Lutte contre le trafic de bois au Sénégal: les nouvelles mesures du Président Sall seront-elles efficaces?
Le président sénégalais a annoncé un certain nombre de nouvelles mesures pour lutter contre le trafic de bois, mais la mise en œuvre de celles-ci en Casamance pourrait être plus difficile que prévu.
Publié le 11 septembre 2015 dans
ISS Today
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L’État du Sénégal perd chaque année 40 000 hectares de forêt, surtout en Casamance où un trafic illégal international du bois s’est développé. Pour faire face à ce problème, le président de la République, Macky Sall, a annoncé, le 24 juillet 2015, la prise de mesures jugées courageuses par les organisations de défense de l’environnement. Elles consistent en la suspension de la délivrance des permis de coupe de bois sur l’ensemble du territoire, de la mobilisation des forces de défense et de sécurité, du recrutement de 400 agents des Eaux et Forêts et du durcissement des peines.
Cette analyse, basée sur une recherche de terrain menée en Casamance en mars 2015 et sur des entretiens téléphoniques, montre que la mise en œuvre de ces décisions s’annonce difficile dans le contexte de cette zone.
Espace géographique situé dans le sud du Sénégal et comprenant les régions de Ziguinchor, de Sédhiou et de Kolda, la Casamance abrite les réserves forestières les plus importantes du pays. Les arbres qui y sont prélevés alimentent en partie le marché national en bois de chauffe et en bois d’œuvre. Ce secteur constitue donc une source d’emplois pour bon nombre de personnes au niveau national et local.
À côté de cette exploitation légale, les forêts de la Casamance sont aujourd’hui victimes de coupes illicites de bois. Selon les services des Eaux et Forêts de Ziguinchor, ce sont des dizaines d’hectares de massifs forestiers qui disparaissent chaque année du fait d’une exploitation illégale et abusive du couvert végétal.
La mise en oeuvre effective des mesures s’annonce difficile dans le contexte de la Casamance
Le 4 août, l’Agence de presse sénégalaise annonçait la découverte de 20 000 troncs d’arbres abattus frauduleusement. Ce chiffre ne prend toutefois pas en compte les milliers de troncs coupés de façon illicite qui prennent la direction du nord du pays, des pays limitrophes et de la Chine.
Particulièrement pratiqué dans les zones frontalières avec la Gambie, notamment dans commune de Sindian et les départements de Bounkiling et de Médina Yoro Foula, ce trafic est l’œuvre des populations autochtones, de certaines factions du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) et de citoyens gambiens.Il serait commandité par des Chinois détenant des scieries en Gambie.
Un tel traffic serait également en cours dans le sud de la Casamance, notamment à la frontière avec la Guinée Bissau, mais dans une moindre mesure. Les forêts classées de Bissine et des Bayottes, dans le département de Ziguinchor, seraient les plus touchées. Seules les forêts sacrées, lieux de culte d’origine animiste très nombreux en Casamance, notamment dans le département d’Oussouye, sont pour le moment épargnées. Le bois visé est principalement le teck, le vène et lecaïlcédrat.
Trois facteurs sont à l’origine de l’aggravation de ce phénomène. Le premier est lié à l’insécurité provoquée par le conflit armé opposant le MFDC et l’armée sénégalaise depuis 1982. De nombreuses zones ont été désertées par les populations à cause des combats ainsi que de la présence de mines et de groupes rebelles. L’intervention de l’État y est limitée, favorisant ainsi le développement du trafic de bois.
Le deuxième concerne l’impuissance de l’administration. Les services des Eaux et Forêts chargés de la protection de l’environnement disposent de peu de moyens humains et matériels pour mener à bien leur mission. À titre d’illustration, il n y aurait qu’un seul agent des Eaux et Forêts dans la communauté de Sindian, située dans le département de Bignona, à Ziguinchor. À cela s’ajoute la situation d’insécurité qui empêche ces agents de couvrir les zones jugées dangereuses.
Les moyens militaires et juridiques annoncés ne sauraient à eux seuls mettre fin au trafic de bois
Le troisième facteur est lié à la détérioration de la situation socio-économique, due en partie au conflit armé. Les régions de Ziguinchor, de Sédhiou et de Kolda font en effet partie des zones les plus pauvres avec un taux de chômage qui dépasse la moyenne nationale. L’exploitation du bois constitue donc pour une bonne partie de la population la principale source de revenus.
Les jeunes impliqués dans ce trafic recevraient, pour chaque lot de 30 troncs d’arbres livrés, une moto Jakarta, souvent utilisée comme moto-taxi.
Les conséquences de la déforestation sont déjà perceptibles. Le dérèglement des pluies et l'érosion des sols engendrent de mauvais rendements agricoles, accentuant ainsi la situation de pauvreté. Ce qui favorise l’exode rural et pousse certains jeunes à l’immigration clandestine.
La raréfaction des ressources forestières en Casamance entraîne aussi parfois des conflits. Outre ceux qui se produisent entre agents des Eaux et Forêts et délinquants ainsi qu’entre agriculteurs et éleveurs, des litiges pourraient survenir entre communautés villageoises pour l’accès aux ressources forestières, accentuant les différends déjà existants.
Dans ce contexte marqué par l’insécurité, la pauvreté, l’impuissance des services de l’État et la passivité des pays voisins concernés, la mise en œuvre des mesures annoncées par le président Macky Sall s’annonce difficile. Quatre raisons principales peuvent être évoquées.
D’abord, la suspension de la délivrance des permis de coupe de bois, en réduisant l’activité légale, pourrait conduire au chômage le personnel de scieries et de menuiseries, risquant ainsi d’alimenter le trafic. Une réorganisation du secteur en collaboration avec les exploitants forestiers est donc nécessaire. Il est aussi important pour le Sénégal de mettre en œuvre des projetsde substitution susceptibles de garantir des revenus aux populations impliquées dans ce trafic.
Ensuite, le renforcement des services des Eaux et Forêts en moyens humains tel que prévu par les nouvelles mesures est louable. Cependant, l'agression le 21 août dernier, dans la forêt de Medina Yoro Foula, d’un guide forestier et d’un agent de sécurité de proximité par des trafiquants armés, révèle l’urgence de doter ces derniers d’équipements appropriés (armes, véhicules, matériels de communication, etc.).
Par ailleurs, une collaboration avec la Gambie et la Guinée Bissau est nécessaire pour renforcer le contrôle des frontières et mieux réglementer l’exportation du bois dans ces pays.
Enfin, cette nouvelle politique ne pourra être efficace que dans un climat sécuritaire apaisé. La question du trafic de bois devrait être abordée avec les factions rebelles dans le cadre des discussions de paix en cours. Cela permettrait d’éviter d’éventuels accrochages armés qui pourraient remettre en cause le processus de paix.
Les moyens militaires et juridiques annoncés ne sauraient ainsi à eux seuls mettre fin au trafic de bois. La réussite dépendra de l’amélioration des conditions socio-économiques, du renforcement des services de l’État, de l’implication des pays voisins concernés et de l’amélioration de la situation sécuritaire.
Paulin Maurice Toupane, Chercheur Junior, Division Prévention des conflits et analyse des risques, ISS-Dakar