Quel serait l'impact de Trump 2.0 sur les économies africaines ?
Les pays africains gagnants seront ceux qui feront preuve de pragmatisme face à l'ego de Trump et son statut de négociateur autoproclamé.
Alors que nous entrons dans la dernière ligne droite de la course électorale américaine, les investisseurs et les décideurs politiques africains évaluent les implications de ses résultats pour le continent. Malgré une tentative d'assassinat, la décision du président Joe Biden de ne pas se présenter et un environnement politique polarisé, Donald Trump reste en tête, même si les sondages montrent que l’écart avec Kamala Harris se réduit.
À quoi ressemblerait une deuxième présidence Trump, et comment pourrait-elle affecter les pays africains sur le plan économique et commercial ?
Les « Trumponomics » reposent sur trois principes économiques clairs, mais contradictoires. Premièrement, en accord avec le mantra « l’Amérique d'abord », les impulsions protectionnistes et nationalistes domineront avec des conséquences importantes pour le commerce mondial. Une taxe de 10 % serait appliquée sur toutes les importations et une taxe allant jusqu'à 60 % sur tous les produits venant de Chine. Une nouvelle guerre commerciale serait presque inévitable.
Le friendshoring (délocalisation des chaînes d'approvisionnement vers des pays partageant les valeurs ou des alliances stratégiques avec les États-Unis) ou le reshoring (rapatriement de la production aux États-Unis) et le nearshoring (concentration de la production dans le voisinage des États-Unis) deviendront des stratégies clés. Elles entraîneront une hausse des coûts d'exportation vers les États-Unis au risque de perturber les chaînes d'approvisionnement mondiales.
Deuxièmement, l'économie du laissez-faire. De 2017 à 2019, les marchés ont applaudi avec force les réductions d'impôts et la déréglementation, éléments clés de la première présidence Trump. Son « bazooka fiscal » avait stimulé la croissance durant cette période. Toutefois, la situation de la dette du pays est aujourd'hui fondamentalement différente, ce qui rend une répétition de cette stratégie controversée (voir graphique).
Dette nette et recettes publiques des États-Unis, 2001-20211
Source : Fonds monétaire international
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Troisièmement, l'indépendance de la politique monétaire sera examinée de près. Trump a qualifié le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, de plus grand ennemi des Américains que le président chinois Xi Jinping pour avoir continué à relever les taux d'intérêt. Ce niveau d'ingérence politique nuirait à la crédibilité de la Réserve fédérale et à la lutte contre l'inflation.
Les conditions mondiales ont radicalement changé depuis que Trump a pris ses fonctions pour la première fois en 2017. Comme le fait remarquer le cabinet de conseil Roland Berger, le monde est toujours confronté aux conséquences de la COVID-19 et des guerres en Ukraine et à Gaza, à des surendettements importants et aux effets persistants des taux d'intérêt élevés ainsi qu’aux pressions inflationnistes. Ne pas prendre en compte ces conditions pourrait nuire à une économie mondiale déjà fragile.
L'impact sur la croissance, l'inflation et les marchés financiers n'est pas clair. Goldman Sachs affirme que la politique commerciale américaine sous une seconde présidence Trump serait si peu orthodoxe qu’elle ne peut pas être modélisée efficacement. UBS prévoit une baisse de 2,5 points de pourcentage de la croissance chinoise, tandis que Wells Fargo estime que le PIB américain pourrait diminuer. Tout dépendra de la composition de la Chambre des représentants et du Sénat, qui dictera la vitesse, la portée et l'intensité avec lesquelles Trump et son parti pourront faire avancer leur programme.
Sur le plan géopolitique, les idées de Trump restent globalement cohérentes avec son premier mandat : isolationnisme, autoritarisme et nativisme. Le principe de « l’Amérique d'abord », qui s'oppose au multilatéralisme, conduira à l’adoption par Washington d'une approche isolationniste qui créera un antagonisme avec ses alliés historiques.
Les États africains pourraient être pris dans les feux d'une guerre commerciale
Le Foreign Policy souligne que cette politique commerciale conflictuelle rendra plus difficile pour Washington le rassemblement de ses alliés en Europe et en Asie pour contenir et faire reculer la Chine et la Russie dans leur comportement coercitif. Les décideurs politiques européens sont déjà inquiets face aux critiques de Trump à l’égard de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et à son manque d'intérêt pour l’Ukraine.
Ensuite, il y a le changement climatique. Comme lors de son premier mandat, Trump pourrait se retirer de l'Accord de Paris (une décision que l'administration Biden avait annulée). De plus, plaider pour une augmentation de la production des combustibles fossiles contraste avec les efforts déployés au niveau mondial pour diminuer les émissions de carbone. La réduction du soutien américain aux initiatives climatiques et le recul des politiques « vertes » progressistes pourraient compromettre les objectifs climatiques mondiaux et aggraver la dégradation de l'environnement dans les régions vulnérables.
La gouvernance mondiale pourrait également en pâtir. Trump n'a que peu d'estime pour l'ordre international fondé sur des règles ou pour ses institutions qui souffrent déjà d'une crise de légitimité. Après s'être vanté de sa proximité avec des autocrates tels que le président russe Vladimir Poutine et le Nord-Coréen Kim Jong-un, l'approche de Trump pourrait enhardir les despotes du monde entier et restreindre encore la légitimité morale de Washington.
Qu'est-ce que tout cela signifie pour l'Afrique ? Sur le plan économique, la propagation des effets d'une inflation élevée, d’un dollar fort, des frictions commerciales et d'un isolationnisme renforcé constitue une préoccupation majeure. Ainsi, l'augmentation des droits de douane et les réductions d'impôts aux États-Unis auraient probablement des effets inflationnistes prononcés sur son économie, ce qui inciterait la Réserve fédérale à relever ses taux d'intérêt.
Un recul des investissements et une réduction de l'aide seraient à nouveau possibles
Les décideurs africains, qui ont dû faire face aux effets du « sourire du dollar » ces dernières années (l'impact disproportionné de la force du dollar pendant les périodes de force et de faiblesse extrêmes de l'économie américaine), se méfieront de l'impact négatif que cela pourrait avoir sur l'économie mondiale. Le coût du service de la dette pourrait augmenter à nouveau. Avec l’érosion des réserves budgétaires depuis la COVID-19 et deux guerres, les décideurs politiques auront un sentiment de déjà-vu. Dans ce scénario, on peut s'attendre à des rendements obligataires, à une faiblesse de la monnaie et à des pressions croissantes sur les coûts.
Sur le plan commercial, les États africains seront probablement pris dans une guerre de plus en plus intense impliquant leurs principaux partenaires commerciaux. Des tensions soutenues auraient pour effet de freiner la croissance et de perturber les chaînes d'approvisionnement. Une administration américaine plus dure pourrait revoir des accords commerciaux tels que la loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique et conclure davantage d'ententes commerciales bilatérales, ce qui nuirait à la zone de libre-échange continentale africaine.
Cette orientation politique plus étroite pourrait entraîner à nouveau le recul des investissements et la réduction de l'aide des donateurs. Ce qui serait dévastateur, en particulier pour le changement climatique et les soins de santé pour lesquels l'Afrique manque de ressources. L'Afrique devrait alors réduire sa dépendance et diversifier ses alliances stratégiques et ses relations commerciales et d'investissement.
Au cours de son premier mandat, l'approche de Trump à l'égard de l'Afrique a oscillé entre le mépris et la négligence, et a été généralement négative pour le continent. Cependant, malgré des vents contraires évidents, il peut encore y avoir des opportunités. Une évaluation impartiale montre que certains éléments du premier mandat de Trump ont été constructifs pour l'Afrique.
Les marchés africains pourraient combler un vide dans les chaînes d'approvisionnement mondiales
Prosper Africa est une initiative née en 2019 visant à accroître de part et d’autre les échanges commerciaux et les investissements. Bien que tardive, elle a été façonnée davantage par un agenda dirigé contre la Chine et la Russie que par une réelle bienveillance envers l'Afrique. Cependant, elle a jeté les bases de partenariats potentiellement lucratifs, à condition que les États africains parviennent à s'adapter au réalignement géopolitique. En outre, la position résolument anti-Chine de Washington pourrait permettre aux marchés africains de combler le vide dans les chaînes d'approvisionnement mondiales, à condition qu'ils agissent rapidement et de manière stratégique.
Les pays qui ont un esprit commercial, comme le Kenya, qui pourront offrir aux États-Unis un retour sur investissement et dont les offres s'aligneront sur ses priorités économiques et sécuritaires, comme la République démocratique du Congo, réussiront.
Les États africains ne contrôleront que ce qu'ils pourront. Les gagnants seront ceux qui feront preuve de pragmatisme face à l'ego de Trump et son statut de négociateur autoproclamé dans un contexte géostratégique de plus en plus complexe.
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