Les femmes ont un rôle vital dans le processus de réintégration au Cameroun

Malgré leur compréhension de l’inquiétude des communautés concernant les anciens membres de Boko Haram, les femmes sont peu nombreuses à être formellement impliquées dans la réintégration.

Au Cameroun, les femmes doivent être impliquées dans les actions visant à encourager la défection des membres de Boko Haram et leur réintégration dans les communautés. De nombreuses femmes ont fait partie du groupe terroriste. Dans les départements de Diamaré et le Mayo-Sava, dans l’Extrême-Nord du pays, la proportion de femmes parmi les anciens membres atteint respectivement 46,7 % et 40 %, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Les femmes des communautés touchées par l’extrémisme violent comprennent souvent les besoins de ces anciens membres de Boko Haram. Elles connaissent également les préoccupations des communautés d’accueil à l’égard des processus de réintégration. Cette compréhension peut éclairer la programmation nationale et régionale sur les processus de paix en reflétant la sensibilité au genre et en incluant cette dimension.

Ces derniers mois, les femmes ont joué un rôle de premier plan dans les manifestations publiques contre Boko Haram : elles ont pris la parole, organisé des sit-in et des marches. Elles ont été nombreuses à participer aux manifestations, notamment dans les départements de Mayo-Sava et de Mayo-Tsanaga. À Mayo-Tsanaga, en mai, des centaines de personnes ont marché près de 70 kilomètres pour protester devant le bureau du gouverneur. À certains moments, elles ont été plus nombreuses que les hommes, réclamant une meilleure protection contre Boko Haram.

Certains manifestants interrogés par l’Institut d’études de sécurité ont souligné leurs inquiétudes quant à la réintégration d’anciens extrémistes violents. Ils craignaient que la cohésion sociale ne soit sapée par des membres de la communauté auparavant associés à Boko Haram. Ces anciens membres ont été intégrés dans plusieurs quartiers sans aucune forme de procès ni de protocoles de démobilisation et de déradicalisation.

Dans le Mayo-Tsanaga, 93,5 % de la population pense que les communautés d’accueil ne sont pas en bons termes avec les anciens membres ou les anciens combattants en raison de la douleur causée par les atrocités infligées par Boko Haram. Ils estiment que cela complique la réconciliation.

Un nombre considérable d’anciens membres de Boko Haram sont des femmes

Les femmes savent ce qu’il faut faire, malgré les difficultés auxquelles elles sont confrontées en raison de la perte de vies, de moyens de subsistance et de conjoints, des déplacements massifs et du risque de violence sexuelle. Cette prise de conscience fait d’elles des éléments précieux dans le processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration.

Pourtant, de manière générale, les femmes ne sont pas perçues comme ayant une importance particulière dans la planification et la mise en œuvre de ces programmes ni dans les processus de consolidation de la paix et de cohésion sociale. Il est rare que leur contribution soit reconnue comme étant celle d’expertes, malgré les preuves de leur apport précieux en matière de résolution des conflits. En tant que telles, les femmes doivent participer aux efforts de paix à l’échelle locale et au désengagement et à la réintégration des anciens terroristes.

Une autre série de préoccupations concernant les femmes ayant quitté les rangs de l’organisation terroriste mérite l’attention. Lorsqu’elles rentrent chez elles, certaines sont maltraitées par leur famille ou par leur communauté. Elles sont stigmatisées lorsqu’elles essaient de se remarier et il arrive qu’elles soient purement et simplement rejetées. Au Cameroun, selon l’OIM, les maltraitances sont plus nombreuses chez les anciens membres de Boko Haram de sexe féminin que chez les hommes. Si l’on n’y remédie pas, cela peut entraver les efforts de réintégration.

Au-delà de l’identification des besoins des femmes qui ont quitté Boko Haram, dans quelle mesure les femmes, en général, sont-elles impliquées dans les processus de politique et de programmation ?

Les femmes sont rarement reconnues comme expertes, malgré leur précieuse contribution à la résolution des conflits

Le nombre de femmes au sein du Comité national de désarmement, démobilisation et réintégration (CNDDR) du Cameroun est insuffisant. Le Comité comprend un conseil de direction, une coordination nationale et des centres régionaux. Son conseil de direction est dirigé par le Premier ministre et comprend 16 membres, dont une seule femme. Aucune femme ne figure parmi les cinq fonctionnaires de la coordination nationale et des centres régionaux.

Cependant, il existe des opportunités au niveau national visant à étendre la participation des femmes. La Convention nationale des femmes pour la paix au Cameroun est une initiative de plusieurs organisations de femmes dans les dix régions du pays, soutenue par le ministère de la Promotion de la femme et de la Famille. Il s’agit d’une tentative des femmes pour assurer leur participation égale et constante au sein des processus de médiation et de négociation, conformément à la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies.

Ce type d’initiative doit être encouragé. En outre, le décret de 2018 portant création de la CNDDR devrait être modifié afin que les femmes puissent s’impliquer davantage dans la gestion des centres de désarmement, de démobilisation et de réintégration. Elles doivent notamment jouer un rôle dans la conception des programmes destinés aux femmes anciens membres de Boko Haram. La promulgation de ces lois gagnerait du terrain si le ministère de la Justice collaborait avec les ministères de la Promotion de la femme et de la Famille, et des Affaires sociales.

Au niveau régional, la stratégie de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) devrait mettre davantage l’accent sur les besoins spécifiques des femmes. Le pilier 3 de la stratégie, à savoir désarmement, démobilisation, réadaptation, réinsertion et réintégration, fournit déjà un cadre de mise en œuvre. Le pilier 9 attire l’attention sur l’autonomisation et l’inclusion des femmes et des jeunes.

Les femmes connaissent les préoccupations des communautés d’accueil concernant les processus de réintégration

Les femmes doivent être davantage impliquées à l’échelle nationale et régionale. Les efforts déployés par la régionale des femmes sur la réforme du secteur de la sécurité et la gouvernance pourraient également être pris en compte. Il faut encourager l’échange d’expériences et des bonnes pratiques entre les pays du bassin du lac Tchad lors de réunions telles que le Forum des gouverneurs de la CBLT, dont l’ordre du jour devrait mettre en évidence les thèmes qui accordent la priorité aux besoins des femmes.

L’implication des femmes dans le processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration du Cameroun rendrait plus efficace la résolution des conflits et la consolidation de la paix. En traitant les questions liées au genre, les problèmes de discrimination peuvent également être abordés.

Célestin Delanga, consultant à ISS, et Akinola Olojo, chef de projet, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad, Dakar

Image : © Global Water Partnership Central Africa

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