L’océan de la criminalité organisée en Afrique
L’absence de responsabilité de l’État et de l’industrie a transformé l’océan en la plus grande scène de criminalité transnationale au monde.
L’océan est au cœur du commerce illicite mondial. Les réseaux criminels pillent les ressources marines, ratissent les voies maritimes à la recherche de navires à détourner et acheminent des marchandises vers des destinations lointaines à travers les eaux territoriales des États côtiers et la haute mer.
Couvrant 70 % de la surface de la terre, l’océan est probablement le plus vaste théâtre de la criminalité transnationale au monde. La situation géographique de l’Afrique en fait un site important du crime organisé pour les multiples marchés mondiaux de l’offre et la demande. Ses côtes est et ouest sont d’importants points de transit de stupéfiants et des foyers de la piraterie mondiale. Le trafic meurtrier de migrants à partir de l’Afrique du Nord est monnaie courante et, au sud, les ressources marines telles que l’ormeau et la langouste risquent de disparaitre en raison de leur exploitation illégale.
Au début des années 2000, l’Afrique de l’Ouest est devenue un axe clé pour le trafic de cocaïne en provenance d’Amérique latine à destination des marchés de consommation mondiaux, en transitant notamment par la Guinée-Bissau et le Mali. De même des marchés ont rapidement émergé en Afrique de l’Est, où l’héroïne afghane et les méthamphétamines sont acheminées par l’océan Indien.
Ces évolutions reflètent la mondialisation du trafic et le déplacement de ses itinéraires vers des zones à moindre risque. Bien que la plupart des envois soient destinés à être réexpédiés, la consommation de stupéfiants en Afrique augmente et la corruption est maintenant liée de manière intrinsèque au commerce de la drogue sur le continent.
L’absence de réel contrôle de l’océan est centrale dans la stratégie économique des réseaux du crime organisé
Au début des années 2000 également, la région de l’océan Indien occidental a connu une recrudescence des attaques des pirates somaliens. Une contre-attaque internationale massive a permis de l’endiguer en quelques années. Cependant, les agressions dans le golfe de Guinée se sont rapidement intensifiées, supplantant l’océan Indien en tant que région la plus dangereuse pour les marins à l’échelle mondiale, et suscitant à nouveau des efforts internationaux pour y faire face.
Ces crimes et ces régions sont distincts, cependant, l’océan, faiblement contrôlé, est au cœur du modèle économique des auteurs de ces crimes. Les difficultés rencontrées par les États côtiers africains pour protéger leurs territoires des réseaux criminels mondiaux ont entraîné une augmentation des infractions maritimes.
Les États africains y font face en renforçant la surveillance maritime, en développant leurs capacités en matière de justice pénale et en dissuadant les communautés côtières de se livrer à la criminalité. Ces efforts impliquent souvent des partenariats avec d’autres pays, des organisations internationales et des acteurs privés. L’industrie du transport maritime, par services de sécurité privés à bord des navires, et les organisations non gouvernementales secourent les bateaux de migrants en détresse en Méditerranée et poursuivent les navires de pêche illégaux.
Cependant, la surveillance en mer est une tâche difficile, et la plupart des pays africains ne disposent pas des ressources adéquates, telles que des navires et des avions, pour patrouiller dans leur domaine maritime. De plus, le pouvoir juridictionnel des États côtiers diminue à mesure que l’on s’éloigne des côtes, et environ 60 % de l’océan relèvent de la haute mer, c’est-à-dire des eaux situées en dehors des juridictions nationales.
La lutte contre la piraterie montre qu’il est possible de réduire la criminalité organisée en mer
En haute mer, à quelques exceptions près, l’État du pavillon d’un navire doit s’opposer aux activités criminelles qui se déroulent à bord. Pour ce faire, il doit avoir la volonté d’agir et la capacité de poursuivre les navires. L’assistance d’autres États est souvent nécessaire. Ces facteurs, associés à des conditions météorologiques et maritimes imprévisibles, confrontent les États à des réseaux criminels mieux dotés en ressources et non limités par des frontières ou des lois.
Les réseaux criminels exploitent de diverses manières la présence limitée des États en mer. Les bateaux de pêche transbordent les prises illégales pour éviter les contrôles portuaires, les transferts de pétrole de navire à navire échappent aux sanctions, et les bâtiments naviguent sans pavillon visible ou évitent de rendre des comptes en restant en haute mer. Les États peuvent également manquer de volonté pour exercer leur juridiction sur leurs eaux ou leurs navires, et peuvent être impliqués, ainsi que des entreprises privées, dans la criminalité maritime ou la cautionner.
Toutefois, il est possible de réduire ce phénomène, comme le montrent les mesures de lutte contre la piraterie. La piraterie a reculé lorsque les acteurs étatiques et privés à l’échelle nationale, régionale et internationale ont uni leurs forces. Bien que la lutte contre la piraterie se concentre sur l’application de la loi, elle vise également à renforcer les capacités de la justice pénale et reconnaît la nécessité de développer les communautés côtières locales.
La réponse à la piraterie met également en évidence l’importance des partenariats public-privé. Étant donné que les secteurs du transport maritime et de la pêche sont les acteurs les plus importants en mer, ils jouent un rôle essentiel dans sa protection.
Le rôle des industries du transport maritime et de la pêche est essentiel dans la sécurité maritime
La nature transnationale de la criminalité organisée nécessite une réponse coordonnée qui dépasse les frontières, tant sur terre qu’en mer. De nombreux instruments africains, notamment la stratégie maritime intégrée de l’Afrique à l’horizon 2050 et les codes de conduite de Djibouti et de Yaoundé l’affirment. La coopération en matière de protection des biens communs mondiaux que sont les océans est également évidente dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et dans le traité sur la haute mer signé en mars.
Toutefois, la mise en œuvre de ces instruments s’est avérée difficile et aboutit le plus souvent à la répression, plutôt qu’à la prévention ou à l’éradication. Le secteur privé et les États du pavillon sont souvent absents ou jouent un rôle minime dans les initiatives de lutte contre les crimes maritimes qui ne les affectent pas autant que la piraterie. Le grand nombre d’acteurs dans la lutte contre la piraterie, en particulier dans les pays du Nord, peut être attribué à la menace que celle-ci fait peser sur le commerce mondial.
Les crimes tels que la pêche illégale et le trafic de stupéfiants sont perçus — à tort — comme ayant un impact sur les intérêts nationaux plutôt que sur les intérêts mondiaux. Par conséquent, les armateurs et les États du pavillon des navires impliqués dans la criminalité maritime organisée n’ont guère de comptes à rendre, malgré l’obligation légale qui leur est faite de contrôler leurs navires. Cette situation a conduit à une expansion de la criminalité maritime, qui a entraîné une vague d’enrôlement de matelots volontaires et engendré la corruption, chacun cherchant à en tirer profit.
Tim Walker, chef de projet Sécurité maritime à l’Institut d’études de sécurité, estime « qu’il est temps d’organiser, au sein du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, une session consacrée aux implications de la criminalité organisée en Afrique. Le Conseil de sécurité des Nations unies tient fréquemment de telles discussions, dont certaines ont été initiées par les trois membres africains du Conseil ».
La réunion des États africains de l’océan Indien, qui se tient ce mois-ci pour discuter de l’application du code de conduite de Djibouti, est l’occasion de mettre en lumière la criminalité organisée sur les côtes africaines. Les États membres devraient réévaluer leurs efforts collectifs et identifier les priorités futures. L’Organisation maritime internationale élit également les membres de son conseil en décembre. Celui-ci devant s’agrandir de 12 États, l’Afrique pourrait présenter davantage de membres et faire valoir les intérêts maritimes du continent.
Mais tout comme la communauté internationale devrait tenir l’industrie du transport maritime et les États du pavillon responsables des activités illicites en mer, les États africains doivent donner la priorité aux causes socio-économiques terrestres de la criminalité maritime. Une fois que ces facteurs auront reçu l’attention qu’ils méritent, nous pourrons peut-être assister à un recul de la criminalité organisée le long des côtes africaines.
Dr Carina Bruwer, chercheuse principale, Afrique du Sud, ENACT, ISS Pretoria
Image : © Nature Picture Library/Alamy Stock Photo
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