Quelles solutions pour le Sénégal face à la pêche illicite?

Les stocks de poissons nouvellement abondés du Sénégal ont attiré une foule d'activités illégales, à un coût élevé pour le pays et les communautés locales.

Les eaux sénégalaises sont parmi les plus riches d'Afrique. Des communautés en dépendent comme principale source de revenu depuis des générations. Malheureusement, elles deviennent de plus en plus le théâtre de nombreuses activités illicites.

La pêche illicite non déclarée et non réglementée (INN) est l’une des principales menaces du secteur maritime de ce pays de l’Afrique de l’ouest. Sa forme la plus nuisible est l’intrusion de navires industriels sans autorisation dans les eaux sous juridiction nationale qui font perdre annuellement 150 milliards de FCFA à l’Etat, soit 272 millions de dollars.

Le navire russe Oleg Naydenov qui a été arraisonné l'année dernière - grâce à un appui des forces à la marine sénégalaise - est l’un des navires européens etasiatiques  sans licence qui profitent de la faiblesse du système de contrôle des eaux ouest africaines pour les piller. Ce navire de 120 mètres de long qui avait à son bord 82 marins peut traiter environ 20 000 tonnes de poisson par an, soit le tonnage annuel d’environ 645 pirogues.

La pêche illicite fait perdre 150 milliards de FCFA au Sénégal

Il n'était pas à sa première expérience dans la région, et a écopé  de ce fait de l’amende maximale de 400 millions de FCFA (soit environ 727 000 dollars) conformément à la législation sénégalaise. Sa cargaison a été confisquée.  On peut s’interroger  sur le nombre de navires de ce genre qui opèrent illicitement dans les eaux du pays et en Afrique de l’ouest sans être appréhendés.

Le cas de l’Oleg Naydenov a vraisemblablement inspiré le législateur sénégalais qui, dans le nouveau code de la pêche du pays promulgué en juillet dernier, a alourdi la sanction pécuniaire qui peut désormais atteindre un milliard de FCFA, soit  1, 8 million de dollars.  On peut néanmoins exprimer des inquiétudes de ce que cette loi n’exige pas de façon systématique d’avoir des observateurs sur les navires de pêche battant pavillon sénégalais. Or la nationalité sénégalaise ne peut garantir l’exercice d’une pêche licite. Le navire national qui n’est pas surveillé peut pêcher dans des zones interdites, faire des opérations commerciales en mer sans autorisation et porter de fausses informations dans son journal de bord. Il en est de même des navires étrangers munis d’une licence et qui ne sont pas contrôlés.

Selon un rapport de l’Institut d’études de sécurité (ISS) publié hier, le président du groupement d'intérêts économiques interprofessionnel du Cap Skirring (une organisation de pêche artisanale) dans la région de Ziguinchor  accuse des navires autorisés pour la pêche à la crevette de capturer de grandes quantités de poissons qui ne sont pas recherchés (prises accessoires) et de les rejeter à l’eau sans vie. “ Un crevettier peut prendre 5 tonnes de poisson et n’en retirer que 200 kg de crevettes” se plaint-il.

Un crevettier peut prendre cinq tonnes de poisson et n’en retirer que 200 kg de crevette

Dans la même veine, l’organisation non gouvernementale (ONG) Greenpeace dénonce les pratiques de navires chinois  qui font de fausses déclarations de leurs prises au Sénégal, en Guinée Bissau et en Guinée pour minimiser les redevances à payer à l’Etat. 

Greenpeace évalue la perte enregistrée par le Sénégal à cause de ces fausses déclarations à 372 millions de FCFA ( 676 000 dollars) entre 2000 et 2014.

Cette somme peut être revue à la hausse dans la mesure où certaines fraudes pourraient avoir échappé aux enquêteurs de l’ONG. Greenpeace  rapporte également que  114 navires chinois  ont été mis en cause dans 183 cas de pêche INN en Gambie, en Guinée, en Guinée Bissau, en Mauritanie, au  Sénégal et en Sierra Leone pour défaut de licence, utilisation de mailles non réglementaires et pêche en zones interdites.

Au-delà des pertes économiques que subissent l’Etat et les pêcheurs qui respectent la réglementation, la pêche INN détruit la biodiversité marine. Par exemple, le chalutage en boeuf que pratiquent certains pêcheurs illégaux - une technique qui consiste à pêcher à l’aide de deux ou plusieurs chalutiers attelés entre eux - favorise non seulement la capture des espèces immatures mais aussi la  destruction des lieux de reproduction des poissons.

Au-delà des pertes économiques, la pêche illicite détruit la biodiversité

Le rapport de l’ISS  montre en outre que des pêcheurs artisans  de la région de Ziguinchor sont aussi responsables de pêche illicite tant dans les eaux continentales qu’en. Ces pêcheurs utilisent souvent  des filets en nylon monofilament pourtant interdits. Le monofilament  dont les mailles sont plus resserrées capture les juvéniles et empêche la reproduction des espèces. Quand ils sont abandonnés en mer, ils étouffent le poisson sur le fond marin, et peuvent mettre jusqu'à 40 ans pour se décomposer.

En plus, les pêcheurs artisans ne respectent pas toujours les zones de pêche protégées. Le 13 août dernier, un patrouilleur de la marine nationale sénégalaise  a saisi deux pirogues qui se trouvaient illégalement dans la zone de pêche protégée de Ngaparou, une localité  située à 80 km au sud de Dakar Pourtant, comme l’indique le rapport, les activités halieutiques jouent un rôle primordial dans la vie socio-économique au Sénégal.  Elles y représentent 17% de la population active, et des communautés en sont quasiment tributaires.  Aussi, face à  l’appauvrissement de leurs eaux, des pêcheurs sénégalais sont-ils  parfois amenés à opérer dans les espaces maritimes d’autres pays de manière illégale.  C’est le cas en Guinée Bissau où les autorités maritimes arrêtent des pêcheurs sénégalais pour défaut de licence ou utilisation de fausses licences. L’arrestation de 17 pêcheurs sénégalais pour pêche illicite au Maroc rapportée par la presse en octobre dernier pourrait aussi être une conséquence de la raréfaction des ressources halieutiques au Sénégal.

L'Etat sénégalais a cependant pris plusieurs initiatives en faveur des pêcheurs artisans. Notamment, il est à encourager l’attribution de la gestion des quais de pêche aux collectivités locales et aux organisations professionnelles des pêcheurs artisans. Dans cette initiative,  des groupements d'intérêts économiques interprofessionnels perçoivent les redevances sur les activités des quais, et les partagent avec les mairies qui ont l’obligation de veiller à l'éclairage public et à la salubrité. Cette gestion est supervisée par l’Etat à travers  des structures dénommées “Conseils locaux de pêche artisanale” présidées par les préfets départementaux.

Le rapport de l’ISS suggère, entre autres, que des mécanismes pour promouvoir la reproduction et la croissance des espèces soient mis en place ou renforcés. Il encourage également l’Etat à donner plus de responsabilité aux professionnels dans la gestion de la pêche artisanale. C’est sur cette voie, estime – t- il, que le Sénégal peut se libérer de la pêche INN et assurer la sécurité alimentaire de sa population.

Barthélemy Blédé, chercheur principal, André Diouf, stagiaire, division Gestion des conflits et consolidation de la paix, Pascaline Compaoré, division Prévention des conflits et analyse des risques, ISS Dakar

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