Les petits réacteurs modulaires pourraient réduire le déficit énergétique de l’Afrique

Grâce à une nouvelle génération de réacteurs, l’énergie nucléaire est à la portée d’un plus grand nombre de pays en Afrique.

La multiplication rapide des petits réacteurs modulaires (PMR) pourrait transformer l’évolution de l’énergie nucléaire en Afrique, comme ailleurs.

Le continent a désespérément besoin de plus d’électricité. Selon la Banque africaine de développement, sur les 1,4 milliard d’habitants du continent, plus de 640 millions n’ont pas accès à l’électricité. Jakkie Cilliers, responsable de Futurs africains et Innovation à l’Institut d’études de sécurité (ISS), prévoit que ce chiffre devrait atteindre les 657 millions d’ici à 2030 si la tendance actuelle se poursuit.

De nombreux pays africains ont été tentés de se tourner vers le nucléaire pour combler le déficit énergétique. Mais à l’exception de la centrale sud-africaine de Koeberg vieille de 40 ans, pour des raisons de coût entre autres, seule l’Égypte s’est lancée dans l’aventure. La société nucléaire russe Rosatom a commencé à y construire sa première centrale nucléaire l’année dernière.

Seuls cinq pays dans le monde ont une expérience récente de la construction et de l’exportation de grandes centrales nucléaires conventionnelles : les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et la Corée du Sud. Cependant, depuis un an environ, la technologie des PRM est en pleine effervescence. Au moins 80 nouveaux modèles ont vu le jour, comme l’ont déclaré à ISS Today Ingrid Kirsten et Tony Stott, associés principaux de recherche au Centre de Vienne pour le désarmement et la non-prolifération.

Il existe toute une série de PRM, allant de réacteurs pouvant tenir dans une camionnette à des réacteurs ayant la capacité de produire environ 300 mégawatts, soit environ un tiers de la taille d’un réacteur traditionnel. Selon Stott, les PRM n’ont pas encore été testés et de nombreux modèles émergents sont encore à l’état de concept. Cependant, Kirsten note que les États-Unis ont accordé une certification à leur premier modèle de PRM à la fin de 2022, afin que la centrale puisse produire de l’électricité d’ici cinq ans.

L’an dernier, au moins 80 modèles de PMR ont vu le jour dans le monde

Selon ces deux chercheurs, les PRM rendent l’énergie nucléaire accessible à un plus grand nombre de pays africains. Ces réacteurs pourraient également modifier les débouchés des constructeurs internationaux de centrales nucléaires sur les marchés mondiaux et africains.

Il y a quelques années, Rosatom était chef de file dans ce domaine dans le monde et en Afrique. En 2016, une douzaine de pays africains exploraient déjà la possibilité de se tourner vers l’énergie nucléaire. Lors du sommet Russie-Afrique de Sotchi en octobre 2019, 18 pays africains avaient signé des accords de coopération avec Rosatom sur l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire.

Pour diverses raisons, les États-Unis et la France n’ont pas participé activement à ce marché, alors que Rosatom a déployé une technique de vente agressive en faisant des offres de financement, en particulier aux pays africains. Elle continue d’ailleurs à le faire. Le président russe Vladimir Poutine a déclaré ce mois-ci à la Conférence parlementaire internationale à Moscou que la Russie était prête à offrir aux pays africains un financement à hauteur de 100 %.

Mais la Russie pourrait être sur le point de perdre son avantage concurrentiel. En effet, Kirsten et Stott estiment que les États-Unis, la France, la Chine, le Canada et le Royaume-Uni ont pris la tête en matière de technologie de PRM.

Les PMR n’ont pas été testés et nombre de modèles sont à l’état de concept

Pour l’Afrique, les PRM offrent trois avantages principaux : un coût réduit, une construction plus rapide et des caractéristiques de sécurité intrinsèque et passive améliorées. Par exemple, certains PRM pourraient être préfabriqués dans le pays producteur, ce qui réduirait les coûts de renforcement des compétences en ingénierie nucléaire nécessaires à la construction de centrales conventionnelles.

Alors qu’il faut en moyenne 10 à 15 ans pour construire une centrale nucléaire classique, un réacteur de type PRM pourrait être déployé en cinq ans dans un pays qui dispose déjà de l’énergie nucléaire. Selon Stott, cela pourrait prendre plus de temps, à savoir entre cinq et douze ans, pour une installation dans un pays en développement ayant peu ou pas d’expérience dans le domaine de l’énergie nucléaire.

Ces délais s’expliquent en partie par le manque relatif de compétences dans le nucléaire et par les régimes juridiques et réglementaires spécifiques qui doivent être mis en place pour répondre aux exigences de sécurité. Ceci est indispensable pour éviter les accidents dus aux radiations, protéger les matières nucléaires et prévenir la prolifération nucléaire (le détournement de matières fissiles à des fins militaires illégales).

Kirsten et Stott estiment que le prochain pays africain à produire de l’énergie nucléaire, après l’Égypte, sera probablement le Ghana. En effet, celui-ci exploite un réacteur nucléaire de recherche depuis plusieurs années, ce qui lui a permis d’acquérir de l’expérience en matière de technologie et de réglementation. Avec le soutien de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), le Ghana a achevé la première phase et est passé avec succès à la phase 2 de l’approche par étapes de l’AIEA. Cette approche guide les pays dans le développement des infrastructures nationales nécessaires au déploiement de l’énergie nucléaire.

Le Ghana a donc suivi toutes les étapes préparatoires, y compris la mise en place d’une administration, pour « permettre au gouvernement de prendre une décision en connaissance de cause sur la poursuite de l’engagement envers un programme d’énergie nucléaire », ont déclaré Kirsten et Stott dans un rapport récent. Le Ghana y est présenté comme un exemple pour les autres pays qui envisagent de se doter de l’énergie nucléaire.

Coût réduit, construction rapide et plus de sécurité sont les avantages des PRM pour l’Afrique

Bien que le Ghana ait conclu un accord de coopération nucléaire avec la Russie, Stott note que le pays n’a pas encore décidé quelle technologie nucléaire il adoptera, ni s’il souhaite se doter d’une grande centrale conventionnelle ou d’un réacteur de type PRM. Il pense que le pays pourrait opter pour un PRM, avec la possibilité d’ajouter plus tard des modules si nécessaire. Kirsten et lui pensent que le Kenya ou l’Ouganda pourraient être les prochains pays africains à se doter de l’énergie nucléaire.

Et beaucoup d’autres sont intéressés, selon eux, même s’ils attendront probablement de voir comment fonctionnent ces PRM. Tous ne sont pas convaincus. Outre les préoccupations générales concernant les radiations, la prolifération et l’élimination des déchets toxiques, les opposants au nucléaire contestent l’argument selon lequel les PRM seraient une option moins coûteuse.

« La raison pour laquelle les réacteurs nucléaires ont pris de l’importance au fil du temps relève tout simplement d’une question d’économie d’échelle », a déclaré à ISS Today Peter Becker, militant dans le domaine de l’énergie au sein de l’Alliance Koeberg Alert. « Les grands réacteurs nucléaires comptent déjà parmi les technologies les plus coûteuses, et les PRM ont toujours été encore plus chers. De plus, les estimations de coûts pour les PRM tels que le modèle NuScale ne cessent d’augmenter : elles ont pris plus de 50 % depuis 2021.

» Étant donné qu’il est devenu pratiquement impossible de faire approuver les coûts d’investissement exorbitants d’une grande centrale nucléaire, les réacteurs PRM s’inscrivent dans une tentative de réduire les coûts. Toutefois, le coût du kWh est beaucoup trop élevé pour que ces PRM puissent être compétitifs sans subventions publiques massives. »

De toute façon, les énergies renouvelables ne vont-elles pas bientôt rendre obsolètes les PRM ou toute autre technologie nucléaire ? Kirsten pense que non. D’après elle, les avantages des énergies renouvelables et les inconvénients du nucléaire font l’objet d’exagérations dans le climat politique actuel. À première vue, l’énergie solaire semble être le choix le plus évident pour l’Afrique. Mais Kirsten estime que pour égaler la production d’énergie nucléaire, les panneaux solaires devraient couvrir de vastes étendues, ce qui poserait d’importants problèmes environnementaux.

Kirsten et Stott citent également l’argument bien connu stipulant que l’énergie renouvelable ne contribue pas à l’alimentation électrique de base parce  qu’elle est intermittente. Cilliers est d’accord sur ce point : « Les énergies renouvelables ne peuvent pas fournir la puissance électrique nécessaire à l’industrialisation et aux efforts déployés dans des réalisations telles que la zone de libre-échange continentale africaine, qui sont à forte intensité énergétique. »

« Je suis favorable aux énergies renouvelables, déclare Stott. Mais je ne suis pas d’accord pour dire que ce serait la panacée. Ce n’est pas le cas. Chaque pays doit choisir son propre mix énergétique... et à notre avis, le nucléaire devrait en faire partie. » Selon Kirsten, la crise énergétique mondiale semble avoir créé l’opportunité d’accélérer le développement et le déploiement des PRM.

Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria

Image : © Israel Defense

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