Les gouvernements rivaux de Libye prévoient de s’unir pour les élections
Tripoli et Tobrouk envisagent un gouvernement unifié avant les élections contre l’avis des Nations unies et de la communauté internationale.
La Libye se trouve dans une impasse inattendue. Ses deux gouvernements, profondément divisés et opposés, sont étonnamment tombés d’accord sur la voie à suivre pour faire avancer ce pays déchiré, mais la communauté internationale s’y oppose largement.
En juillet, la Chambre des représentants de Tobrouk, dans l’est du pays, et son rival le Haut Conseil d’État, basé à Tripoli, dans l’ouest, ont tous deux approuvé un plan du comité « 6 + 6 », qui représente les deux parties. Le plan prévoit la formation d’un gouvernement intérimaire qui réunirait les deux administrations et conduirait le pays aux élections afin que les citoyens puissent élire un gouvernement permanent.
Cependant, les Nations unies et la plupart des acteurs extérieurs s’y opposent, insistant sur la tenue d’élections avant la formation d’un nouveau gouvernement. Le plan bénéficie du soutien du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’armée basé dans l’est du pays, ce qui est peut-être à la fois un avantage et un inconvénient.
Les Nations unies, les gouvernements occidentaux et certains Libyens craignent qu’un gouvernement artificiellement unifié n’incite les parties prenantes à malmener leurs engagements électoraux, ce qui renforcerait le statu quo. Les partisans du plan ont prévenu que les turbulences électorales pourraient perturber la paix fragile qui prévaut depuis plus d’un an.
Les partisans d’un gouvernement uni craignent les turbulences électorales qui pourraient perturber la paix
En effet, en août dernier, la paix a été mise à mal par des affrontements à Tripoli entre deux milices rivales fidèles au gouvernement de Tripoli. Des divergences concernant la proposition d’un gouvernement réunifié en seraient à l’origine. Le soutien de Haftar au plan a suscité l’opposition de certaines de ces milices qui se méfient profondément de ses motivations.
Claudia Gazzini, analyste principale de l’International Crisis Group pour la Libye, a commenté la proposition du comité 6 + 6 en ces termes : « S’il bénéficie d’un soutien suffisant, ce plan pourrait constituer une étape importante vers la résolution de la fracture qui a placé la Libye sous l’administration partagée de deux autorités distinctes pendant la majeure partie de la décennie écoulée. Mais il se heurte encore à des obstacles importants, avec des détracteurs influents tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Libye ».
Pour Gazzini, le plan semble être le moyen le plus prometteur de réunifier le pays, face aux défis insurmontables que représente la tenue d’élections alors que le pays reste divisé entre deux gouvernements opposés.
La Libye oscille d’une crise à une autre depuis le renversement de Mouammar Kadhafi en 2011 par une rébellion populaire soutenue, entre autres, par une force d’intervention de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Après avoir plongé dans une guerre civile prolongée, les deux gouvernements rivaux ont été brièvement réunifiés en 2020 lorsqu’un assaut militaire de Haftar a atteint les faubourgs de Tripoli, avant d’être repoussé en grande partie par les forces turques.
Le soutien de Haftar suscite l’opposition de certaines milices de Tripoli
Mais en février 2022, à la suite d’élections bâclées tenues deux mois plus tôt, l’accord entre les deux parties pour remplacer le gouvernement du Premier ministre Abdulhamid Dabaiba, basé à Tripoli, échoue. L’administration de Tobrouk a alors demandé à Fathi Bashagha de former un gouvernement parallèle, et le pays s’est trouvé à nouveau avec deux régimes distincts, en conflit. En mars de cette année, le gouvernement de Tobrouk a remplacé Bashagha par son ministre des Finances, Osama Hamad, à titre d’intérimaire.
Les Libyens et leurs soutiens étrangers n’ont pas réussi à s’accorder au sujet de la réunification du gouvernement. Faut-il de nouvelles élections, un accord de partage du pouvoir ou une nouvelle constitution ? Les Nations unies insistent pour que soient d’abord organisées des élections, comme le prévoit la résolution 2656 (2022) du Conseil de sécurité des Nations unies. Il existe également de fortes divergences sur qui devrait diriger les efforts de réunification : les assemblées rivales, les principaux acteurs politiques sur le terrain ou un nouveau forum dirigé par les Nations unies ?
Le comité 6 + 6, créé pour rédiger une loi électorale, a affirmé avoir résolu des différends clés comme ceux concernant l’ordre à respecter pour la tenue des élections présidentielles et parlementaires et au sujet des conditions d’éligibilité des candidats à la présidence. Ces questions avaient fait échouer les élections de 2021. Les administrations de Tobrouk et de Tripoli restent ainsi divisées sur certains points, bien qu’elles se soient mises d’accord sur l’installation d’un gouvernement intérimaire avant les élections.
La résistance probable de Dabaiba à toute manœuvre visant à l’évincer sans élections est peut-être l’obstacle le plus redoutable à ce plan, alors qu’il s’est jusqu’à présent accroché avec ténacité au poste de Premier ministre. Les affrontements du mois d’août ont semblé renforcer ces craintes, suggérant que la faction de Dabaiba s’opposait effectivement au plan du comité 6 + 6.
L’opposition de l’ONU et des pays occidentaux à un gouvernement intérimaire pourrait évoluer
Un soutien international au plan est également indispensable. Or, l’opposition des Nations Unies et des pays occidentaux semble inéluctable, même si certains signes indiquent que leur position pourrait évoluer.
S’adressant au Conseil de sécurité de l’ONU le 22 août, l’envoyé spécial des Nations unies pour la Libye, Abdoulaye Bathily, a déclaré qu’il « est impératif d’avoir un gouvernement unifié, accepté par les principaux acteurs, pour mener le pays à des élections ». Cependant, dans une annonce rendue publique cette semaine, son bureau indique que la question d’un « gouvernement unifié pour conduire le pays aux élections et clore le chapitre des gouvernements intérimaires » restait litigieuse.
Riccardo Fabiani, directeur de l’International Crisis Group pour l’Afrique du Nord, a déclaré à ISS Today que la déclaration de Bathily était une « allusion à l’idée [d’un gouvernement intérimaire d’abord], mais pas un soutien inconditionnel ». Il a précisé que les affrontements entre milices à Tripoli au mois d’août, les inondations qui ont tué des milliers de personnes à Derna le mois dernier, les divisions croissantes au sein du gouvernement de l’Est et le faible soutien de la communauté internationale étaient autant d’éléments qui compromettaient la perspective d’un gouvernement intérimaire.
Silvia Colombo, spécialiste de la Libye et de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) au Collège de défense de l’OTAN à Rome, a déclaré à ISS Today qu’il semblait y avoir une convergence croissante, tant en interne qu’à l’internationale, quant à la mise en place d’un gouvernement intérimaire avant la tenue d’élections.
« Ce n’est cependant pas en soi une garantie que ce gouvernement verra le jour. Si c’est le cas, ce pourrait être un pas en avant par rapport à l’impasse politique et institutionnelle dont souffre la Libye depuis près de deux ans. Mais ce gouvernement aura-t-il suffisamment de pouvoir et de légitimité pour organiser des élections qui ne peuvent pas être reportées indéfiniment ? L’ONU aura peu d’influence en ce sens.
» Plus que jamais, cette question est entre les mains des Libyens. Ceci est d’autant plus vrai si on tient compte du contexte régional et de ce qui se passe actuellement en Israël et en Palestine. »
Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria
Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.
Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.