Quel rôle pour la justice alternative dans la lutte contre le terrorisme ?
Les systèmes judiciaires du Mali, du Niger et du Nigeria étant submergés, le recours à d'autres méthodes pour résoudre certains cas de terrorisme pourrait être envisagé.
Le Mali, le Niger et le Nigeria cherchent à mettre fin aux attaques terroristes répétées perpétrées sur leurs territoires. La façon de s’y prendre constitue toutefois une véritable gageure. Des mesures visant à recourir au système de justice pénale ont été prises, comme le préconisent les Nations Unies et d'autres organisations. Chercher des solutions au-delà des réponses militaires habituelles constitue un pas dans la bonne direction ; mais cette approche met à rude épreuve les services de police et les tribunaux. La justice alternative offre peut-être des options supplémentaires dans la prise en charge de certains cas de terrorisme.
La lutte contre le terrorisme dans ces pays d'Afrique de l'Ouest s'est jusqu’à présent articulée autour d'une approche militaire. Cela a contribué à freiner le terrorisme dans une certaine mesure, mais ce faisant, l'État de droit et la protection des droits humains des civils et des présumés terroristes sont fragilisés. Les travaux de recherche indiquent que la répression et la violence exercées par les forces de sécurité peuvent en réalité exacerber la menace et conduire à un accroissement de la radicalisation et des recrutements.
Le Mali, le Niger et le Nigeria ont de plus en plus recours aux services de police et aux tribunaux pour prendre en charge les terroristes présumés. Des pôles judiciaires spécialisés en matière de lutte contre le terrorisme ont été créés, des détectives et des procureurs ont été formés. Cette démarche est largement reconnue comme étant nécessaire pour protéger les droits de l'homme et respecter l'État de droit.
Le grand nombre d'affaires liées au terrorisme dépasseraient les capacités du système de justice pénale le plus perfectionné
Toutefois, l’intensité des efforts consentis pour enquêter, détenir, poursuivre et juger les terroristes présumés met sous pression les pôles spécialisés et les systèmes de justice pénale nationaux qui manquaient déjà de moyens financiers. En 2018, on estimait à 200 les détenus présumés terroristes en attente de jugement (y compris des femmes et des enfants) au Mali, 1 100 au Niger et plus de 5 000 au Nigeria.
Certains des détenus sont des civils qui ont été victimes d'arrestations arbitraires pour leur appartenance à des communautés données en raison de leur proximité avec des terroristes ou parce qu’ils ont été dénoncés par des membres des communautés pour des « crimes » non-violents, voire des délits banals.
Les raisons qui sous-tendent ces dénonciations n’ont parfois rien à voir avec des faits de terrorisme, mais peuvent être motivées par la vengeance, les conflits historiques, les querelles personnelles ou l'intolérance religieuse. Bien qu'il n'y ait peu ou pas de preuves contre ces « suspects », ceux-ci doivent néanmoins passer entre les mains du système judiciaire et être réintégrés dans la communauté, parfois des années plus tard.
La complexité et le grand nombre d'affaires liées au terrorisme dans ces pays dépasseraient les capacités du système de justice pénale le plus perfectionné qui soit. Dans ces circonstances, pourquoi ne pas envisager d’autres méthodes pour rendre justice - telles que la justice réparatrice, transitionnelle ou traditionnelle - au sein de mécanismes antiterroristes officiels ?
Les approches alternatives à la justice pourraient réduire la pression sur les systèmes de justice pénale officiels
Une panoplie d'outils tels que les commissions de vérité, la médiation, l'arbitrage, la réconciliation et les réparations ont été testés dans des pays sortant d'un conflit. Ces mesures sont susceptibles de contribuer à rendre justice, à responsabiliser et à apaiser les tensions dans des cas de terrorisme dans des pays comme le Mali, le Niger et le Nigeria. Les trois pays ont tenté, à plusieurs reprises, d'introduire des initiatives de justice alternative, dont beaucoup ont rencontré de sérieux obstacles.
La Commission Vérité, Justice et Réconciliation du Mali a été limitée par un mandat trop vaste et une insécurité persistante. Le gouvernement nigérien peine à déterminer quels désengagés de Boko Haram devraient être jugés et lesquels devraient être déradicalisés et réintégrés en passant par un camp de détention dans le Goudoumaria. Et au Nigeria, l'Opération Safe Corridor qui vise à réhabiliter les combattants de Boko Haram bute face à des critères vagues sur la définition des personnes à risque élevé ou faible, ainsi qu'une stratégie explicite pour leur réinsertion.
Toutefois, si elles sont bien menées, les approches alternatives à la justice pourraient réduire la pression sur les systèmes de justice pénale officiels dans ces pays. Ces initiatives participeraient également à résoudre les conflits locaux qui alimentent les tensions liées à l'extrémisme violent et offrir un soutien aux victimes du terrorisme, tout en assurant une forme de reddition de comptes dans les cas où des preuves sont disponibles. Ils offrent aux individus des moyens de réintégrer la société et contribuent à la construction de la tolérance dans des communautés divisées.
Ces approches peuvent être plus appropriées que les systèmes judiciaires formels aux yeux des populations locales
Dans de nombreux cas, ces approches peuvent être plus appropriées et légitimes que les systèmes judiciaires formels aux yeux des populations locales. Elles gagneraient à être systématiquement introduites pour combler les lacunes de la justice pénale, à condition qu’elles se fondent sur des paramètres bien définis, sur une bonne planification et sur des consultations approfondies avec les acteurs locaux. Des garanties formelles du système de justice devraient également intervenir, telles que la protection des droits humains, l'accès à une représentation légale, les garanties d'une procédure régulière et des mécanismes de contrôle.
Des initiatives de justice alternative devraient être développées dans le cadre de stratégies plus larges visant à prévenir l'extrémisme violent. Elles devront toutefois bénéficier du soutien des communautés locales, en particulier dans les régions excentrées. Par exemple, les représentants parajuridiques et les dirigeants communautaires ont un rôle à jouer pour mettre en œuvre des programmes et accorder l'attention nécessaire aux cas individuels.
Il n'existe pas de panacée pour lutter efficacement contre le terrorisme. Le recours à la justice alternative peut sembler intimidant, mais il faut l'envisager soigneusement. Les systèmes pénaux du Mali, du Niger et du Nigeria sont surchargés et progressent lentement dans la prise en charge des cas de terrorisme. S'ils sont correctement conçus et mis en œuvre avec les garantis nécessaires en matière de droits humains, les mécanismes de justice alternative peuvent constituer un fort atout.
Pour le rapport complet de l’ISS sur cette question, consultez Counter-terrorism, human rights and the rule of law in West Africa.
Romi Sigsworth, Consultante en recherche, menaces transnationales et criminalité internationale, ISS
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