absente. Pourtant, Tshisekedi et Hichilema étaient bien présents au sommet de Windhoek, qui a adopté une position universelle non alignée de la SADC à l’ONU et dans d’autres organismes multilatéraux.

Comment cela va-t-il se traduire dans les faits ? L’alinéa 14 du communiqué était peut-être tout simplement présomptueux. À l’instar de l’Afrique, les pays de la SADC n’ont officiellement pris aucune position commune sur la guerre de la Russie contre l’Ukraine – et ce ne sont pas quelques lignes dans un communiqué qui empêcheront les États membres de voter à leur guise à l’ONU pour condamner la Russie.

La Zambie ne prend pas parti mais rejette les agressions ou les guerres en raison de leur coût humain

Mais la réponse à cette énigme pourrait également dépendre de la définition du terme « non-aligné ». Un haut responsable zambien a suggéré à ISS Today qu’être « non-aligné » ne signifiait pas qu’il fallait garder le silence face aux questions qui touchent l’humanité. La Zambie ne prend pas parti mais rejette les actes d’agression ou de guerre entre nations en raison de leur coût humain. Et les gouvernements non alignés ne perdent pas leur droit de vote à l’ONU.

C’est un message que l’Afrique du Sud et ses alliés dans la région devraient entendre. Ces pays ont choisi d’interpréter le terme « non-aligné » comme l’obligation de s’abstenir de toute critique, aussi minime qu’elle soit, de l’agression de la Russie contre l’Ukraine.

Le fait que la Zambie et la RDC restent non alignées et soutiennent les résolutions des Nations unies condamnant l’agression ou l’annexion du territoire d’une nation par la force remet en cause l’interprétation de l’Afrique du Sud du « non-alignement ». Cela donne à la position de l’Afrique du Sud un caractère tout simplement pro-russe.

D’ailleurs, la position non alignée renforcée lors du sommet de la troïka se référait à toutes les questions extérieures à l’Afrique. Elle doit donc également s’appliquer au conflit israélo-palestinien, dans lequel l’Afrique du Sud a adopté une position extrêmement alignée contre Israël, votant souvent contre lui aux Nations unies.

Le non-alignement semble donc dépendre entièrement de la vision qu’en a le non-aligné.

Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria

Image : Presidency South Africa/Twitter

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