Le retour en force de Sergueï Lavrov en Afrique
Six mois à peine après sa première tournée africaine, le ministre russe des Affaires étrangères prépare deux autres voyages sur le continent.
Parler d’une nouvelle « ruée vers l’Afrique », comme certains aiment à le dire, relève nettement de l’hyperbole. Néanmoins, on ne peut nier que les grandes puissances courtisent activement l’Afrique au moment où les relations entre celles-ci se détériorent.
Le nouveau ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, a démarré tôt en se rendant en Éthiopie, au Gabon, en Angola, au Bénin et en Égypte la semaine dernière. La secrétaire d’État américaine au Trésor, Janet Yellen, est actuellement en tournée au Sénégal, en Zambie et en Afrique du Sud.
Lundi prochain, c’est le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui doit se rendre en Afrique du Sud pour entamer sa deuxième tournée africaine depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 – un acte que Moscou a manifestement besoin de justifier à travers le continent. Lors de son voyage en juillet 2022, Lavrov était allé en Égypte, au Congo-Brazzaville, en Ouganda et en Éthiopie, et avait également rencontré les dirigeants de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba.
Les voyages de Qin et de Lavrov pourraient être considérés comme des réponses au sommet africain organisé par le président américain Joe Biden en décembre dernier, rencontre qui semble avoir remporté un franc succès et qui a réuni une foule de dirigeants.
Les grandes puissances courtisent activement l’Afrique au moment où les relations entre celles-ci se détériorent
Bien que cela n’ait pas encore été annoncé officiellement, ISS Today croit savoir que Lavrov se rendra en Eswatini, au Botswana et en Angola, après l’Afrique du Sud. Il continuera sa tournée en Afrique du Nord en février pour aller en Tunisie, en Mauritanie, en Algérie et au Maroc. Il visiterait au total 12 pays en plus de rencontrer les responsables de l’UA en un peu plus de six mois – une impressionnante offensive de charme diplomatique envers l’Afrique.
Pourtant, lors de la longue conférence de presse de trois heures qui s’est tenue à Moscou le 18 janvier, sur des sujets internationaux mais surtout sur l’Ukraine, Lavrov n’a pas mentionné de tournée africaine. L’Afrique n’a fait l’objet que de la toute dernière question de la conférence. Un journaliste russe a demandé au ministre de commenter l’interview de Sputnik TV avec la ministre sud-africaine des Relations internationales, Naledi Pandor.
Dans cette interview, Pandor réclamait, une fois de plus, le retrait du projet de loi sur la lutte contre les activités russes malveillantes en Afrique, adopté par la Chambre des représentants des États-Unis en 2022. S’il était également adopté par le Sénat, ce texte permettrait d’imposer des sanctions aux organisations russes, telles que la société militaire privée Wagner, considérées comme menant des activités « malveillantes » sur le continent africain. Il pourrait également entraîner des sanctions américaines à l’encontre des États et des entreprises africaines qui traitent avec celles-ci.
Des sources au sein du Sénat américain estiment que ce projet de loi est né d’une réaction excessive et malavisée de la Chambre des représentants à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et que le Sénat, plus réfléchi, ne prendrait même pas la peine de l’examiner. Néanmoins, il faut impérativement noter à quel point ce projet de loi a détérioré les relations des États-Unis avec l’Afrique.
Lavrov n’a pas mentionné de tournée africaine lors de la conférence de presse du 18 janvier
En effet, ce projet de loi s’inscrit directement dans les propos de la Russie et de Lavrov sur l’attitude prétendue paternaliste de l’Amérique à l’égard de l’Afrique. « C’est le paradigme colonial dans toute sa splendeur », a déclaré Lavrov mercredi. Il a rappelé la déclaration du secrétaire d’État de l’ancien président américain Donald Trump, Mike Pompeo, aux États africains en février 2020 leur demandant de cesser de commercer avec la Russie et la Chine parce que ces deux pays servaient leurs propres intérêts et nuisaient à ceux de l’Afrique.
Il a révélé qu’une grande partie du second sommet Russie-Afrique, que son gouvernement organisera à Saint-Pétersbourg à la fin du mois de juillet 2023, sera consacrée à la recherche de moyens permettant à la Russie et à l’Afrique de contourner ces sanctions américaines. « Nous préparons des documents visant à adapter nos mécanismes d’interaction aux nouvelles conditions qui impliquent des sanctions », a-t-il annoncé. Ce qui supposera de modifier les outils commerciaux, d’investissement et les chaînes d’approvisionnement.
Surtout, a indiqué Lavrov, « les règlements se feront en monnaies nationales » plutôt qu’en dollars américains. « Ces changements ne se feront pas du jour au lendemain, mais ils sont en cours », a-t-il précisé.
Ces informations auront des implications considérables. Tous les pays africains seront-ils prêts à collaborer avec Moscou pour mettre en place de nouveaux systèmes leur permettant de contourner les sanctions américaines et occidentales ?
Tous les pays africains voudront-ils collaborer avec Moscou pour contourner les sanctions occidentales ?
La même démarche est déjà entreprise par les BRICS — le groupe des nations émergentes que constituent le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Le groupe a commencé à accorder des prêts de sa Nouvelle banque de développement et à procéder à des échanges commerciaux dans ses propres devises plutôt qu’en recourant au billet vert.
Il n’est donc pas surprenant que l’Afrique du Sud semble déjà adhérer à ce projet. Pandor a déclaré à Sputnik : « Nous avons toujours été préoccupés par la prédominance du dollar et par la nécessité d’envisager des alternatives. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons créé la Nouvelle banque de développement des BRICS.
» Les systèmes existants ont tendance à privilégier les pays très riches et à désavantager des pays comme le nôtre, qui doivent effectuer des paiements en dollars, lesquels coûtent beaucoup plus cher par rapport à nos différentes devises. Je pense donc qu’un système plus équitable doit être mis au point ». Elle a ajouté que les ministres de l’Économie des BRICS s’étaient saisis du sujet.
Ce projet va-t-il ensuite s’étendre à toute l’Afrique ? Le président Vladimir Poutine va-t-il profiter du sommet Russie-Afrique pour aller au-delà de la rhétorique et intégrer l’Afrique dans son univers alternatif ?
Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria
Image : Ministère russe des Affaires étrangères/polycopié
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