Les femmes au cœur de Boko Haram et de la katiba Macina

L’association volontaire ou forcée de femmes aux groupes extrémistes violents offre à ces derniers des avantages stratégiques et opérationnels importants.

Les femmes jouent des rôles multiples et complexes pour les groupes extrémistes violents au Mali et au Niger. Elles représentent des ressources humaines stratégiques pour ces groupes, comme le démontrent des travaux de recherche menés par l’Institut d’études de Sécurité (ISS).

Les politiques de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent au Mali et au Niger reposent sur des a priori peu confirmés par la recherche. Elles mettent notamment un accent particulier sur la création d'activités génératrices de revenus comme solution pour prévenir et contrer l’implication des femmes dans les groupes.

Or, pour limiter l'association des femmes à ces groupes, il est important de comprendre les raisons pour lesquelles elles sont recrutées et les raisons de leur adhésion.

Des entretiens menés avec des femmes associées à Boko Haram, dans la région de Diffa au Niger, et à la katiba Macina, dans les régions de Mopti et Ségou au Mali, révèlent notamment que les femmes participent à la survie des groupes, facilitent leur implantation au sein des communautés et contribuent activement à la conduite de leurs opérations.

Alors que certaines femmes ont été enrôlées de force, contraintes de collaborer ou ont collaboré à leur insu avec Boko Haram ou la katiba Macina, d’autres ont rejoint ou collaboré avec ces groupes de leur plein gré. Ces associations volontaires défient les stéréotypes traditionnels selon lesquels la violence est une prérogative masculine et contredisent aussi l’idée répandue selon laquelle les femmes associées aux groupes le seraient essentiellement sous l’effet de la contrainte.

Les femmes jouent des rôles multiples et complexes pour les groupes extrémistes violents au Mali et au Niger

Certaines femmes ont collaboré avec la katiba Macina pour se protéger contre l'insécurité alimentée en partie par les groupes extrémistes violents dans leurs localités. L'étude met également en évidence des cas où quelques femmes ont collaboré avec le groupe pour protéger leurs activités génératrices de revenus.

D’autres femmes ont collaboré volontairement avec la katiba Macina pour venger la mort de membres de leur famille survenue à la suite d’exactions qui auraient été perpétrées par les Forces armées maliennes, pendant des opérations militaires, ou des groupes de chasseurs traditionnels.

Au Niger, certaines femmes interviewées ont rejoint Boko Haram dans l’espoir de trouver un mari au sein du groupe et d’autres y ont suivi de plein gré leur époux, un prétendant, leurs parents ou leurs enfants. Dans quelques cas, des femmes ont rejoint Boko Haram pour des motivations religieuses, dont l’accès à une éducation religieuse ou la volonté de faire le djihad. Ces cas apparaissent néanmoins minoritaires, contrairement aux idées reçues qui assignent une place prépondérante aux motivations religieuses dans les mécanismes d'enrôlement des femmes.

L’emploi récurrent des femmes comme kamikaze par Boko Haram au Niger augmente leur visibilité dans les fonctions opérationnelles. Les femmes associées à la faction d’Abubakar Shekau seraient entraînées au maniement d’armes à feu et au tir à l’arc, pour apporter un appui pendant les opérations militaires. Elles jouent en outre le rôle d’armurières, ou sont déployées pour des missions kamikazes.

Bien que la plupart des cas documentés de missions kamikazes perpétrées par des femmes relèvent de la contrainte, certaines se porteraient volontaires pour s’évader du groupe, rejoindre au paradis leur conjoint mort au combat, ou par conviction religieuse.

Au Mali, les femmes n’apparaissent que peu dans des rôles combattants même si les femmes entretiennent des liens avec les groupes

Au Mali, en revanche, les femmes apparaissent peu dans des rôles de combat, même si elles entretiennent des liens avec les groupes. Le Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans (GSIM), coalition dont la katiba Macina est membre, a d’ailleurs nié la participation de femmes à ses opérations et combats. En effet, les femmes ne sont généralement pas physiquement présentes dans les camps de la katiba Macina. Cependant, les données issues des recherches de ISS indiquent qu’elles assurent des rôles plus discrets, mais non moins importants, en appui aux opérations du groupe.

L’association volontaire ou forcée des femmes offre à la katiba Macina et à Boko Haram des avantages stratégiques et opérationnels importants. Ces groupes recourent aux femmes pour diverses raisons qui dépendent et évoluent en fonction de leurs stratégies, leurs besoins et le contexte dans lequel ils opèrent.

Premièrement, les femmes permettent à Boko Haram et à la katiba Macina de grossir leurs rangs. D’une part, en tant qu’épouses de membres masculins de ces groupes, elles assument des fonctions reproductives qui permettent le renouvellement générationnel du groupe et sont chargées d’élever les enfants. D’autre part, elles représentent pour ces groupes un canal privilégié de recrutement au sein de leur famille et de leur communauté. Elles sont aussi utilisées comme appâts, notamment par Boko Haram, pour attirer des recrues masculines en quête de mariage.

Deuxièmement, les femmes permettent aux groupes de se procurer des moyens logistiques et financiers. La katiba Macina et Boko Haram font ainsi recours à elles pour se procurer des vivres, des médicaments, et d’autres produits de première nécessité. Elles participent également à la chaîne d’approvisionnement de matériels servant aux opérations des groupes, tels que l’engrais utilisé dans la fabrication d'engins explosifs improvisés. Elles font également office d’informatrices et d’éclaireuses avant les opérations militaires des groupes.

Enfin, les filles et les femmes enlevées par Boko Haram dans les pays du bassin du lac Tchad et par les groupes membres du GSIM sont utilisées comme monnaie d’échange pour la libération de leurs membres et pour générer des ressources financières par le biais de rançons. En octobre 2020, le GSIM aurait ainsi obtenu la libération d’une centaine de ses membres et le paiement d’une rançon en contrepartie de la libération de quatre otages.

Dans la majorité des cas de désertions documentés au Niger, les femmes ont quitté Boko Haram avec leurs maris

La recherche menée par l’ISS a aussi révélé que certaines femmes qui se sont associées aux groupes, y compris de leur propre initiative, en sont sorties. Pour celles initialement associées à Boko Haram, cette rupture était notamment motivée par la nécessité de se soustraire à un mariage forcé et abusif avec un membre du groupe, la désillusion, les conditions de vie déplorables au sein du groupe, ou encore la peur d’être tuées par des membres du groupe ou lors d’offensives militaires contre leurs positions.

Dans la majorité des cas documentés, les femmes qui quittent Boko Haram le font avec leurs maris. Dans certains cas, la désertion a aussi été facilitée par l’intervention d’acteurs externes tels que les parents proches ou les autorités traditionnelles et administratives.

Le Mali s'apprête à réviser sa politique nationale de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent et le terrorisme et le Niger finalise sa stratégie nationale de prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent. Ces processus se doivent de prendre en compte les diverses et complexes expériences des femmes en lien avec l’extrémisme violent.

D’abord, une meilleure compréhension des multiples dynamiques qui sous-tendent l’association et le désengagement des femmes des groupes extrémistes violents contribuerait à limiter l’association des femmes. Ensuite, une meilleure prise en compte dans ces politique de la place des femmes dans les stratégies d’implantation, de recrutement, d’opération et de mobilisation de ressources financières des groupes aiderait à affaiblir ces groupes à long terme.

Les efforts visant à limiter l'association des femmes à ces groupes doivent également tenir compte des liens entre les femmes et leurs proches masculins membres du groupe, qui jouent un rôle clé dans l’association des femmes à ces groupes. Par ailleurs, le renforcement de la résilience des femmes et des acteurs sociaux qui y contribuent au niveau communautaire devrait également être une priorité.

Enfin, ces acteurs qui préviennent et combattent l'extrémisme violent au niveau local doivent être protégés des représailles de ces groupes. Ce n'est qu'ainsi que l'association des femmes aux groupes extrémistes violents pourra être limitée.

Jeannine Ella Abatan, chercheuse principale, ISS Bureau régional de l'Institut d'études de sécurité pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad

Ce projet de recherche a été mené grâce au financement du Centre de recherches pour le développement international (CRDI), du Fonds pour les conflits, la stabilité et la sécurité du Royaume Uni (CSSF) et le Gouvernement du Danemark.

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