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Les marchés du carbone bleu : l’Afrique doit trouver le juste équilibre

Les écosystèmes producteurs permettent d’atténuer le changement climatique, mais les pays doivent prévenir l’exploitation des communautés locales.

L’Afrique subit de plein fouet les effets du changement climatique autant sur ses côtes qu’à l’intérieur des terres. Il devient urgent d’instaurer des politiques innovantes. Les marchés du carbone bleu se présentent comme une solution d’atténuation qui permet de lever des fonds tout en préservant les écosystèmes bleus. Cependant, les pays africains doivent se montrer prudents et bien en mesurer les avantages et les inconvénients.

Les marchés du carbone bleu peuvent générer des fonds pour la conservation des zones marines et de la vie sous-marine. Ces écosystèmes résistent au changement climatique grâce aux mangroves, aux marais et aux herbiers marins. Les marchés du carbone bleu, encore peu développés, ont un énorme potentiel d’expansion, avec la prise de conscience du rôle des écosystèmes côtiers dans la séquestration du carbone, et le besoin de fonds pour atteindre les objectifs de durabilité. Ces marchés sont voués à se développer à mesure que les sociétés industrielles cherchent à compenser leurs émissions de carbone.

Les marchés du carbone bleu visent à réduire l’empreinte carbone grâce à des projets de restauration et de préservation des côtes, financés par la vente de crédits carbone. Chaque crédit carbone représente une tonne d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) éliminée de l’atmosphère. Les crédits carbone achetés sont générés par la conservation et la restauration des écosystèmes côtiers et marins afin d’atténuer les effets du changement climatique. Ces opérations portent sur la quantité de CO2 séquestrée, mesurée en tonnes métriques, et sur le prix de la tonne de CO2.

L’Afrique jouit d’un privilège unique. Ses côtes possèdent certains écosystèmes de carbone bleu parmi les plus productifs au monde pour la vie marine, ainsi que d’importants puits de carbone naturels qui captent et stockent dans leurs sols, leurs racines et leurs plantes des quantités importantes de carbone.

Le changement climatique fragilise les puits de carbone océaniques

L’océan est le plus grand « allié climatique » de l’humanité grâce à deux mécanismes primaires : la pompe à solubilité et la pompe biologique.

La mer absorbe le CO2 de l’atmosphère grâce au processus de la pompe à solubilité et le transforme en carbone inorganique dissous. Il est transporté en profondeur par des courants océaniques. Alors que les systèmes écologiques s’autorégulent, les changements environnementaux croissants provoqués par l’homme ont altéré la pompe à solubilité. Ce qui s’est traduit par une augmentation de l’absorption de CO2 par la mer et un impact sur la circulation océanique, la répartition des écosystèmes marins et les schémas climatiques.

Dans le mécanisme de la pompe biologique, le phytoplancton (minuscule plante océanique) transforme le CO2 en matière organique par photosynthèse. Ce carbone organique est transporté dans les profondeurs océaniques et stocké à l’abri de l’atmosphère pendant de longues périodes.

Ces phénomènes sont essentiels pour les pays dont l’alimentation et les moyens de subsistance dépendent des écosystèmes marins. Ils contribuent à la santé et à la productivité de l’océan en isolant le carbone et en assurant l’équilibre des nutriments nécessaires au maintien de la vie marine et des industries qui en dépendent.

Les accords sur les crédits carbone terrestres entraînent l’accaparement des terres et l’écoblanchiment

Cependant, le changement climatique affaiblit ces puits de carbone. Il faut agir et trouver des financements de toute urgence, notamment dans les pays en développement où les considérations environnementales sont souvent délaissées.

Dans cette situation, les marchés du carbone bleu pourraient sauver l’Afrique ou la perdre. Il est trop tôt pour quantifier l’impact de ce commerce, et il conviendrait de s’inspirer des accords sur les crédits carbone terrestres afin d’éviter les mêmes erreurs.

Il existe quatre préoccupations majeures. Premièrement, les accords sur les crédits carbone terrestres révèlent que les initiatives sur le carbone bleu ne bénéficieraient pas de manière équitable à l’ensemble de l’Afrique. Le projet Green Carbon dans la forêt de Mau au Kenya montre comment des communautés autochtones ont été expulsées au nom de la protection de l’environnement. Ces accords ont souvent conduit à l’exploitation de communautés vulnérables et suscité des préoccupations liées aux prix bas, à l’accaparement des terres et à l’écoblanchiment.

La deuxième préoccupation est le manque de transparence et de crédibilité scientifiques quant au marché du carbone bleu. Ce domaine de recherche étant récent, les données locales peuvent être insuffisantes. Les pays doivent investir dans des évaluations et des recherches empiriques précises pour mieux connaitre leurs actifs de carbone bleu.

Les pays doivent investir dans des recherches empiriques pour identifier leurs actifs de carbone bleu

Troisièmement, cette ruée mercantile vers le carbone soulève des questions éthiques concernant les bénéficiaires. L’accès aux ressources et les moyens de subsistance des pêcheurs artisans et des communautés côtières sont restreints. Cette ruée menace également la valeur intrinsèque des ressources océaniques, socle des identités culturelles des communautés côtières et autochtones. La perte des zones de reproduction des poissons, comme les mangroves, menace la sécurité alimentaire. Sans une gestion et un suivi rigoureux, ces initiatives peuvent involontairement engendrer des abus envers les communautés locales.

Enfin, le scepticisme à l’égard des marchés du carbone bleu repose sur l’injustice climatique et l’inégalité mondiale. Certains décrivent ces marchés comme une forme de « colonialisme climatique » où les pays les plus riches compensent leurs émissions en achetant des crédits carbone aux pays les plus pauvres. Cependant, les marchés du carbone ne suffiront pas à endiguer la crise climatique. Les pays riches doivent aussi réduire leur consommation de combustibles fossiles. Ces marchés risquent de perpétuer les inégalités et d’exploiter les ressources des régions moins développées.

Les marchés du carbone bleu ne sont pas systématiquement nuisibles ou abusifs. Les États africains doivent s’efforcer de maximiser les avantages tout en minimisant les risques pour leurs populations, futures bénéficiaires.

La création de centres d’excellence nationaux et régionaux dédiés à la recherche, à un suivi rigoureux et à l’utilisation de technologies modernes renforce la crédibilité des projets relatifs au carbone bleu. L’institut de recherche marine et halieutique du Kenya en est le parfait exemple. Tout comme le Mikoko Pamoja, qui est le premier projet communautaire au monde à commercialiser des crédits carbone pour la conservation des mangroves et à promouvoir des moyens de subsistance durables. Ce projet a contribué à la conservation de la nature et à l’amélioration du bien-être communautaire.

Pour éviter le colonialisme climatique, garantir la justice climatique et la gestion durable du carbone bleu, il faut remédier aux déséquilibres de pouvoir, améliorer la transparence et instaurer des garanties communautaires solides. 

Les approches de financement climatique inclusives devraient privilégier la justice sociale, l’intégrité environnementale et l’autonomisation des communautés. Elles doivent faire entendre la voix des populations autochtones, des femmes et des jeunes, et favoriser l’adhésion et le partenariat au niveau local pour être plus crédibles.

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