Les familles doivent être au cœur des recherches des disparus d’Afrique
Bien que les conflits armés soient la principale cause des disparitions, la migration est un facteur qui prend de l’ampleur.
Publié le 02 septembre 2021 dans
ISS Today
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Le nombre de personnes disparues en Afrique semble augmenter. À la fin du mois de juin 2021, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) avait recensé plus de 48 000 personnes portées disparues sur le continent, soit une augmentation de 4 000 personnes depuis juin 2020.
Ces chiffres ne représentent qu’une petite fraction du total. Au-delà des cas bien établis par le CICR et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), il n’existe aucune information fiable sur le nombre de personnes réellement disparues et sur la durée de leur disparition.
La plupart des disparitions enregistrées sont liées à des conflits armés, des situations de violence, des catastrophes naturelles et aux migrations. En effet, 82 % des cas de disparition enregistrés par le CICR, soit 39 360 personnes disparues, sont attribuées aux conflits armés qui prévalent dans sept pays africains.
Ces dernières années, les gouvernements et les organisations humanitaires ont intensifié leurs efforts pour retrouver et identifier les personnes disparues, prévenir ces disparitions et rétablir les liens familiaux. Cependant, le problème semble s’aggraver. Une façon de le résoudre serait de mettre en place une sensibilisation plus importante, une action mieux coordonnée et un échange d’informations.
Limiter le nombre de personnes portées disparues est essentiel. Pour le directeur régional du CICR pour l’Afrique, Patrick Youssef, cela passe par une meilleure collaboration entre les autorités nationales, les organisations non gouvernementales (ONG), les communautés et les acteurs humanitaires. Selon lui, il existe des initiatives dans la plupart des pays africains mais celles-ci ne sont pas toujours cohérentes.
82 % des disparitions enregistrées par le CICR sont dues aux conflits armés dans 7 pays africains
La résolution récente de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) sur les migrants et réfugiés disparus et les conséquences sur leurs familles pourrait se révéler utile. Maya Sahli-Fadel, rapporteuse spéciale de la CADHP sur les réfugiés, les demandeurs d’asile, les migrants et les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, a déclaré à ISS Today qu’il était important que la Commission prenne l’initiative sur cette question.
D’après elle, il faut avant tout que davantage de pays africains ratifient la Convention internationale de 2006 pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Elle déplore la lenteur des ratifications et des adhésions : en effet, il a fallu près de quatre ans pour obtenir les 20 ratifications nécessaires à l’entrée en vigueur de la Convention. Sur les 98 pays qui l’ont signée, seuls 64 l’ont ratifiée (dont 18 pays africains).
Les conflits armés et la violence sont la principale raison derrière la disparition des personnes. Toutefois, la migration est une cause de plus en plus observée et qui constitue, selon Mme Sahli-Fadel, une préoccupation majeure. Un nombre croissant de migrants empruntent des itinéraires périlleux, en raison de la diminution des possibilités de migration légale, tant à l’intérieur du continent africain que vers l’extérieur. Et pour des raisons diverses, ils perdent le contact avec leurs familles et leurs proches.
Certaines personnes qui font l’objet d’un trafic ou d’une traite transfrontalière sont arrêtées et détenues sans accès au monde extérieur. D’autres ne souhaitent pas contacter leur famille avant que leur situation ne s’améliore ou que leur statut d’immigration ne soit légalisé. Ne pas vouloir exposer les proches à des enquêtes ou à des difficultés avec les autorités et les réseaux criminels est une façon pour elles de protéger les êtres qui leurs sont chers.
Laissées sans aucune nouvelle, les familles continuent de les chercher. Beaucoup craignent que leurs proches soient morts, et les risques sont en effet élevés. Près de 1 300 migrants sont morts en tentant de traverser la Méditerranée de l’Afrique vers l’Europe entre le 1er janvier et le 31eme août de cette année. Sur les autres routes migratoires africaines, l’OIM avait enregistré, au 31 août, 513 décès en 2021.
De plus en plus de migrants empruntent des itinéraires périlleux, en raison de la diminution des voies de migration légale, aussi bien en Afrique que vers l’extérieur
Lors d’un séminaire conjoint entre le CICR et l’Institut d’études de sécurité (ISS) organisé le 30 août à l’occasion de la Journée internationale des personnes disparues, Mame Bara Ndoye, secrétaire général de l’Association sénégalaise des familles de migrants disparus, a affirmé qu’il était essentiel pour de nombreuses personnes de connaître le sort de leurs proches disparus.
Étant donné que la plupart des disparus sont des hommes, il a indiqué que de nombreuses familles laissées pour compte étaient dirigées par des femmes. Dans des sociétés profondément patriarcales, cela entraîne des difficultés en matière de remariage, de divorce et de garde des enfants, ont indiqué des sources au CICR.
Ces difficultés sont également évidentes au Cameroun, au Soudan du Sud et au Niger. Le Dr Maman Aminou A. Koundy, conseiller auprès de la Cour d’appel de Niamey au Niger, a déclaré que le rôle des services de sécurité et du système judiciaire était essentiel. Il a souligné qu’il était nécessaire que les gouvernements assurent efficacement la délivrance des documents d’identité et de voyage, la documentation des migrations et la recherche des personnes disparues.
Les représentants gouvernementaux présents au séminaire du CICR et de l’ISS partagent ce point de vue. M. Crispen Lifa, commissaire adjoint de la police zimbabwéenne, a appelé à une coordination entre les polices au niveau régional et par le biais d’Interpol dans la recherche des personnes disparues. Au-delà de l’État, a-t-il ajouté, les agents communautaires devraient être formés à l’importance du partage des informations pour aider à localiser les personnes disparues.
Si les contextes diffèrent, ce sont toujours les cinq mêmes ingrédients qui sont nécessaires à la réussite de ce travail, selon un nouveau rapport de l’ISS et du CICR sur les personnes portées disparues en Afrique.
Les gouvernements doivent reconnaître que ces disparitions sont une tragédie et répondre aux besoins multiples des familles
Premièrement, les familles ont un rôle central à jouer. Les autorités doivent les soutenir et fournir des évaluations et des réponses individuelles. Pour ce faire, les gouvernements doivent reconnaître la tragédie que représentent les disparitions et répondre aux multiples besoins de leurs familles.
Deuxièmement, la prévention et les mesures d’intervention précoce sont nécessaires pour résoudre les cas en suspens.
Troisièmement, il est essentiel de se doter de lois fortes et de protocoles efficaces, ce qui implique que les personnes disparues et leurs familles doivent être reconnues par le droit national. Selon les circonstances, il faut délivrer efficacement des certificats de décès ou d’absence, et assurer les services d’un système médicolégal doté de ressources adéquates et d’un personnel bien formé.
Quatrièmement, les autorités devraient envisager de créer des mécanismes et des bases de données à l’échelle nationale et régionale sur les personnes disparues afin de mieux connaître leur sort et savoir où elles se trouvent.
Enfin, pour les personnes disparues dans le contexte de la migration, le déploiement d’efforts intergouvernementaux engagés par les pays des routes migratoires est essentiel. Il est également nécessaire de mettre en place des procédures de recherche et d’identification des migrants disparus, ainsi que des protocoles d’échange d’informations et de coordination.
Ces cinq mesures s’appuient sur l’idée que l’Afrique doit s’attaquer au sort des personnes portées disparues et de leurs familles, et que les États doivent mener cet effort.
Ottilia Anna Maunganidze, cheffe des projets spéciaux, ISS Pretoria
Cet article est financé par la Fondation Hanns Seidel (FHS). Les opinions et déclarations contenues dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles du FHS.
Cet article fait partie d’une collaboration avec le CICR sur les personnes disparues.
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