Les médiatrices maliennes façonnent les pourparlers locaux avec les terroristes

Invisibles lors des négociations officielles, les femmes jouent pourtant un rôle décisif dans les accords de paix communautaires.

Dans le centre du Mali, certaines communautés locales ont conclu des accords de paix avec des groupes terroristes afin de retrouver l’accalmie. En effet, depuis 2015, les habitants de la région sont pris dans un cercle vicieux de violence dû à l’insurrection armée des groupes extrémistes.

Ces accords sont généralement le fruit de négociations entre les dirigeants des communautés et les représentants de la branche locale du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulman (GSIM), un groupe radical affilié à Al-Qaïda parmi les plus influents au Sahel. Ces initiatives du dialogue s’inscrivent à contre-courant d’une réponse majoritairement militaire privilégiée par les gouvernements maliens successifs.

Des études récentes documentent ces expériences, notamment la nature et le contenu des accords, la conduite des négociations et leurs enjeux doctrinaux et politiques. Cependant, le rôle décisif que jouent les femmes à plusieurs niveaux dans ces processus locaux n’est pas reconnu, contrairement aux contributions des hommes, notamment des chefs communautaires et religieux.

Les discours qui dépeignent les femmes comme des victimes passives de la violence en sont en partie la cause. Ces stéréotypes sont renforcés par des pratiques sociales patriarcales profondément ancrées dans les sociétés sahéliennes qui ont tendance à discriminer les femmes.

On a beaucoup sous-estimé le rôle vital que peuvent avoir les femmes dans les négociations locales avec les extrémistes violents

En 2021, une étude menée par l’Institut d’études de sécurité (ISS) montrait au contraire à quel point les expériences des femmes et leur implication dans la crise du terrorisme étaient diverses et variées. Elles ne sont pas seulement victimes de l’insécurité, elles peuvent assumer des rôles variés et complexes dans les rouages des groupes extrémistes violents, notamment au Niger et au Mali. Elles sont également impliquées dans la consolidation de la paix.

L’ISS a récemment lancé une étude sur la participation active des femmes dans les dialogues locaux et les processus de paix dans le centre du Mali. Certaines femmes, exploitant des  liens de proximité privilégiés avec des membres des groupes armés, ont facilité l’établissement de premiers contacts durant les phases de préparation de ces dialogues – révélant ainsi le rôle vital qu’elles jouent pour gagner la confiance des insurgés.

Les groupes terroristes se battent généralement contre l’ordre social établi, souvent incarné par des hommes assumant l’autorité coutumière. En s’appuyant sur ces femmes, les responsables communautaires s’entourent de garanties pour établir le maximum de confiance préalable à toute négociation.

Les extrémistes luttent généralement contre l’ordre social, souvent incarné par des hommes représentant l’autorité coutumière

Une femme interrogée par l’ISS a déclaré qu’elle avait aidé les dirigeants de son village à choisir qui devait négocier avec les groupes armés. Grâce à son implication, ces négociateurs ont été mieux acceptés par les extrémistes.

En dépit de leur importance dans les processus de négociation, les femmes ne participent pas directement aux réunions publiques avec les djihadistes. Elles agissent en coulisse durant cette phase, jouant le rôle essentiel de conseillères auprès des chefs des communautés.

En même temps, certaines femmes négocient discrètement avec les chefs des groupes armés locaux. Leur objectif est de les persuader d’adopter une interprétation plus souple des interdictions religieuses inscrites dans les accords formels conclus. Ce type d’intervention est généralement mené par une femme pour laquelle le groupe extrémiste a un grand respect en raison de son âge avancé et de son statut social privilégié.

Un exemple de renégociation a permis notamment de lever l’interdiction faite aux jeunes de jouer au football en échange de l’assurance que ces derniers respecteraient les heures de prière. Dans un autre cas, une femme a négocié avec des djihadistes pour s’assurer que les femmes non voilées ne recevraient pas de châtiments corporels.

Les femmes agissent en coulisse et jouent le rôle essentiel de conseillères auprès des dirigeants communautaires

Le pouvoir de négociation des femmes repose sur la discrétion de leur intervention, leur origine sociale ou leur leadership au sein de leur communauté. Cette position se construit au fil du temps ou découle du statut et de l’histoire de leur famille.

Certaines femmes appartiennent à des familles très respectées dont la réputation en matière de gestion des conflits internes est historiquement reconnue. Leur implication dans les processus de paix n’est que le prolongement des responsabilités qu’elles assument déjà en tant que médiatrices dans leur communauté. Pour d’autres femmes, c’est leur participation à des activités professionnelles, parfois au service de la communauté, qui leur a permis d’établir des relations de confiance avec les acteurs locaux.

Bien que ces exemples s’appliquent à des contextes spécifiques et ne puissent être généralisés, ils illustrent les rôles que peuvent éventuellement jouer les femmes dans la recherche de la paix au Sahel. Ils nous donnent trois leçons précieuses pour les politiques de dialogue et de négociation dans la région.

Tout d’abord, ils nous enseignent que la conception et la mise en œuvre d’une politique de dialogue doivent impérativement s’ancrer dans une analyse de genre bien menée. Cela permettrait aux décideurs et aux parties prenantes de mieux appréhender les dimensions de genre dans les négociations de paix, en particulier les rôles spécifiques des hommes et des femmes. Deuxièmement, le succès des politiques de dialogue dépendra de leur prise en compte des dynamiques locales. Les interventions doivent absolument s’adapter aux réalités du terrain et éviter de reproduire des modèles standardisés.

Enfin, la légitimité des participants aux processus de dialogue ne coïncide pas toujours avec leurs fonctions officielles. Bien que les femmes soient absentes du processus de prise de décision officiel, elles peuvent influencer les négociations locales parce qu’elles travaillent discrètement et en coulisse. Les mécanismes d’interventions tels que les comités de dialogue locaux devraient intégrer ces dynamiques informelles dans leurs modes opératoires et processus décisionnels.

L’approche du « tout militaire », privilégiée par la plupart des gouvernements du Sahel, n’a pas permis de protéger les civils. Les dirigeants de la région devraient s’inspirer des dialogues menés dans les communautés du Mali, dialogues au sein desquels les femmes jouent un rôle décisif, pour trouver des réponses négociées à l’extrémisme violent. 

Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur principal au Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Image : © Neil Cooper/Alamy Stock Photo

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