Mesurer l’influence numérique sur les élections en Afrique du Sud
Sans accès aux données des médias sociaux, il est difficile de s'assurer que les électeurs disposent d'informations fiables.
Les contenus nationalistes et la diffamation font désormais partie de la grammaire des élections dans le monde entier. Les 26 millions de Sud-Africains qui utiliseront les médias sociaux avant le scrutin national du 29 mai y seront inévitablement exposés.
Dans une telle élection fortement contestée, l'intégrité de l'information est essentielle pour garantir que les principes démocratiques prévalent et que les votes sont fondés sur des faits vérifiables et des opinions façonnées par des êtres humains, et non par des machines ou des contenus manipulés.
Les chercheurs qui surveillent la désinformation se concentreront sur deux domaines critiques du paysage de contenus en ligne de l’Afrique du Sud. Premièrement, l'intelligence artificielle générative (IA) ou les médias synthétiques utilisés pour créer des deepfakes dans le cadre de campagnes de désinformation. Deuxièmement, les techniques qui créent des chambres d'écho en trompant l'algorithme et en limitant le flux d'informations que nous recevons.
Les chercheurs de l'Institut d'études de sécurité (ISS) observent déjà des techniques coordonnées en Afrique du Sud qui sont similaires à celles utilisées dans d'autres contextes électoraux. Il s'agit notamment des « trains de suivi » (activité de type « je te suivrai si tu me suis » visant à susciter l'engagement) et du hashjacking. Le hashjacking consiste à détourner des hashtags populaires pour promouvoir un programme particulier. Souvent, les communautés qui suivent ce hashtag ne sont pas conscientes de cette manipulation.
Les élections de 2022 au Kenya ont été marquées par un grand nombre de ces techniques dans le cadre de ce que les chercheurs ont identifié comme un marché actif de service d'influence sur les médias sociaux. Des cohortes d'influenceurs professionnels, souvent secondés par des étudiants, ont travaillé jour et nuit pour construire des récits politiques et influencer les flux d'informations.
Les chercheurs doivent avoir accès aux données des médias sociaux pour mieux comprendre leur influence
Ces influenceurs pouvaient percevoir des milliers de dollars américains pour manipuler et vendre des hashtags à une clientèle politique. En fait, ils approvisionnaient en messages politiques un réseau ou un public prêt à les recevoir.
Dans le contexte sud-africain, il peut s'agir de messages géopolitiques, compte tenu de l'importance des conflits entre l'Ukraine et la Russie et entre Israël et la Palestine dans l’opinion publique. Avec le développement de l'IA, la capacité à façonner des messages à grande échelle et à grande vitesse a énormément évolué.
Une autre tendance observée en Afrique du Sud et identifiée par un rapport récent du Centre for Analytics and Behavioural Change (CABC) et de Murmur est l'équivalent numérique du changement d'affiliation politique. En analysant les réseaux sociaux associés aux principaux partis politiques, l'équipe a observé le déplacement de comptes principaux anonymes de la faction Radical Economic Transformation (RET) du Congrès national africain vers le nouveau parti uMkhonto weSizwe.
La faction RET a été associée à la controverse de 2017 sur les robots Gupta, qui a vu l'utilisation de plusieurs faux comptes automatisés pour inonder les plateformes de médias sociaux avec un récit nationaliste du capital monopoliste blanc.
Compte tenu des antécédents de manipulations supposées par RET à l'aide de robots, l'authenticité de ces comptes est sujette à caution. Le rapport souligne que ces comptes semblent changer du jour au lendemain d'affiliation politique et de message en utilisant le hashtag d'un autre parti politique. Il s'agirait d'une forme de hashjacking consensuel, bien qu'il ne soit pas clair si le motif est politique ou commercial.
Les États-Unis et l'UE ont accès aux données des médias sociaux, contrairement à l'Afrique
Les démocraties reposent sur les principes de la liberté d'expression et de l'accès à l'information. Pour fournir des informations fiables, les journalistes professionnels des salles de rédaction traditionnelles adhèrent aux principes de base de la vérification des faits et de la double source.
Toutefois, le marché croissant du service de l'influence a brouillé les pistes. Les chercheurs de l'ISS ont découvert que, lors des élections de 2022 au Kenya, des influenceurs pouvaient gagner jusqu'à 7 000 dollars US rien qu'en créant un hashtag, et encore plus en amplifiant certains contenus au quotidien.
Les chercheurs ne pourront apprécier pleinement l'ampleur de ce type d'influence en Afrique du Sud qu'après les élections. Cependant, les premières enquêtes du Daily Maverick indiquent que le marché émergent du service de l'influence façonne la manière dont les électeurs reçoivent les messages politiques.
Pourquoi cette manipulation en ligne est-elle donc importante ? Les chercheurs du CABC estiment que « des communications authentiques et des déclarations claires sur le gain financier devraient être tout aussi importantes, sinon plus, que la publicité d'un produit ou d'un service susceptible d'influencer les résultats d'une élection ». Cette pratique s’apparente à celle des partis politiques qui déclarent leurs dépenses publicitaires pendant la campagne électorale.
Cependant, pour comprendre comment l'influence numérique soutient ou menace les démocraties, en particulier celles dans lesquelles freins et contrepoids habituels au pouvoir sont limités, les chercheurs doivent être en mesure d'accéder aux données.
Des plateformes aident l'Afrique du Sud à détecter les opérations d'influence pendant les élections
L'ISS est l'un des 11 groupes de recherche d'Afrique du Sud à soutenir l’initiative de Research ICT Africa qui demande aux propriétaires de plateformes numériques telles que X, Facebook et TikTok d'accéder plus facilement à leurs données.
Une déclaration a été adressée aux plateformes les prévenant que « la surveillance indépendante des médias sociaux est essentielle pour lutter contre la désinformation en ligne et les discours haineux qui peuvent entacher l'intégrité des élections ». Cependant, cet accès n'est pas égal pour tous. Les États-Unis et l'Union européenne bénéficient d'un accès privilégié à ces données, ce qui n'est pas le cas de l'Afrique. L'Union africaine fait l'objet de pressions pour qu'elle soutienne les appels en faveur d'une uniformisation des règles du jeu.
En outre, la déclaration affirme qu'un meilleur accès pour les chercheurs accrédités dans toute l'Afrique est nécessaire non seulement pour surveiller le contenu et signaler les discours haineux, mais aussi pour responsabiliser les propriétaires de plateformes « en les aidant à surveiller leurs propres performances dans le traitement des contenus potentiellement préjudiciables ».
Plusieurs plateformes, dont TikTok et Google, aident les autorités électorales sud-africaines et la société civile à identifier les contenus inauthentiques et à détecter les opérations d'influence dissimulées pendant les élections. Cependant, les négociations se poursuivent pour obtenir l'aide des plateformes afin que les chercheurs puissent accéder à leur interface de programmation d'applications. Sans cela, mener des recherches à grande échelle est coûteux et restrictif.
Malgré ces contraintes, l'ISS recense les désinformations au cours de cette période électorale et examine l'utilisation de l'IA générative pour manipuler l'information et saper les normes démocratiques.
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