Quelle politique étrangère pour le nouveau gouvernement de coalition d’Afrique du Sud ?
La prise de décision par consensus pourrait conduire l’Afrique du Sud à des politiques plus centristes sur les défis mondiaux urgents.
Publié le 02 juillet 2024 dans
ISS Today
Par
Priyal Singh
chercheur principal, L’Afrique dans le monde, ISS Pretoria
Le paysage politique sud-africain a radicalement changé depuis que le Congrès national africain (ANC) a perdu sa majorité parlementaire le 29 mai, le contraignant à former un gouvernement d’unité nationale (GNU). Cette nouvelle donne politique pourrait considérablement influencer les relations internationales du pays au cours des cinq prochaines années.
La récente nomination de Ronald Lamola au poste de ministre du Département des relations internationales et de la coopération (DIRCO) laisse présager que les grandes lignes de la politique étrangère de l’Afrique du Sud resteront inchangées. Les relations internationales continueront d’être guidées par la Constitution et étayées par l’adhésion idéologique de l’ANC au panafricanisme et à l’internationalisme progressiste.
Toutefois, il serait plus difficile de déterminer la nature et la trajectoire de la politique étrangère sud-africaine sous le gouvernement de coalition.
Un ministre de l’ANC à la tête du DIRCO (associé à deux députés de l’ANC) ne peut occulter les profondes dissensions en politique étrangère entre certains partis du GNU, notamment entre l’ANC et l’Alliance démocratique (DA).
Les profondes divergences en politique étrangère au sein de la coalition ne peuvent être ignorées
Les responsables de la DA peuvent-ils concilier leurs positions sur les réponses de l’Afrique du Sud aux conflits en Ukraine et à Gaza, largement influencées par l’engagement général de l’ANC en faveur d’un internationalisme progressiste ? Le GNU peut-il rester fidèle à la conception du panafricanisme de l’ANC alors que l’Alliance patriotique (PA) persiste dans son approche radicale de l’immigration illégale ?
Ces schismes prévisibles sont peut-être négligeables dans le fonctionnement quotidien du DIRCO ou les activités de relations internationales de la présidence. Mais ils sont essentiels pour déterminer les grandes lignes de la politique étrangère sud-africaine au cours des cinq prochaines années.
Si le GNU ne présente pas un front uni sur les développements mondiaux urgents, les forces d’opposition politique pourraient facilement attaquer et saper les relations internationales du pays. L’absence de consensus conduirait également à une politique moins décisive et incohérente, surtout si les liens institutionnels entre les branches exécutive et législative de l’élaboration de la politique étrangère sont soumis au principe du consensus suffisant du GNU.
Cette situation pourrait être évitée si les partis du GNU identifiaient à l’avance ces pièges potentiels et acceptaient de réserver les décisions majeures en politique étrangère à un seul parti, selon l’affiliation politique du ministre.
L’ouverture de la politique étrangère à divers acteurs peut favoriser un pragmatisme politique
En contrepartie, les partis pourraient exercer une influence spécifique dans d’autres domaines politiques, ce qui minimiserait les querelles internes au GNU et favoriserait l’action et l’opportunité plutôt que la recherche constante d’un consensus. Un tel arrangement serait renforcé par un accord clair précisant les prérogatives du cabinet et les pouvoirs exécutifs en politique étrangère. La réalisation de ces scénarios reste cependant incertaine.
Les dispositions de gouvernance interne du GNU pourraient aussi prévoir une réorganisation et une rationalisation des relations de travail entre les différents pôles en charge de l’élaboration de la politique étrangère. Il s’agit notamment du bureau de la présidence, du DIRCO, de la sous-commission des relations internationales du comité exécutif national de l’ANC (NEC) et de la commission du portefeuille des relations internationales et de la coopération de l’Assemblée nationale.
Selon la façon dont le GNU parviendra à un consensus suffisant, la sous-commission du NEC de l’ANC devra peut-être s’aligner sur les visions du monde de la DA, du Freedom Front Plus et du PA. Nombre de ces partis ont des positions diamétralement opposées sur la réaction du pays aux événements internationaux urgents.
Ce compromis entre la cohérence interne et la durabilité du GNU et les pressions exercées par les partis, est peut-être le moteur de la continuité et du changement. Autrement dit, les relations internationales de la septième administration pourraient dépendre moins des personnes occupant les postes clés de l’exécutif que de la collaboration entre la gouvernance et les structures des partis du GNU à la formulation et à la mise en œuvre de la politique étrangère.
Les partis de la coalition devraient encourager le consensus, plutôt que d’y être contraints
La tâche sera ardue, car les résultats des récentes élections nationales ont poussé ces structures en terrain inconnu. La perte de 71 sièges de l’ANC au Parlement modifiera sans aucun doute la dynamique du pouvoir parmi les membres de la Commission du portefeuille des relations internationales et de la coopération, et son utilité ultérieure dans l’élaboration des lois, le contrôle et l’allocation du budget.
Ce nouvel accord de gouvernance pourrait avoir pour effet net de donner l'avantage à des résultats de politique étrangère plus centristes. Cette tendance n’est pas forcément mauvaise pour les relations internationales.
Une politique étrangère ouverte à un ensemble plus éclectique d’acteurs contraints de parvenir à un consensus pourrait tempérer les relations internationales. À long terme, cela pourra favoriser une culture de pragmatisme politique alors que l’Afrique du Sud évolue dans un environnement mondial davantage volatil et incertain à la poursuite de son intérêt national.
Alors que les trajectoires des partis du GNU s’entrecroisent, cette nouvelle composition d’acteurs de la politique étrangère devrait encourager activement la recherche d’un consensus, plutôt que l’obligation de consensus.
La stabilité et l’efficacité du GNU - au moins jusqu’aux prochaines élections nationales - peuvent servir de motivation, car tous les membres perdraient leur soutien si leurs initiatives de gouvernance collective échouent. Il faut espérer que les parties du GNU parviennent rapidement à cette conclusion.
Le 4 juillet, l’ISS a organisé une table ronde sur la politique étrangère sud-africaine dans le cadre du Gouvernement d'unité nationale. Cliquez ici pour revoir cet évènement.
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