Les soupçons de fraude électorale provoquent des turbulences aux Comores
Les opposants d’Assoumani ont contesté sa réélection au vu du très faible taux de participation, de 16,3 %.
La saison électorale 2024 en Afrique, à savoir 19 scrutins présidentiels et législatifs, a démarré cette semaine de manière peu prometteuse et pour le moins alarmante. Après la réélection dimanche du président Azali Assoumani pour un cinquième mandat effectif, de violentes manifestations ont éclaté à Moroni, la capitale des Comores.
Le gouvernement a réagi en imposant un couvre-feu nocturne et en déployant l’armée dans les rues. Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a lancé un appel au calme et demandé aux autorités de faire preuve de retenue face aux manifestants.
« Les Comores sont en pleine situation insurrectionnelle », ont déclaré les cinq candidats perdants à l’élection présidentielle dans un communiqué commun. Cette situation a été « alimentée par une vague d’indignation » des jeunes qui estiment que les élections étaient truquées. Les candidats ont appelé à des manifestations dans tout le pays le 19 janvier après la prière.
Les émeutes ont été déclenchées lorsque la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a annoncé mardi qu’Assoumani avait obtenu 62,97 % des voix au premier tour, évitant ainsi un second tour. Toutefois, seulement 16,3 % des électeurs inscrits se sont rendus aux urnes pour participer au scrutin. Assoumani gouvernera le pays en sachant que seuls 33 209 de ses concitoyens le soutiennent officiellement.
Avec un taux de participation de 16,3 %, Assoumani a été élu par 33 209 personnes
Parmi les excuses avancées figurent les cyclones tropicaux et l’apathie générale des électeurs. Mais cela n’explique pas pourquoi le taux de participation au scrutin pour élire les gouverneurs des trois îles, qui s’est déroulé simultanément, a été, en moyenne, supérieur à 50 %.
Il s’agit là d’un désaveu massif à l’égard d’Assoumani et de l’intégrité du scrutin présidentiel. Il sera difficile d’éviter les soupçons de destruction de bulletins électoraux, d’autant plus que la CENI avait déjà estimé le taux de participation à plus de 60 % dimanche soir, a déclaré un diplomate à ISS Today.
« Comment peuvent-ils affirmer que sur quatre électeurs présents aux urnes, un seul a déposé son bulletin dans l’urne, alors que les scrutins présidentiel et des gouverneurs se tenaient simultanément? » ont demandé les cinq candidats perdants dans leur déclaration. Ibrahim Mzimba, ancien ministre des Affaires étrangères et aujourd’hui responsable de la stratégie de l’opposition, a dénoncé « l’incohérence et la contradiction des chiffres annoncés ».
Certains partis d’opposition avaient appelé au boycott des urnes. Et même s’ils ne se sont pas formellement prononcés en faveur de l’abstention, de nombreux Comoriens ont déclaré à Radio France International qu’ils ne croyaient pas en un processus électoral joué d’avance.
L’élection des gouverneurs a connu une participation supérieure à 50% à l’élection présidentielle
La mission d’observation électorale de l’Union africaine (UA) a publié un rapport intérimaire évasif, comme à son habitude, déclarant que les élections s’étaient déroulées « pacifiquement et sans incident majeur ». L’Organisation internationale de la Francophonie a noté dans son rapport intérimaire que le vote avait été en grande partie « libre, fiable et transparent ». Les deux missions ont néanmoins émis des suggestions quant à la manière dont le gouvernement, la CENI et les partis pourraient améliorer les futures élections et apaiser les divisions sociales et politiques.
Les cinq candidats perdants ont « rejeté en bloc » les conclusions de l’UA, affirmant qu’elles « dénotent une complicité coupable » dans le truquage.
L’opposition a indiqué son intention de saisir la justice pour « mettre fin à cette mascarade qui viole le choix souverain du peuple comorien ». Mais rares sont ceux qui nourrissent l’espoir de voir la Cour suprême intervenir, car elle est largement perçue comme étant au service des intérêts d’Assoumani.
La crédibilité démocratique d’Assoumani sera sans doute jugée à l’aune de sa carrière politique douteuse. En tant que chef de l’état-major des armées, il s’est emparé du pouvoir par un putsch en 1999, avant d’y renoncer sous la pression internationale et régionale en 2002, pour se présenter à des élections controversées, qu’il a remportées.
La mission d’observation des élections de l’UA a publié un rapport intérimaire évasif
Il s’est à nouveau retiré en 2006 et a été réélu en 2016. Il a prolongé son mandat en organisant un référendum controversé en 2018 visant à porter la durée de ses fonctions à deux mandats de cinq ans. Le référendum a également permis de supprimer le système de rotation des mandats présidentiels entre les trois îles du pays, qui fonctionnait pourtant efficacement. Cette rotation avait permis de mettre fin aux crises séparatistes qui avaient débuté en 1999.
Les amendements proposés par Assoumani « remettent les pendules à l’heure », en lui permettant d’être réélu en 2019 pour un nouveau quinquennat. Après la victoire de dimanche, il devrait rester en fonction jusqu’en 2029. Au total, il aura passé 20 ans au pouvoir, répartis sur cinq mandats.
« Le dernier mandat d’Assoumani a été marqué par la répression de l’opposition et par des restrictions de la liberté de la presse. Les journalistes travaillent dans un climat d’intimidation et de peur de se faire arrêter, ce qui entraîne une autocensure généralisée. Les manifestations sont régulièrement interdites. Les membres des partis d’opposition sont menacés et détenus par la police et l’armée », déclare le Centre africain d’études stratégiques.
Liesl Louw-Vaudran, conseillère principale de l’International Crisis Group sur l’UA, a déclaré à ISS Today que si l’UA voulait prévenir les coups d’État, elle devrait davantage promouvoir des scrutins équitables et améliorer son contrôle des élections.
Elle estime que le rapport de la mission d’observation électorale de l’UA aurait dû couvrir des éléments importants tels que l’écart considérable entre le nombre d’électeurs ayant participé à l’élection présidentielle et celui de l’élection des gouverneurs, « ce qui semble très problématique ».
Le rapport aurait également dû étayer d’autres aspects essentiels qu’il ne fait qu’évoquer, a déclaré Louw-Vaudran. Par exemple, le différend entre le gouvernement et l’opposition sur l’octroi du droit de vote à la diaspora, « qui dans ce cas aurait fait une grande différence ». Et le conflit autour de la révocation du président de la Cour suprême juste avant les élections. « C’est la Cour qui a le dernier mot sur le caractère équitable ou non des élections ». Louw-Vaudran a également noté que « Assoumani a présidé l’UA en 2023 lorsque l’organisation appelait les pays à respecter les règles démocratiques à la suite des coups d’État au Niger et au Gabon. Et pourtant, il a été réélu pour un troisième mandat consécutif, après avoir occupé ces fonctions pendant plusieurs années. Même si la constitution lui permet de briguer un troisième mandat, en bon démocrate, il devrait se retirer et donner la chance aux autres. »
Il semble périlleux de tant manipuler les processus électoraux et politiques, et de centraliser le pouvoir dans un pays aussi hétérogène, avec trois cultures insulaires distinctes. Les Comores ont déjà connu 21 tentatives de coup d’État depuis leur indépendance de la France en 1975. L’Afrique connaît une recrudescence des coups d’État, dont certains sont précisément fomentés par des dirigeants qui s’accrochent au pouvoir par des ruses cyniques telles que l’extension de la durée du mandat présidentiel.
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