Premier sommet Arabie saoudite-Afrique : un début difficile ?

La présence d’États « putschistes » questionne l’engagement de l’Arabie saoudite envers les intérêts supérieurs et les principes de l’Afrique.

Le 10 novembre, le premier sommet Arabie saoudite-Afrique s’est tenu à Riyad, le dernier d’une liste croissante de sommets « Afrique+1 ». Ce sommet offrait une occasion de renforcer les relations entre l’Arabie saoudite et les États africains, tout en consolidant leurs liens économiques et diplomatiques.

Parmi la cinquantaine de dirigeants présents figuraient les présidents de Djibouti, d’Égypte, d’Éthiopie, du Gabon, du Kenya, de la Mauritanie, du Niger, du Nigeria, du Rwanda, des Seychelles, du Soudan, de la Zambie et du Zimbabwe. Le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, et le président de l’UA, le président comorien Azali Assoumani, étaient également au sommet.

L’Arabie saoudite a invité des États suspendus par l’UA comme le Gabon, le Niger et le Soudan. Même si l’accent était mis sur les États, cette décision pourrait conforter les atteintes aux normes et principes par les membres de l’organisation continentale — une tendance déjà évidente dans la récente augmentation des coups d’État. Elle pourrait également effriter les relations entre l’Arabie saoudite et l’UA. Par ailleurs, le sommet UA-Ligue arabe prévu pour le 11 novembre a été annulé en raison de désaccords entre les États africains sur la participation de la République sahraouie.

Premier rassemblement arabo-africain depuis celui du Koweït en 2013, ce sommet reflète la vision de l’Arabie saoudite d’intégrer l’Afrique dans sa politique étrangère multipolaire et son agenda commercial et affirme son leadership mondial par le renforcement des liens entre le monde arabe et l’Afrique.

L’Arabie saoudite affirme son leadership en renforçant les liens entre le monde arabe et l’Afrique

Cette réunion intervient à un moment où l’Afrique gagne en influence au sein d’institutions mondiales. En août, les BRICS ont admis dans leurs rangs l’Arabie saoudite et deux nations africaines : l’Égypte (représentant l’Afrique et le monde arabe) et l’Éthiopie (siège de l’UA) à partir de janvier 2024. Le même mois, l’UA a fait son entrée au G20.

Avec les États africains et l’UA prenant une place croissante dans la politique mondiale, l’Arabie saoudite projette d’étendre sa présence diplomatique sur le continent en ouvrant davantage d’ambassades et en intensifiant ses investissements économiques. Ses échanges commerciaux s’effectuent principalement avec l’Égypte et l’Afrique du Sud, avec des exportations concentrées sur le caoutchouc, les produits chimiques, les biens de consommation, les minéraux, les métaux et les produits alimentaires. Les métaux, les matières premières, les produits végétaux, la pierre et le verre représentent la plus grande partie de ses importations.

Des engagements d’investissement de plus de 25 milliards de dollars USD d’ici 2030 ont été annoncés, et le prince héritier Mohammed ben Salmane Al Saoud a proposé d’allouer 10  milliards de dollars USD pour soutenir les exportations saoudiennes. Dans le même temps, le Fonds saoudien pour le développement accordera 5 milliards de dollars USD aux pays africains. Le ministre saoudien des Finances, Mohammed Al-Jadaan, a annoncé la signature de contrats d’un montant total de 533 millions de dollars USD pour aider le Ghana et d’autres pays africains à alléger leur dette. Plus de 50 autres accords ont été signés dans divers secteurs.

Le sommet a également permis aux dirigeants africains de renforcer leur rôle dans la diplomatie de crise. La déclaration de Riyad condamne les violations du droit international par Israël, appelle à l’arrêt des opérations militaires en Palestine occupée et à la protection des civils. L’Afrique du Sud, l’Égypte et l’Éthiopie pourraient utiliser leur position au sein des BRICS pour exhorter les autres membres, y compris l’Arabie saoudite, à jouer un rôle plus constructif dans la fin de la guerre Russie-Ukraine.

L’invitation de juntes militaires n’a pas renforcé l’Afrique dans sa quête de bonne gouvernance

Les développements au Moyen-Orient indiquent que l’Arabie saoudite pourrait être un partenaire de sécurité essentiel pour certains États africains. Riyad a déjà mené, avec les États-Unis, des efforts diplomatiques pour mettre fin à la guerre au Soudan. Après le rapprochement facilité par la Chine entre l’Iran et l’Arabie saoudite, l’Iran cherche à normaliser ses relations diplomatiques avec l’Égypte. Tout apaisement entre Téhéran et Le Caire pourrait favoriser la normalisation des relations entre l’Égypte et l’Éthiopie.

Toutefois, l’ouverture diplomatique de l’Arabie saoudite envers les juntes militaires lors du sommet n’a pas renforcé la confiance de l’Afrique dans sa quête de bonne gouvernance et de stabilité. La présence de dirigeants de pays suspendus de l’UA pour avoir organisé des coups d’État était significative. En les excluant de « toutes ses activités », le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a fermement rejeté « toute ingérence extérieure d’un acteur ou d’un pays extérieur au continent dans les affaires de paix et de sécurité en Afrique ».

En les invitant, l’Arabie saoudite a légitimé ces dirigeants et a ignoré les principes anti-putsch de l’UA, affaiblissant ainsi l’impact de ses sanctions. Les discussions avec le président intérimaire du Gabon, Brice Oligui Nguema, lors du sommet, sur la levée des sanctions mondiales, et l’arrêt par la Banque africaine de développement des sanctions financières son encontre, à Riyad, ont directement sapé les régimes de sanctions. L’accueil par la Russie de juntes militaires suspendues au sommet Russie-Afrique de juillet va également à l’encontre de son engagement pour la coopération sécuritaire avec l’Afrique.

L’Arabie saoudite et la Russie sont toutes deux membres des BRICS. Les dirigeants du groupe partagent la conviction que les États et les institutions occidentaux dominent le système international et ne servent pas les intérêts des pays en développement. Mais les interactions de l’Arabie saoudite et de la Russie avec les États africains suspendus par l’UA suscitent des doutes sur leur engagement envers les intérêts de l’Afrique et questionnent la pertinence des sommets Afrique+1 pour le continent.

Les sommets avec l’UA et les États africains devraient reposer sur le respect mutuel

L’Arabie saoudite peut légitimement établir des relations avec des États souverains conformément au droit international. Toutefois, la coopération internationale exige que la poursuite des intérêts nationaux reconnaisse les objectifs partagés par les partenaires. Le refus de plusieurs dirigeants africains d’apparaître sur la photo officielle du sommet Russie-Afrique aux côtés de ceux du Burkina Faso et du Mali envoie un message clair sur la nécessité de respecter les décisions et les principes de l’UA. Cette action symbolique devrait inciter les partenaires de l’Afrique à adhérer aux normes anti-putsch du continent.

Les sommets impliquant l’UA et ses États membres doivent promouvoir des intérêts nationaux et communs fondés sur le respect mutuel, la solidarité et la responsabilité — d’autant plus que l’UA est désormais membre permanent du G20.

Si leur suspension de l’UA n’empêche pas les États de participer aux sommets Afrique+1, les sanctions imposées par le CPS doivent être renforcées. En tant qu’organe décisionnel de l’UA en matière de sécurité, le CPS pourrait examiner des mesures plus dissuasives ou punitives contre les coups d’État. La « suspension de toutes les activités de l’UA » pourrait s’appliquer aux sommets avec des partenaires externes cherchant à collaborer avec l’organisation continentale et ses États membres.

La finalisation de la stratégie de partenariat de l’UA est l’occasion d’y incorporer des mesures qui renforcent les sanctions. La stratégie devrait enjoindre aux partenaires de respecter les décisions et les principes de l’UA et recommander de ne pas inviter les États membres suspendus aux sommets Afrique+1 — une condition essentielle pour devenir un acteur et un partenaire respectable et influent sur la scène internationale.

Hubert Kinkoh, chercheur, Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique, ISS Addis-Abeba

Image : © Présidence Rwanda

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