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L’Inde lorgne l’Afrique dans sa quête de superpuissance

Face à l'essor stratégique de l'Afrique, l’Inde a su exploiter la méfiance mondiale pour se positionner comme un interlocuteur clé.

L’Inde se forge progressivement un rôle de passerelle entre le Nord et le Sud dans le nouvel ordre mondial. Exploitant sa puissance économique et sa nouvelle influence politique de voix autoproclamée des pays du Sud, l’Inde manœuvre adroitement divers intérêts et forums.

Conformément à sa stratégie de « multi-alignement », l’Inde a remporté plusieurs victoires diplomatiques, à l’instar de l’inclusion de l’Union africaine (UA) au G20 en septembre 2023. L’élément central de ce succès a été la capacité à démontrer de l’empathie à l’égard de points de vue divergents tout en conservant une autonomie stratégique.

Pour l’Occident, l’Inde est un rempart important face à l’alliance Chine-Russie. L’alliance dite du Dragon et de l’Ours constitue une préoccupation majeure des décideurs politiques occidentaux, compte tenu de la volonté de Pékin et de Moscou de perturber l’ordre libéral mondial. Dans ce contexte, l’importance stratégique de l’Inde s’accroit, en tant que plus grande démocratie au monde, allié important dans la lutte contre le terrorisme, partenaire économique clé de l’Occident et acteur prudent vis-à-vis de la Chine.

L'évaluation commune des menaces liées à l'ascension de la Chine positionne l'Inde comme un allié incontournable pour les gouvernements occidentaux. En témoigne son inclusion dans la Quadrilatérale, un partenariat diplomatique et de sécurité entre l’Australie, l’Inde, le Japon et les États-Unis, visant à dissuader la Chine de toute agression. L’Inde étant appelée à devenir la troisième économie mondiale d’ici 2027, son poids économique croissant renforce sa crédibilité sur la scène internationale.

Le coup de maître de l’Inde a été son effort pour assurer l’inclusion de l’UA dans le G20

Toutefois, cette relation n’est pas exempte de frictions. La guerre en Ukraine a révélé des divergences majeures de perspectives. S’abstenant de condamner publiquement l’invasion russe, l’Inde a refusé de soutenir les sanctions contre Moscou et a maintenu ses transactions énergétiques et militaires avec la Russie malgré les pressions occidentales. L’Inde est restée inflexible, affirmant qu’elle ferait ce qui est bon pour le pays, plutôt que de se plier aux intérêts occidentaux.

Cette conviction résonne dans les pays du Sud, où ils luttent pour imposer leurs propres priorités. Jakkie Cilliers, responsable du programme Afrique future et innovation à l’Institut d’études de sécurité (ISS), explique que « même si le Sud n’est pas uni sur la plupart des sujets, ses pays se rejoignent sur un point : la frustration croissante envers le système actuel, qui les maintient au bas de l’échelle et favorise l’Occident ».

La reconnaissance par l’Inde de ce sentiment et du déplacement du centre mondial vers les pays en développement, illustré par l’expansion récente des BRICS+, a influencé son positionnement.

Les pays africains ont été marqués par le refus de l'Inde de se laisser dicter sa morale par l'Occident. Delhi a envoyé un message fort sur l’indépendance stratégique en contrôlant le narratif de la guerre en Ukraine et en s’opposant au « regard occidental », qui cherche à imposer les priorités et les valeurs de l’Occident au monde en développement.

En effet, dans ce monde nouvellement multipolaire, l’Inde semble éviter la concurrence des grandes puissances, préférant tracer sa propre voie, indépendante et basée sur ses propres priorités. Cette réaction a trouvé un écho auprès des pays africains, lassés de la perception d’un « deux poids, deux mesures » de l’Occident sur les enjeux liés au climat, à la dette, aux restrictions de mobilité et au cadrage binaire de la guerre en Ukraine.

L’essor mondial de l’Inde dépendra inexorablement du succès de ses relations avec l’Afrique

Le coup de maître de l’Inde a été son effort pour l’inclusion de l’UA dans le G20. Ce processus ardu a nécessité des mois de prospection via des initiatives telles que le sommet Voice of Global South (auquel étaient invités tous les pays du Sud qui n’étaient pas membres du G20), organisé par l’Inde au début de sa présidence du G20.L’objectif était de « fournir une plate-forme commune pour délibérer sur les préoccupations, les intérêts et les priorités des pays en développement ».

L’Inde a acquis une grande crédibilité grâce à ces efforts, car les dirigeants africains se sont sentis écoutés et représentés. Comme l’a écrit Vera Songwe dans le Financial Times, « la présidence indienne du G20 a apporté l’un des changements les plus significatifs dans la gouvernance mondiale en une décennie : la représentation de [1,4 milliard de] personnes au sein du principal organe de coordination économique du monde ».

Compte tenu de la symétrie politique et développementale entre l’Inde et de nombreux pays africains, l’offensive de charme de New Delhi contraste fortement avec le paternalisme souvent reproché à l’Occident dans ses relations avec les États africains.

Dans un contexte où l'importance stratégique de l'Afrique s'accroît et où les pays du continent jouent un rôle clé dans la lutte géopolitique,, l’Inde, avec un pied dans chacun de ces mondes, est devenue un interlocuteur de confiance. Son approche pragmatique lui permet d’en récolter les fruits.

Outre son poids diplomatique, Delhi peut capitaliser sur plusieurs avantages comparatifs dans son offensive de charme en Afrique.

L’Inde propose un modèle de développement différent de celui de la Chine, fondé sur l’inclusion et la transparence

Premièrement, le commerce : l’Inde et l’Afrique représentent respectivement : 2,8 % et 3 % du commerce mondial. Et malgré une hausse ces dernières années, les produits indiens ne représentent que 6,3 % des importations totales de l’Afrique, contre 18,3 % pour la Chine. L’établissement  d’un accord de libre-échange semble donc être la prochaine étape évidente.

Selon le Financial Times, « la croissance des 25 prochaines années sera verte et numérique. L’Inde et l’Afrique, avec leurs revenus croissants et leurs tendances démographiques, pourraient être des marchés importants ». Une telle démarche permettrait également d’accélérer le dynamisme du secteur privé indien, capable de répondre aux diverses préférences des consommateurs et proposer des solutions personnalisées à d’importantes populations.

Ensuite, les infrastructures numériques : l’India Stack – une autoroute numérique publique facilitant les paiements et l’identification biométrique – a connu un succès considérable en Inde. Correctement reproduite, elle pourrait améliorer considérablement la gouvernance, la transparence et l’inclusion dans toute l’Afrique.

En outre, les soins de santé. Le rôle de l’Inde en tant que « pharmacie du monde » est bien connu, et sa capacité à fournir des solutions abordables et évolutives dans toute l’Afrique permettra de s’attaquer à un domaine prioritaire pour les pays du continent.

Quatrièmement, la dépendance de l’Inde à l’égard de la croissance brune signifie que l’Afrique a un rôle essentiel à jouer pour soutenir la croissance indienne, principalement via des sources d’énergie propres et renouvelables. L’Afrique est une source bon marché de combustibles et d’autres minéraux, et peut servir de « puits de carbone » grâce à des initiatives de compensation. De même, l’Inde peut fournir les investissements, les infrastructures et les technologies nécessaires pour maximiser la croissance brune tout en accélérant la transition verte.

Enfin, l’Inde propose un modèle de développement différent de celui de la Chine, basé sur l’inclusion et la transparence. Malgré l'influence majeure de la Chine en Afrique grâce à ses investissements et à sa présence militaire, le dynamisme du secteur privé indien, l'accent sur la technologie et les produits pharmaceutiques, le « soft power » et le pragmatisme diplomatique constituent un contrepoids efficace, malgré l'échelle relativement réduite de ses activités.

L’ascension de l’Inde en tant que puissance mondiale sera inextricablement liée au succès de ses relations avec l’Afrique. L'Inde a bien appréhendé le déficit de confiance mondial et comment le mettre à profit pour ses propres ambitions.

Des indicateurs positifs montrent que les relations entre l’Inde et l’Afrique évoluent d’une connexion historique vers une relation ancrée dans les réalités contemporaines. Bien que l’Inde démontre une capacité unique à exprimer les aspirations des nations en développement sur la scène mondiale, cette rhétorique doit s’accompagner d’actions. Il ne sera pas facile d’asseoir son influence en Afrique face à la concurrence d’autres grandes puissances.

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