L’exploitation des minéraux critiques : l’Afrique doit profiter de l’opportunité verte

Le continent doit saisir la chance de tirer parti de ses minéraux verts.

L’Afrique tient une occasion unique de stimuler son développement grâce à une demande mondiale massive pour ses fabuleux gisements de minerais dont le monde a besoin pour alimenter sa transition énergétique verte.

Mais l’Afrique saura-t-elle saisir cette opportunité ou la laissera-t-elle lui échapper, soit en n’exploitant pas pleinement les minéraux rares, soit en autorisant leur exploitation par des pays tiers sans que les populations africaines ne puissent en profiter ? Tel était le principal thème de l’African Mining Indaba 2023 [l’une des plus grandes conférences mondiales sur l’exploitation minière], qui s’est tenu au Cap cette semaine.

L’Afrique possède une part importante de la plupart, sinon de la totalité, des minéraux et métaux nécessaires à la fabrication de batteries pour véhicules électriques et d’autres technologies fondamentales pour assurer une énergie verte dans l’avenir. La demande mondiale dépasse de loin l’offre, représentant ainsi un énorme marché de vendeurs potentiels. Les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie indiquent que la demande de la plupart des minéraux essentiels à la transition vers l’énergie propre sera multipliée par quatre, voire par six.

« Pour certains minéraux, l’augmentation sera exponentielle. D’ici 2040, la demande de graphite sera multipliée par 25 et celle de lithium par 42 », a déclaré Jose Fernandez, sous-secrétaire d’État américain à la Croissance économique, à l’Énergie et à l’Environnement, lors de la conférence.

La demande mondiale de minéraux essentiels à la transition énergétique sera multipliée par quatre, voire par six

Il a conseillé aux nations minières africaines de ne pas passer à côté de cette manne potentielle. Pour les aider dans ce sens, les États-Unis ont lancé l’année dernière, avec onze autres pays développés, le Partenariat pour la sécurité des minéraux (MSP). Comme l’a indiqué Fernandez, le MSP vise à garantir que ses mineurs maintiennent des standards élevés de protection environnementale et sociale et de gouvernance, et qu’ils investissent tout au long de la chaîne d’approvisionnement afin que les pays africains en tirent le plus grand bénéfice.

Le MSP donnerait bien sûr l’accès aux minéraux critiques à ses partenaires. Fernandez a reconnu que le partenariat ne relevait pas d’un quelconque « altruisme ». La valorisation ou l’apport de valeur ajoutée est donc un élément clé du MSP, au cœur des discussions de la conférence.

La valorisation est depuis longtemps le mot à la mode dans le discours minier africain. Il séduit en proposant que les pays africains ajoutent d’abord de la valeur à leurs propres minéraux au lieu de se contenter d’exporter des matières premières et d’en tirer des revenus relativement faibles, comme c’est le cas actuellement. Ils devraient traiter et vendre leur production dans le monde entier à des prix beaucoup plus élevés, ce qui permettrait de remettre à flot le commerce africain, de créer des emplois et de stimuler la croissance.

Mais cela est largement resté utopique. Or, aujourd’hui, l’augmentation de la demande mondiale en minéraux « verts » pour parvenir à l’objectif zéro émission nette de carbone d’ici à 2050 a donné un nouveau souffle à ce rêve.

L’aventure entre la RDC et la Zambie est un test décisif de la capacité des pays africains à saisir l’opportunité de l’objectif zéro émission nette de carbone

L’événement emblématique du moment, dans le secteur minier africain, est la coentreprise (la joint-venture) entre la République démocratique du Congo (RDC) et la Zambie en vue de la fabrication de batteries pour véhicules électriques dans la province congolaise du Katanga, riche en minéraux. Ces deux pays disposent d’importantes réserves de cuivre, de cobalt et de lithium, trois composants clés de ces batteries.

Les États-Unis soutiennent le projet. On ne sait pas encore ce que cela pourrait impliquer exactement, au-delà de la déclaration américaine indiquant qu’il contribuerait à créer des conditions de concurrence équitables pour le secteur privé. Le projet entre la RDC et la Zambie sera un test décisif quant à la capacité des pays miniers africains à saisir l’opportunité de l’objectif zéro émission nette de carbone.

À première vue, le projet semble extrêmement ambitieux et suscite quelques doutes en ce qui concerne le processus de valorisation. La RDC et la Zambie disposent d’importantes réserves souterraines de minéraux et ont de l’expérience en matière d’extraction, mais leur expertise est insuffisante pour transformer les matières premières en produits sophistiqués tels que des batteries de véhicules électriques.

Les organisations africaines soutiennent également la coentreprise entre les deux pays et espèrent pouvoir l’étendre au reste du continent. La Banque africaine de développement a indiqué lors de la conférence qu’elle élabore actuellement la Stratégie des minéraux verts afin d’aider les pays à optimiser et à développer les chaînes de valeur des batteries et des véhicules électriques en Afrique. Elle a pour partenaires la Commission de l’Union africaine (UA), la Facilité africaine de soutien juridique, la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), le Programme des Nations unies pour le développement, l’Africa Finance Corporation et la Banque africaine d’import-export (Afreximbank).

Lorsqu’on leur a demandé, lors d’une table ronde, si le projet était « réalisable », les dirigeants des industries zambienne et congolaise ont répondu en insistant sur ce point. Ils ont reconnu que leurs pays manquaient tous deux de compétences, d’infrastructures et de capitaux, mais qu’ils s’efforçaient d’y remédier, par exemple en collaborant avec les universités pour dispenser des formations.

Le développement des minéraux verts en Afrique offre une opportunité de réduire le risque inhérent à la chaîne d’approvisionnement de ces minéraux

Beaucoup de décisions restent à prendre concernant le projet, notamment la question cruciale de savoir qui fabriquera les batteries. Chali Mwefyeni, directeur commercial de la Zambia National Commercial Bank, a déclaré à ISS Today que des études de faisabilité étaient en cours. Il pense que les batteries pourraient être fabriquées dans le cadre d’un partenariat public-privé, en s’assurant que le secteur privé conserve le contrôle en dernier ressort.

Peter Pham, de l’Atlantic Council, un laboratoire d’idées, a déclaré à un autre panel que la forte demande en mineraux critiques offrait à l’Afrique des opportunités économiques et géostratégiques uniques qu’elle devait saisir. Pham a souligné que la transition vers l’énergie verte serait impossible sans les minéraux africains, notamment le cuivre. Il a expliqué qu’une unité d’énergie éolienne nécessitait cinq fois la quantité de cuivre nécessaire à une unité d’énergie plus conventionnelle, et 25 fois pour une unité d’énergie solaire.

Il a laissé sous-entendre l’intérêt qu’auraient les États-Unis à soutenir le projet de batteries RDC-Zambie (et peut-être le MSP). Il a dit que pour les États-Unis, et ceci est valable pour d’autres pays occidentaux, le développement africain des minéraux verts offrait une opportunité tout à fait bienvenue qui permettrait de réduire le risque inhérent à la chaîne d’approvisionnement de ces minéraux.

Il a pris note de la déclaration de Amos Hochstein, conseiller en énergie du président américain Joe Biden, expliquant à la conférence African Mining Indaba que la domination par un pays de la chaîne d’approvisionnement d’un minerai critique était très risquée. Hochstein faisait probablement référence au fait que la Chine traite aujourd’hui quelque 80 % du cobalt mondial, dont la majeure partie provient de la RDC qui possède environ 70 % des réserves mondiales.

Il est donc logique que les États-Unis soutiennent les efforts de la RDC pour valoriser son cobalt. Cela permet de maintenir l’accès à ce minéral d’importance stratégique. Il en va de même pour les autres minéraux critiques.

L’Afrique doit-elle pencher pour l’un plutôt que pour l’autre ? Certainement. Bien que les États-Unis veillent à leurs intérêts stratégiques, il y a bien un avantage mutuel et ceux-ci n’insistent pas pour que les entreprises américaines obtiennent un monopole. Si la valorisation fonctionne, les entreprises et les gouvernements africains tireront une plus grande part de la valeur de leurs minéraux. Et la chaîne d’approvisionnement s’en trouvera diversifiée, au-delà de la Chine.

Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria

Image : Shutterstock

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