Nouvelle loi antiterroriste au Tchad : un pas dans la bonne direction ?

Si l'abolition de la peine de mort constitue une avancée considérable, il convient toutefois d'œuvrer davantage pour protéger les droits des présumés terroristes.

En début avril, 44 membres présumés de Boko Haram en détention provisoire ont été retrouvés morts dans leur cellule à N’Djamena, au Tchad. Ils faisaient partie d’un groupe de 54 combattants présumés arrêtés en mars à la suite de l’opération Colère de Boma menée par les forces armées tchadiennes.

Au vu des circonstances troubles entourant ces décès, des autopsies ont été pratiquées sur quatre corps ; les causes des décès présentées étaient l’asphyxie et l’arrêt cardiaque. Les 40 autres défunts ont été enterrés à la hâte sans aucun examen post-mortem. Selon Nodjitoloum Salomon, avocat au barreau du Tchad et président de la section Tchad d'Action chrétienne pour l'abolition de la torture, « il est inconcevable que 44 personnes puissent mourir dans une prison d’État dans des circonstances aussi mystérieuses ».

Ces décès mettent en évidence la fausse dichotomie qui existerait entre la lutte de l’État contre le terrorisme et son obligation de respecter les droits humains et l’État de droit. Les violations des droits humains sont présentées à tort comme des compromis acceptables pour préserver la sécurité nationale.

Le 28 avril, l’Assemblée nationale du Tchad a adopté une nouvelle loi antiterroriste qui abolit la peine de mort. Le pays a accepté d’appliquer la recommandation d’abolir la peine de mort en 2018, suite à l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Cette mesure s’applique notamment aux crimes relevant d’activités terroristes. Mais cela suffira-t-il à protéger les droits des personnes soupçonnées de terrorisme ? Ou encore de restaurer la confiance des Tchadiens dans leur système judiciaire et leur armée ?

Les violations de droits humains sont faussement présentées comme des compromis acceptables pour la sécurité nationale

Comme la plupart des États africains confrontés à la menace terroriste, les dépenses militaires du Tchad sont élevées ; 14 % des dépenses publiques du pays sont consacrés aux forces armées. Mais en réalité, le pouvoir militaire et les déclarations d’état d’urgence érodent les droits humains fondamentaux de manière injustifiée. Tout cela affaiblit l’État de droit et favorise la récurrence de la violence.

Le système de justice pénale tchadien est peu performant en matière d’approche fondée sur les droits pour les personnes suspectées d’appartenir à Boko Haram. En août 2015, un procès expéditif de trois jours s’était soldé par l’exécution de 10 membres présumés de Boko Haram, dans des circonstances peu claires. De même, un doute planait quant au respect des normes internationales en matière de droits humains durant ce procès.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, Christof Heyns, avait déclaré à l’époque que « la peine de mort est une forme de punition extrême qui, si elle est appliquée, ne devrait l’être qu’à l’issue d’un procès équitable respectant les garanties les plus strictes en matière de procédure régulière, comme le dispose le droit international des droits humains ».

Il existe des circonstances exceptionnelles dans lesquelles certains droits sont temporairement restreints. Cependant, le droit à la vie est absolu. L’État ne peut procéder à des exécutions extrajudiciaires ou sommaires de ses citoyens, et ce, même lorsqu’ils sont impliqués dans des activités terroristes.

L’organe de surveillance des prisons tchadiennes est placé sous la direction du procureur du ministère de la Justice

Les prouesses militaires ne suffiront pas à stopper l’extrémisme violent. Fondés sur le respect des droits humains et de l’État de droit, les systèmes de justice pénale et autres devraient compléter les solutions militaires au terrorisme. Mais dans le cas du Tchad, la mort de 44 présumés terroristes en prison, alors qu’ils attendaient leur procès, n’inspire pas confiance dans le caractère complémentaire du système judiciaire pénal.

Le Tchad pourrait cependant être sur la bonne voie. La décision d’abolir la peine de mort est une bonne nouvelle si l’on considère que ce pays avait rejeté en bloc les recommandations de l’Examen de 2013 du Conseil des droits humains des Nations Unies.

Face au terrorisme, l’adoption d’une réponse judiciaire pénale fondée sur l’État de droit permet de renforcer la légitimité de l’État en garantissant une reddition des comptes des personnes engagées dans la lutte contre le terrorisme. Dans le cadre de l’arsenal des mesures de lutte contre le terrorisme, les mesures judiciaires pénales, telles que l’arrestation et le procès équitable, retirent aux terroristes leur prétendu insigne d’honneur et délégitiment leur statut de combattants dans une guerre juste.

Que les 44 membres présumés de Boko Haram aient été empoisonnés, et donc exécutés extrajudiciairement en détention, ou se soient suicidés, les autorités tchadiennes doivent prendre des mesures immédiates pour que les auteurs de ces crimes répondent de leurs actes. Cette situation requiert une action décisive et rapide.

Les réponses de la justice pénale délégitiment le statut des terroristes en tant que combattants dans une guerre juste

Le ministère de la Justice du Tchad a ouvert une enquête sur cette affaire, mais les organisations de la société civile s’inquiètent de l’issue de ce processus. Selon M. Nodjitoloum, « il est impératif qu’une enquête indépendante soit ouverte afin de déterminer les circonstances qui ont mené à la mort de ces présumés terroristes et d’établir les responsabilités de ces décès ».

Il existe bien au Tchad un organe de surveillance des prisons, mais celui-ci est placé sous la tutelle du procureur au ministère de la Justice. En raison du potentiel conflit d’intérêt, la société civile se dit favorable à l’ouverture d’une enquête à laquelle participerait la communauté internationale.

Pour soutenir les avancées de la loi abolitionniste sur les infractions de terrorisme, le Tchad devra impérativement réformer son système de justice pénale. Cela passera nécessairement par l’octroi d’un statut indépendant au mécanisme de surveillance des prisons afin qu’il ne relève plus du ministère de la Justice et du bureau du procureur. Cet organe indépendant pourrait superviser les conditions de détention et d’incarcération des auteurs présumés d’infractions terroristes et prendre des ordonnances de réparations en cas de violation des droits des détenus et des prisonniers.

Ces défis en matière de justice pénale ne sont pas propres au Tchad. Plusieurs États africains sont aux prises avec la gestion des procès de présumés terroristes. Ce qui relève de l’exception africaine, c’est que des milliers de présumés terroristes y sont jugés.

L’insuffisance délibérée des dotations accordées aux systèmes de justice pénale, de manière à privilégier les réponses militaires, est contraire à une paix et une sécurité véritables pour les communautés touchées. Les pays africains doivent intégrer les réponses de la justice pénale et d’autres formes de justice dans la lutte contre le terrorisme et veiller à ce que les forces de sécurité accomplissent leurs tâches de manière plus efficace, plus responsable et plus transparente.

Allan Ngari, chercheur principal, Menaces complexes en Afrique, ISS Pretoria

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