Les jeunes sont indispensables à la stabilité du Soudan

L'inclusion des jeunes dans les processus formels de transition est nécessaire pour apporter une paix durable au Soudan après le coup d’État.

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La jeunesse soudanaise a été l'élément moteur des manifestations et du soulèvement qui ont renversé le régime de l'ancien président Omar el-Béchir, en place depuis près de 30 ans. Elle a joué un rôle déterminant dans la mobilisation et la création d'un mouvement social qui a incité l'armée à intervenir pour renverser Omar el-Béchir lors d'un coup d'État populaire en avril 2019.

Deux ans et demi plus tard, en octobre 2021, les militaires ont fait un nouveau coup d'État après une période de transition fragile. Les jeunes Soudanais ont réagi en continuant de protester et d'organiser des manifestations presque hebdomadaires pour dénoncer le régime militaire, alors que le premier anniversaire du coup d'État approche à grands pas.

Bien qu'ils soient la principale force motrice des appels en faveur d'un Soudan libre, démocratique et prospère, les jeunes sont largement exclus des initiatives et des plateformes visant à mettre en œuvre les résultats de la transition. Ils sont instrumentalisés, mais peut-être ne leur fait-on pas confiance pour diriger ?

En juillet, le chef de l'armée et putschiste Abdel-Fattah al-Burhan a annoncé que l'armée s'abstiendrait de toute négociation politique afin de laisser la place aux civils pour former un nouveau gouvernement de transition. Largement perçue comme un stratagème visant à bloquer davantage le processus de transition, cette décision a fait l'objet d'une ample condamnation. Les Forces pour la liberté et le changement (FFC), le principal bloc civil du Soudan, l’ont rejetée et exhorté la population à poursuivre les manifestations.

Les jeunes Soudanais organisent souvent des manifestations mais sont largement exclus des processus politiques

Ces appels à la désobéissance civile et aux manifestations soulèvent deux questions pertinentes. Premièrement, on attend souvent des jeunes qu'ils organisent et soutiennent les manifestations, faisant d’eux des dommages collatéraux. Les jeunes portent de manière disproportionnée le poids de la réponse sécuritaire musclée de l'État aux manifestations. Depuis le coup d'État de 2021, plus de 100 manifestants, pour la plupart des jeunes, dont 18 enfants, ont été tués. Deuxièmement, bien qu'ils soient mobilisés pour faire pression, les jeunes sont largement exclus des processus politiques tels que les efforts de résolution des conflits et les processus de transition.

Environ 68 % de la population du Soudan a moins de 30 ans. Ce qui a d'importantes implications politiques, sociales et économiques à court et à long terme. Le fait que les jeunes représentent plus des deux tiers de la population, soit environ 31 millions de personnes, ouvre la voie à deux scénarios possibles à long terme. Dans l’un, les revendications des jeunes pour l'amélioration des services, de l'emploi, des soins de santé et de l'éducation se poursuivront probablement. Les difficultés et les griefs socio-économiques ont été la cause profonde de la révolution de 2019, et le manque persistant d'opportunités continuera à façonner la politique intérieure du Soudan, les jeunes cherchant à obtenir de meilleurs dividendes démocratiques.

Dans l’autre, les jeunes Soudanais continueront à faire des voyages dangereux vers l'Europe et le Moyen-Orient à la recherche de meilleures perspectives d’avenir. Pour la seule année 2022, l'Organisation internationale pour les migrations estime que 15 000 Soudanais émigreront. Alors que les taux de fécondité et la croissance démographique diminuent lentement, 60 % de la population soudanaise devrait encore avoir moins de 30 ans en 2043. Avec un taux de dépendance élevé, les jeunes sont susceptibles de chercher un meilleur avenir ailleurs, ce qui réduit davantage les compétences et les capacités nationales, compétences nécessaires à tout effort futur de renforcement de l'État. 

Il n'existe aucune garantie de participation au gouvernement de transition ou au futur gouvernement pour les jeunes qui choisissent de rester au Soudan et de risquer leur vie pour parvenir à la démocratie.

L'environnement politique très divisé au Soudan ne permet pas de donner la priorité aux intérêts des jeunes

Les jeunes Soudanais ont été les acteurs du changement en renversant l'ancien régime. Pourtant, les jeunes responsables de la chute d'El-Béchir ont été largement mis de côté lors de la formation du gouvernement de transition. Ils n'ont joué qu'un rôle minime, voire nul, dans les organes décisionnels clés et les processus de rétablissement de la paix, notamment la rédaction de l'accord de paix de Juba et de la charte constitutionnelle. Sur un cabinet de 25 personnes, seul un ministre de la Jeunesse a été choisi pour diriger le ministère de la Jeunesse et des Sports, perpétuant ainsi les clichés sur la participation des jeunes aux postes de direction.

Le Soudan a une longue liste de défis à relever. Il doit notamment constituer un gouvernement de transition dirigé par des civils, mettre en place un processus de justice transitionnelle et redonner vie à une économie défaillante. Il doit également  sécuriser l'alimentation et l'énergie pour des millions de personnes, dans une région qui connaît les pires sécheresses depuis des décennies et qui subit les conséquences de la crise russo-ukrainienne. Mais exclure les besoins et les intérêts des deux tiers de la population de tout processus de rétablissement de la paix risque fort d'aboutir à de mauvais résultats.

D'un point de vue réaliste, un environnement politique très divisé laisse peu de place pour accorder la priorité aux intérêts des jeunes, car les acteurs nationaux, régionaux et internationaux se précipitent pour résoudre la crise politique. Le partenariat trilatéral entre les Nations unies, l'Union africaine et l'Autorité intergouvernementale pour le développement a impliqué des groupes de jeunes. Mais ces consultations ne se sont pas traduites par un rôle significatif pour les jeunes dans les projets de cadres de transition rédigés par divers groupes civils, notamment les propositions élaborées par le FFC et l'Association du barreau soudanais.

Les partis politiques, les syndicats professionnels et les comités de résistance qui appellent à un gouvernement de transition exclusivement civil doivent exploiter l'énergie des jeunes en les incluant davantage dans les processus politiques tels que l'élaboration de la constitution et la formation d'un gouvernement de transition. C'est le seul moyen de se prémunir contre l'instrumentalisation de la jeunesse par les groupes anti-coup d'État. « Anti-coup » n'est pas synonyme de « pro-jeunes ».

Les jeunes Soudanais se sont avérés être les agents de changement les plus efficaces du pays

Il y a peu de circonstances favorables qui permettraient de mettre sur la table l'agenda de la jeunesse dans un environnement post-coup d'État complexe ; et de nombreux obstacles s’y opposent. Quoi qu'il en soit, les jeunes Soudanais se sont avérés être les agents de changement les plus efficaces du pays. Cela doit se refléter dans la formation d'un gouvernement de transition post-coup d'État.

Une autre occasion existe : les intérêts des jeunes augmentent les intérêts des factions pro-démocratie qui, en grande partie, ont les mêmes revendications et réclament les mêmes dividendes démocratiques, notamment une meilleure éducation, de meilleurs soins de santé et de meilleures prestations de services. Les groupes de jeunes doivent capitaliser sur la vague de soutien populaire à la démocratie et aux droits de l'homme et veiller à ce que les intérêts des jeunes soient représentés de manière adéquate.  

À court terme, la mobilisation de la base peut permettre d'accroître et d'améliorer les possibilités d'inclusion et de participation des jeunes. Les groupes de jeunes devraient également exiger une plus grande représentation dans les organismes professionnels, les syndicats et les partis politiques, des structures qui les ont traditionnellement laissés de côté. Les coalitions telles que le FFC et les partis politiques devraient offrir aux jeunes une plus grande plateforme pour influencer le processus de dialogue national, les consultations trilatérales et tout effort futur de médiation ou de résolution des conflits.

Les jeunes disposent d'un capital social considérable au Soudan, qui peut contribuer à garantir des résultats démocratiques et équitables. Pour répondre aux exigences de la révolution de 2019 (liberté, paix et justice), il est essentiel que les jeunes soient mieux intégrés et de manière plus significative.

Maram Mahdi, chargée de recherche, Bureau du Directeur exécutif, ISS Pretoria

Image: © REUTERS / Alamy Stock Photo

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