L’espoir de paix au Soudan s’évanouit
Burhan et Hemeti, ennemis jurés à la tête de la guerre civile, ont manqué deux occasions de discuter de paix.
Alors que les affrontements en Israël, à Gaza et en Ukraine faisaient l’objet de toutes les attentions, la guerre civile meurtrière qui a éclaté au Soudan en avril 2023 passait sous silence. La donne a quelque peu changé en octobre 2023, lorsque les États-Unis et l’Arabie saoudite ont organisé des pourparlers de cessez-le-feu à Djeddah.
Cependant les pourparlers ont échoué et les affrontements entre les forces armées soudanaises (SAF) du général Abdel Fattah al-Burhan, et les forces de soutien rapide (RSF) de Mohamed Hamdan Dagalo dit « Hemeti » se sont intensifiés.
Les États-Unis ont multiplié les démarches diplomatiques, faisant pression sur les généraux et la région. Les dirigeants des États composant l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) se sont réunis à Djibouti le 9 décembre et ont persuadé Burhan et Hemeti d’accepter un cessez-le-feu inconditionnel, un dialogue politique et un face à face le 28 décembre.
Mais la rencontre n'a pas eu lieu, sans doute en raison d’une maladresse du secrétariat de l’IGAD, à en croire les propos de diplomates recueillis par ISS Today. Burhan a estimé ne pas avoir été convenablement consulté avant la publication du communiqué de l’IGAD. Il n’était pas question qu’il rencontre Hemeti tant que les RSF n’auraient pas retiré leurs combattants de Khartoum, entre autres. Il était également absent à la deuxième rencontre du 2 janvier.
Hemeti, resté dans l’ombre pendant la guerre civile, refait surface
Entre-temps, Hemeti a rencontré Taqaddum, l’important groupe présidé par l’ancien premier ministre de transition Abdalla Hamdok, qui milite pour l’instauration d’un régime civil. Ils ont convenu, sans grande conviction, de mettre un terme à la guerre. Cette rencontre aurait vexé Burhan, bien que Taqaddum l’aurait invité à une réunion qu’il a ignorée.
Hemeti, resté dans l’ombre pendant la guerre civile, est devenu soudain très présent. Il a rencontré des chefs d’État et de gouvernement en Ouganda, au Kenya, en Éthiopie, à Djibouti et en Afrique du Sud.
Hemeti leur a affirmé être en quête de soutien pour le processus de paix. Dans un communiqué publié sur Facebook, il a évoqué des discussions avec le président kenyan William Ruto sur les causes de la guerre et l’ouverture de négociations pour une paix durable. Il a également rassuré le président de Djibouti, Ismail Omar Guelleh, sur son engagement total en faveur des résultats du sommet de l’IGAD de décembre.
L’Afrique du Sud a exprimé son soutien au « face à face imminent entre le général Dagalo et le général Burhan et a réaffirmé la nécessité d’un cessez-le-feu immédiat et de pourparlers en vue d’une cessation définitive des hostilités ». Burhan n’a pas apprécié que le bureau du président Cyril Ramaphosa, dans un message sur X, désigne son invité comme « Son Excellence le président Mohamed Dagalo du Soudan ». Le message a été rapidement supprimé, mais après avoir été republié sur Twitter.
Des intérêts étrangers complexes et égoïstes s’ingèrent dans les affaires du Soudan
De nombreux observateurs, notamment au Soudan, doutent que que la paix ait été l’objectif premier de l’élan diplomatique de Hemeti de la semaine dernière. Un ancien diplomate soudanais a confié à ISS Today que « Hemeti recherchait des soutiens. […] Et compte tenu de la situation militaire au Soudan, il estime être en meilleure posture pour négocier ».
Il pense que Hemeti aurait pu mobiliser des appuis en faveur du processus de paix, mais que son objectif principal était de renforcer sa stature de dirigeant du Soudan et de se rallier des soutiens. Quoi qu’il en soit, ce processus semble stagner, comme en témoignent des combats acharnés qui ont éclaté cette semaine. L’Agence des Nations unies pour les réfugiés a révélé que depuis le début de la guerre, plus de 7,5 millions de personnes avaient fui leur domicile, dont 1,3 million de réfugiés et le reste des déplacés internes.
Les combattants ne sont pas des anges. Les SAF de Burhan ont tué et causé le déplacement des milliers de civils en bombardant des villes sans discrimination.
« Les décisions et les déclarations récentes des SAF les dépeignent comme un obstacle majeur au processus de paix. [...] Les SAF rejettent tout engagement et négociation concrets avec les RSF, les civils et les acteurs internationaux. C’est pourquoi Taqqadum a signé l’accord uniquement avec Hemeti à Addis, nous explique Maram Mahdi, chercheuse à l’Institut d’études de sécurité.
Les SAF sont peu disposées à la médiation et restent prêtes à poursuivre le conflit
» De plus, la demande des SAF, en début décembre 2023, de fermer la [Mission intégrée des Nations unies pour l’assistance à la transition au Soudan], démontre que la médiation n’est pas à l’ordre du jour ».
Mais même si Hemeti et les RSF semblent publiquement plus ouverts aux négociations, ils sont tout aussi diaboliques. Ils sont les successeurs officiels et respectables des célèbres milices arabes Janjawid, auteurs d’un génocide contre les habitants du Darfour voilà vingt ans. Ils se comportent toujours comme tel. Les RSF ont pris le dessus dans les combats ces derniers temps, comme l’a noté l’ancien diplomate soudanais.
« Quiconque doute des implications génocidaires des conquêtes militaires des RSF n'a qu'à regarder les vidéos des atrocités commises par la milice contre les civils dans l’ouest du Darfour », souligne Alex de Waal, directeur de la World Peace Foundation, le 14 décembre dans le magazine Foreign Policy.
De Waal ajoute que les RSF ont remporté la plupart des combats contre les SAF durant les derniers mois. Selon lui, « des massacres et la réduction en esclavage s’ensuivront sans doute [...] ils prônent une idéologie suprématiste arabe toxique ».
De Waal décrit également l’ingérence profonde, complexe et égocentrique d’intérêts étrangers dans les affaires du pays, dont ceux des Émirats arabes unis, de la Russie par l’intermédiaire de Wagner, de l’Arabie saoudite et des voisins du Soudan.
De Waal s’est montré optimiste, lorsque les États-Unis ont porté leur attention sur le Soudan en imposant des sanctions ciblées et en encourageant les efforts de paix. Washington serait également sur le point de nommer un nouvel envoyé spécial.
Pour l’heure, rien ne semble présager une rencontre entre Burhan et Hemeti et le processus de paix est tout aussi amorphe.
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