BOUREIMA HAMA / AFP

Risque croissant d’évasion de terroristes en Afrique de l’Ouest

Le ciblage répété de centres de détention montre que les rebelles sont déterminés à faire évader leurs membres.

L’attaque du 11 juillet contre la prison, pourtant bien fortifiée, de Koutoukale, dans la région de Tillabéri au Niger, fait suite à deux tentatives ratées en 2016 et 2019. Lors de l’incident de cette année, certains détenus, dont le nombre n’a pas été communiqué, se sont échappés. La prison accueille également des militants islamistes.

Aucun groupe n’a publiquement revendiqué cette dernière évasion. Toutefois, des sources du Nord-Est du Nigeria ont déclaré à ISS Today que des pourparlers étaient en cours entre l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) en vue du retour des membres de l’EIAO libérés lors de l’attaque. Cela signifie que le GSIM , actif au Sahel, pourrait être responsable de l’attaque.

Ce dernier incident survient deux ans après une attaque similaire de l’EIAO à Abuja, au Nigeria –l’évasion de la prison de Kuje le 5 juillet 2022. En mars 2024, la Chambre des représentants du Nigeria a tenu une audience sur la localisation des évadés de cette attaque, durant laquelle 879 prisonniers, dont 68 membres de Boko Haram, avaient pu s’évader. Quelque 544 sont toujours en fuite.

Les évasions confirment aux prisonniers que les insurgés, en particulier l’EIAO, ne les abandonnent pas

À la suite de l’évasion de la prison de Kuje, l’Institut d’études de sécurité (ISS) a révélé qu’un prisonnier de Boko Haram détenant un téléphone portable avait communiqué avec des complices à l’extérieur. Selon les recherches de l’ISS sur le conflit de Boko Haram et les structures de direction du groupe, le détenu qui s’est évadé lors de l’attaque, est aujourd’hui à la tête de l’un des groupes de l’EIAO, la province (wilayat) de Tombouctou, dans le bassin du lac Tchad.

Lors de l’audition de mars à la Chambre des représentants, un représentant de l’armée nigériane aurait déclaré que deux facteurs avaient facilité l’évasion et que l’armée les avait signalés à plusieurs reprises à l’administration pénitentiaire. Il s’agissait de la taille de la clôture et de l’absence de système de vidéosurveillance.

Mais une clôture plus haute n’aurait pas pu empêcher l’évasion, car les assaillants ont utilisé des explosifs pour en détruire une partie. Lorsque l’incursion a commencé, l’armée venait de retirer ses soldats qui effectuaient leur rotation à la prison de Kuje. L’attaque a duré plus d’une heure sans renfort des forces de sécurité, permettant ainsi aux assaillants et aux détenus de s’enfuir rapidement.

La collaboration transfrontalière peut contribuer à prévenir les évasions et à retrouver les fugitifs

Il est peu probable que la vidéosurveillance aurait permis d’éviter l’incident. En effet, pour être utiles, les moniteurs auraient dû faire l’objet d’une attention constante du personnel de sécurité et de renseignement. L’attaque n’aurait probablement pas pu réussir sans l’aide des détenus.

L’ISS s’est entretenu avec d’anciens membres de l’EIAO impliqués dans la première évasion de prison de Boko Haram dans l’État de Bauchi en 2010, qui avait permis de libérer plus d’une centaine de membres. Ils ont déclaré que le groupe avait passé des mois à collecter des renseignements en déployant des dizaines de jeunes hommes de la région autour de la prison, des postes de police, du palais de l’émir et du marché, entre autres. Ils se sont fondus dans la masse en exerçant divers métiers, ce qui leur a fourni une couverture parfaite.

Le défunt chef de Boko Haram, Abubakar Shekau – alors retranché à Kano pour soigner ses blessures par balle consécutives au soulèvement de 2009 qui avait entraîné la mort du fondateur du groupe, Mohammed Yusuf – avait donné à chacun de ces jeunes 40 000₦ (263 USD à l’époque) pour créer leur entreprise.

Les pourparlers entre l’EIAO et le GSIM pourraient permettre aux évadés de franchir les frontières

L’échec du renseignement dans l’incident de Kuje prouve que la mise en place de la vidéosurveillance et la construction de murs plus élevés n’auraient pas pu empêcher l’assaut. Quelques semaines plus tard, le président de la Chambre des représentants du Nigeria a révélé que le Service de sécurité de l’État avait reçu 44 signalements concernant le raid avant qu’il ne se produise. Auparavant, l’incapacité à agir sur la base de renseignements similaires avait entraîné l’attentat mortel dans le train Abuja-Kaduna perpétré par une équipe mixte comprenant des membres de Boko Haram et des bandits dans le Nord-Ouest du Nigeria.

Tout en revendiquant l’attaque de Kuje, l’EIAO a assuré à ses membres détenus ailleurs son engagement à les libérer. Trois mois plus tard, il a tenté une attaque similaire, qui fût déjouée par les soldats, contre un site militaire dans le Centre-Nord du Nigeria.

Le ciblage de centres de détention au Niger et au Nigeria et la récente promotion par l’EIAO de l’un des évadés de Kuje rassurent les personnes détenues dans ces pays et ailleurs, en leur montrant que les insurgés, en particulier l’EIAO, n’abandonnent pas leurs membres.

Les implications vont au-delà du bassin du lac Tchad et du Sahel. En Afrique de l’Est et en Afrique centrale, des groupes extrémistes violents pourraient s’inspirer des succès de leurs homologues d’Afrique de l’Ouest. Il est donc nécessaire d’améliorer le renseignement et la sécurité dans les centres de détention des personnes soupçonnées de terrorisme.

Une collaboration transfrontalière s’avère également indispensable, car l’extrémisme violent ne peut plus être traité comme un problème national. Il faudrait partager les meilleures pratiques afin de prévenir les évasions et échanger des renseignements pour retrouver les fugitifs. Boko Haram a démontré sa capacité à utiliser les liens transfrontaliers pour acheminer des équipements ou des combattants, notamment les évadés de la prison de Kuje, qui sont arrivés sur les îles du lac Tchad en passant par le Niger. S’ils aboutissent, les pourparlers en cours entre l’EIAO et le GSIM pourraient également donner lieu à des tentatives de déplacement transfrontalier d’évadés.

Les relations entre le Niger et le Nigeria sont tendues après sept mois de sanctions imposées au Niger par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et la formation de l’Alliance des États du Sahel constituée du Niger, du Mali et du Burkina Faso. Néanmoins, ces pays doivent s’accorder pour lutter contre le terrorisme, notamment contre la menace que représentent les évasions de prison.

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