Migrations climatiques : l’Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique montrent la voie

Une nouvelle déclaration pourrait créer un précédent en matière de coopération régionale sur la crise du changement climatique en Afrique.

La coopération régionale et la liberté de circulation sont essentielles pour bien gérer les migrations et les déplacements dus au climat. Or, ces deux outils sont peu utilisés. L’Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique, durement frappées par le changement climatique, sont des régions pionnières dans la reconnaissance de leur importance.

Les pays de la Corne de l’Afrique, qui contribuent à hauteur de 0,1 % aux émissions mondiales, sont confrontés à une mauvaise saison des pluies pour la quatrième année consécutive, un phénomène climatique jamais observé en quarante ans. Au moins 36,1 millions de personnes ont été touchées par la sécheresse et 8,9 millions de têtes de bétail ont péri. Plus de 16 millions de personnes n’ont pas un accès suffisant à l’eau potable  et 20,5 millions sont confrontées à une situation d’insécurité alimentaire aiguë et à une malnutrition croissante dans certaines régions en Éthiopie, en Somalie et au Kenya. En Somalie, plus d’un million de personnes ont été déplacées, principalement des femmes et des enfants.

L’irrégularité des précipitations a provoqué une sécheresse dans certaines régions d’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique, ainsi que de graves crues soudaines et des inondations par débordement de cours d’eau, comme au Soudan du Sud, en Ouganda et au Burundi. Depuis le début de la saison des pluies en mai, les inondations au Soudan ont endommagé 238 établissements de santé, 1 500 sources d’eau et ont emporté plus de 1 500 latrines. Les inondations de 2021 au Soudan du Sud seraient les pires que le Soudan ait connues depuis ces soixante dernières années.

En avril 2021, le Burundi avait déclaré l’état d’urgence lorsque des inondations avaient détruit des maisons et des cultures et déplacé des milliers de personnes. Cette même année, 2,6 millions de personnes ont été déplacées en Afrique subsaharienne en raison de catastrophes liées au climat.

La communauté internationale a mis longtemps à s’attaquer aux liens entre changement climatique et migration

Le changement climatique est l’une des principales causes des migrations et des déplacements internes et transfrontaliers. Ce phénomène devrait s’accentuer à mesure que les effets du changement climatique se feront de plus en plus durement ressentir. La Banque mondiale prévoit qu’il pourrait y avoir jusqu’à 85,7 millions de migrants climatiques en Afrique subsaharienne à l’horizon 2050. Malgré cela, la communauté internationale a mis du temps à aborder la question de la corrélation entre le changement climatique et la migration.

Les choses changent cependant, le climat et la mobilité humaine étant de plus en plus souvent inscrits dans les cadres juridiques et politiques à tous les niveaux en Afrique. En juillet, les pays de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) ont signé la déclaration ministérielle de Kampala sur les migrations, le changement climatique et l’environnement. En 2020, les États de l’IGAD avaient adopté le Protocole sur la libre circulation des personnes dans la région de l’IGAD – le premier document à traiter spécifiquement des personnes fuyant les catastrophes et les changements climatiques.

La nature intersectorielle du changement climatique et des migrations pose d’importants problèmes de gouvernance. Étant donné que de nombreux ministères et entités étatiques sont concernés, il n’existe pas à ce jour de politique ou de législation unique pour faire face aux déplacements provoqués par le climat. Au contraire, on recense au moins 50 cadres et mécanismes politiques sur la migration, le changement climatique et la réduction des risques de catastrophe qui abordent différemment le lien entre le changement climatique et la mobilité en Afrique.

La coopération régionale est essentielle car la migration climatique est par nature transfrontalière. Les réponses telles que la déclaration de Kampala permettent de sensibiliser l’opinion aux menaces existantes, d’établir des priorités et des plans d’action communs et de mobiliser la communauté internationale afin d’obtenir un soutien pour leur mise en œuvre.

On recense au moins 50 cadres politiques abordant différents aspects du lien entre changement climatique et mobilité en Afrique

Cette déclaration prévoit 13 mesures, dont le renforcement de la résilience au changement climatique et des interventions d’adaptation, la promulgation de lois, de politiques et de stratégies régionales et nationales, et l’introduction d’environnements réglementaires qui favorisent l’exploitation des avantages issus des transferts de fonds, du commerce et des investissements.

Parmi ces mesures, l’investissement dans les économies circulaires et vertes et le renforcement des instituts météorologiques et climatiques sont encouragés. Il est également prévu de créer un groupe de travail interministériel sur le changement climatique, l’environnement et la migration et de demander aux principales parties de soutenir la déclaration lors de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP27) qui se tiendra en Égypte en novembre.

Outre les pays membres de l’IGAD et de la CAE, la déclaration de Kampala a reçu un soutien de haut niveau de tout le continent. Parmi les représentants de pays éminents étaient présents : le Sénégal, qui assure actuellement la présidence de l’Union africaine ; l’Égypte, qui préside la COP27 ; l’Algérie ; la Zambie, qui préside actuellement le Groupe africain de négociateurs sur le changement climatique. Les messages clés de la déclaration devraient donc être repris lors de la COP27 et d’autres forums régionaux et continentaux.

Les protocoles régionaux permettant la libre circulation peuvent augmenter de manière significative la protection et les ressources pour les populations qui émigrent en raison des effets du changement climatique. Ce type de mesure favorise la création d’emplois et les échanges commerciaux, tout en offrant à leurs bénéficiaires les moyens d’accéder à d’autres possibilités de revenus et à d’autres compétences. La libre circulation permet les migrations transfrontalières circulaires et saisonnières, donnant la possibilité aux migrants de rentrer chez eux avec des transferts financiers et sociaux, y compris des connaissances, des technologies et des compétences.

Pour l’Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique, la migration est une mesure d’adaptation vitale qu’il convient de favoriser

La libre circulation a également l’avantage de réduire la nécessité de définir la notion de réfugié climatique. Bien que couramment utilisée, l’expression « réfugiés climatiques » est trompeuse. En effet, la Convention de 1951 sur les réfugiés protège les personnes menacées de persécution, mais ne concerne pas la dégradation de l’environnement ou les catastrophes naturelles. La Convention de 1969 de l’Organisation de l’unité africaine sur les réfugiés élargit la définition des réfugiés mais ne couvre toujours pas la dégradation de l’environnement. Cela signifie qu’il existe toujours un vide normatif dans le droit des réfugiés qui fuient les effets du changement climatique.

Les protocoles de libre circulation ont été conçus pour améliorer l’intégration régionale et le développement économique. Le protocole de l’IGAD est le premier du genre à protéger les personnes qui se déplacent vers les pays voisins avant, pendant ou après la survenue de menaces environnementales et à leur permettre d’y séjourner jusqu’à ce qu’elles puissent rentrer en toute sécurité dans leur pays d’origine.

L’Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique sont confrontées à de graves menaces climatiques. Leurs actions collectives reconnaissent la migration comme une mesure d’adaptation vitale qui devrait être autorisée de manière sûre et ordonnée afin d’optimiser le développement. La déclaration de Kampala et le protocole de libre circulation de l’IGAD créent de nouveaux précédents qui devraient inspirer d’autres organismes régionaux et les inciter à adopter la même démarche.

Aimée-Noël Mbiyozo, consultante, chercheuse principale, Migration, ISS

Image : © Tobin Jones/ AMISOM /Flickr

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