Quel avenir pour l’Afrique du Sud avec un ANC amoindri ?

En plein débat sur la destitution du président, l’enjeu principal est de connaître l’ampleur de la désaffection pour l’ANC aux élections de 2024.

L’avenir du président sud-africain Cyril Ramaphosa, du Congrès national africain (ANC) — parti au pouvoir — et de l’Afrique du Sud va faire couler beaucoup d’encre et suscitera de nombreux tweets, dans les semaines et les mois à venir.

Le 2 décembre, le président semble avoir renoncé à démissionner en raison du tort que cela pourrait causer à l’ANC, qui souffre d’une désaffection croissante et qui est déjà en proie à une crise liée à la corruption, au népotisme et à sa politique de division.

Ces événements sont survenus après la publication d’un rapport accablant dont les conclusions suffiraient pour que soit envisagée une procédure de destitution. Rédigé par un panel indépendant nommé par l’Assemblée nationale, ce rapport a conclu que Ramaphosa pourrait avoir violé la Constitution et s’être rendu coupable de fautes graves, liées au vol d’importantes sommes d’argent en dollars US dans sa ferme de chasse de Phala Phala en 2020 et au traitement de cette affaire criminelle.

Ces accusations lancées à l’encontre du président trouvent leur origine dans les luttes intestines auxquelles se livre le parti au pouvoir. Elles ont été portées par Arthur Fraser, un ancien agent des services de renseignement, lui-même impliqué dans des affaires de corruption et de faute professionnelle.

Le destin de l’ANC est inextricablement lié à Ramaphosa, qui reste le responsable politique le plus populaire d’Afrique du Sud

L’enjeu est de taille. Le 16 décembre, l’ANC doit se réunir pour élire l’équipe de dirigeants qui le mènera aux élections générales de 2024. Or, le sort du parti est inextricablement lié à Ramaphosa, le responsable politique le plus populaire d’Afrique du Sud. Privé de Ramaphosa, l’ANC risque de s’effondrer aux prochaines élections.

Avant la publication du rapport du panel, on s’attendait à ce que le soutien à l’ANC continue de baisser en 2024, probablement d’environ 10 points de pourcentage par rapport aux 57 % obtenus en 2019. L’ANC, qui reste le plus grand parti du pays, aurait besoin de partenaires de coalition plus petits pour gouverner jusqu’en 2029, date à laquelle une alliance de l’opposition deviendrait viable. En 2024, l’ANC sera probablement remplacé par une coalition de l’opposition dans la province stratégique de Gauteng, cœur économique de l’Afrique du Sud, où sa direction est actuellement basée.

C’est un moment critique pour l’ANC et pour le pays. C’est l’occasion de mettre à jour les scénarios politiques que l’Institut d’études de sécurité publie régulièrement depuis 2017 sur l’avenir de l’Afrique du Sud. Nous avons récemment proposé d’explorer deux alternatives principales : dans l’une, Ramaphosa reste président du pays, dans l’autre, il se retire avant les élections internes du parti qui sont imminentes.

Compte tenu des répercussions pour le parti si Ramaphosa démissionnait maintenant, juste avant que l’ANC ne choisisse ses nouveaux dirigeants, ses partisans l’auraient persuadé de rester pour se présenter de nouveau à la tête du parti et à la présidence. Il a également décidé de passer en revue le rapport Phala Phala, qui semble en grande partie fondé sur des ouï-dire et dont certaines interprétations juridiques paraissent douteuses.

En 2024, le soutien à l’ANC pourrait tomber bien en dessous des 47 % actuellement prévus par l’ISS

Les rivaux de Ramaphosa sont également faibles et visés par des accusations de déficience, d’erreurs de jugement et d’incompétence. Les parlementaires de l’ANC ont déjà reçu pour instruction de voter contre l’adoption du rapport Phala Phala, tant qu’il n’aura pas été complètement analysé, lorsqu’ils se réuniront le 13 décembre.

Il est encore probable que Ramaphosa soit réélu président de l’ANC ce mois-ci et même qu’il subisse une procédure de destitution si les choses devaient en arriver là. Mais il est attaqué, et l’ANC en pâtira lors des élections en 2024. Avec les coupures d’électricité, un taux de criminalité sans précédent et un environnement économique extérieur hostile, le soutien à l’ANC pourrait chuter en dessous des 47 % initialement attendus dans nos prévisions actualisées.

Il est peu probable que la crise de l’ANC se traduise par un gouvernement d’opposition d’ici 2024. Mais le soutien au parti va probablement baisser à environ 40 %, le contraignant à s’allier avec l’un des deux plus grands partis d’opposition, à savoir Democratic Alliance (DA) ou l’Economic Freedom Fighters (EFF). La probabilité qu’un nouveau parti se forge une assise nationale d’ici 2024 est mince.

Auparavant, l’ANC aurait pu gouverner en s’alliant avec une série de petits partis. Compte tenu des orientations idéologiques très différentes des deux plus grands partis d’opposition, il serait donc crucial de choisir l’ANC pour l’avenir de l’Afrique du Sud : il s’agirait en réalité de choisir entre la redistribution des richesses et la croissance économique.

L’Afrique du Sud doit changer de gouvernement pour mettre fin aux pratiques de népotisme et de mauvaise gouvernance de l’ANC

Cette saga de la destitution a secoué l’Afrique du Sud, mais Ramaphosa a toujours démontré sa foi dans la suprématie de l’État de droit et de la légalité. Malgré tout le bruit autour du rapport Phala Phala, Ramaphosa, contrairement à nombre des ténors du parti, est attaché au constitutionnalisme. Il restera probablement président du pays jusqu’en 2029, bien qu’à la tête d’un gouvernement de coalition.

L’Afrique du Sud a beaucoup à perdre si l’ANC évince Ramaphosa lors de sa conférence élective ou ne le désigne pas candidat à la présidence pour 2024. Il a fait preuve d’opiniâtreté pour reconstruire les institutions du pays et de constance dans la réforme en profondeur du gouvernement, notamment en octroyant des pouvoirs à l’Autorité nationale chargée des poursuites et à l’Auditeur général. Ces mesures permettront, à terme, de faire en sorte que chacun rende des comptes ; elles sont essentielles pour les investisseurs potentiels en Afrique qui ne savent pas où s’implanter.

Toutefois, il est nécessaire que l’Afrique du Sud change de gouvernement pour prospérer et mette fin au népotisme et à la mauvaise gouvernance profondément ancrés dans les pratiques de l’ANC. La saga de Phala Phala accélère la disparition de l’ANC, un parti qui a aggravé les inégalités, la pauvreté et le chômage tant par ses actions que son inaction.

La seule question qui se pose dorénavant est de savoir dans quelle mesure le soutien à l’ANC va chuter en 2024. Le parti aurait pu se reformer lorsqu’il était en pleine ascension, mais il est presque impossible de changer la donne aujourd’hui. La trajectoire actuelle de l’ANC est étroitement liée aux élites des zones rurales et aux chefs traditionnels, même si l’urbanisation et l’éducation montrent la nécessité de mobiliser les électeurs des villes.

S’il est certain que l’ANC aura besoin de partenaires pour rester au gouvernement après les élections de 2024, il aura probablement encore suffisamment de soutien pour éviter un gouvernement de coalition de l’opposition.

Mais quelle orientation pourra bien émerger d’un gouvernement en 2024 au sein duquel l’ANC sera toujours le plus grand parti ? S’agira-t-il d’un gouvernement reposant sur la DA ou l’EFF, ou bien l’ANC sera-t-il capable de rassembler suffisamment de petits partis pour obtenir une majorité ? Les Sud-Africains ont besoin de bonne gouvernance pour faire croître l’économie, et le choix final sera déterminant pour l’avenir.

Jakkie Cilliers, responsable de Futurs africains et Innovation, ISS Pretoria

Image : © Esa Alexander / Pool / AFP

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