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Les États-Unis resserrent les liens avec l’Angola

Si les deux pays y trouvent leur compte, il s’agit clairement pour les États-Unis de concurrencer la Chine et la Russie en Afrique australe.

À quelques mois de la fin de son mandat, le président des États-Unis, Joe Biden, qui devait se rendre en Angola du 13 au 15 octobre, a dû reporter son voyage en raison du passage de l’ouragan Milton sur la côte ouest de la Floride. Aucune nouvelle date n’a été fixée à ce jour.

Il s’agirait à la fois de la seule visite de Joe Biden en Afrique au cours de sa présidence, de la première visite d’un président des États-Unis en Angola et de la première visite présidentielle en Afrique depuis celle de Barack Obama en 2015. Pourquoi celle-ci ne concerne-t-elle qu’un seul pays, l’Angola, contrairement aux habituelles tournées africaines ?

En mars, la visite d’État du président angolais João Lourenço en Chine a permis d’élever les relations entre les deux pays au rang de « partenariat stratégique global de coopération ». Ajoutées à celles du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en Angola en 2018 et en 2023, ces rencontres révèlent une évolution du paysage géopolitique que les États-Unis sont désireux de réintégrer. La visite du secrétaire d’État américain Antony Blinken en janvier et le voyage prévu de Joe Biden marquent d’importants engagements de haut niveau.

Malgré les liens historiques de l’Angola avec la Russie, notamment le soutien soviétique au Mouvement populaire de libération de l’Angola pendant la guerre civile, et les relations économiques étroites que le pays entretient avec la Chine, des signaux récents semblent indiquer un changement. L’abstention de l’Angola aux Nations unies sur la question de la guerre entre la Russie et l’Ukraine et le vote ultérieur contre la Russie reflètent le libre-arbitre  croissant du pays en politique étrangère et un alignement potentiel sur les efforts américains pour contrer l’influence russe.

Sur le plan économique, la visite du Président Biden devrait se concentrer sur le projet du corridor de Lobito, qui pèse plusieurs milliards de dollars. Le projet vise à réhabiliter une voie ferrée de 1 300 km reliant la ceinture de cuivre d’Afrique centrale, riche en minerais, qui s’étend de la Zambie à la République démocratique du Congo (RDC), jusqu’au port angolais de Lobito.

Le corridor de Lobito et la ligne ferroviaire de Tazara
Le corridor de Lobito et la ligne ferroviaire de Tazara

Source : ISS

 

En décembre 2023, Joe Biden a qualifié le corridor de Lobito de « plus grand investissement ferroviaire américain jamais réalisé en Afrique », avec des coûts estimés entre un et deux milliards de dollars. Ce projet pourrait considérablement améliorer la capacité de la région à répondre à la hausse de la demande mondiale en ressources critiques, notamment en cuivre et en cobalt, stimulée par l’industrie des semi-conducteurs et le secteur en pleine croissance de l’intelligence artificielle.

L’annonce de Joe Biden fait suite à la visite de la vice-présidente américaine Kamala Harris en Zambie en mars 2023, lieu de départ du corridor de Lobito. Elle souligne l’attention grandissante portée à ces pays souvent négligés.

Si le corridor promet des avantages économiques à long terme, son impact immédiat sur les moyens de subsistance des Angolais ordinaires – dont un sur trois vit dans une grande pauvreté – est incertain. Florindo Chivucute, directeur exécutif de Friends of Angola, a déclaré à ISS Today que que le corridor devrait créer davantage d’emplois, mais que « l’avenir nous le dira ».

Les États-Unis ne devraient pas céder sur la défense des libertés civiles et des droits humains

Des considérations sécuritaires ont également rapproché les États-Unis et l’Angola. Le retrait de deux bases militaires américaines au Niger coïncide avec une présence plus importante dans le Sahel de la société russe Africa Corps et avec les inquiétudes suscitées par l’initiative de sécurité globale de la Chine. Le général Michael Langley, du commandement américain pour l’Afrique, a souligné la nécessité de forger des partenariats pour « garantir un accès stratégique » et contrer les campagnes de désinformation menées par des rivaux comme la Russie.

En 2020, la Russie et la Chine étaient les principaux fournisseurs d’armes de l’Angola. Dans ce contexte, les visites de Langley en Angola en novembre 2022 et du secrétaire à la Défense Lloyd Austin en septembre 2023 indiquent que l’Angola est bien un allié émergent des États-Unis sur le continent en matière de sécurité. La réorientation des États-Unis vers des partenaires d’Afrique australe et d’Afrique de l’Est correspond aux engagements récents au Kenya, qui a été élevé au rang d’allié majeur non membre de l’OTAN.

D’abord peu importante, l’aide militaire des États-Unis à l’Angola augmente. Entre 2020 et 2023, les obligations en matière d’aide militaire ont dépassé 21 millions de dollars, bien que seulement 4,28 millions de dollars aient été décaissés. Le soutien à la formation militaire, à la sécurité maritime, au déminage humanitaire, au maintien de la paix et à la capacité en cybersécurité devrait également croître, en particulier à mesure que le rôle de l’Angola dans l’est de la RDC se développe.

 

L’influence régionale continue de la Chine est également un facteur de renforcement des liens entre les États-Unis et l’Angola. Un accord visant à réhabiliter la Tanzania Zambia Railway Authority (TAZARA) a été signé lors du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) de septembre 2024. Il y a 48 ans, la Chine achevait la construction du chemin de fer TAZARA, long de 1 800 km, qui relie la Zambie au port de Dar es Salaam (voir carte).

Peu après le FOCAC, Blinken a riposté en annonçant que la Tanzanie s’était jointe aux discussions sur le corridor de Lobito. On ne sait pas comment un chevauchement entre les efforts américains et TAZARA sera évité, ce qui souligne la rivalité entre les deux puissances.

L’Angola est le quatrième exportateur africain de pétrole brut vers les États-Unis. Cependant, seulement 1,9 % de son pétrole brut est destiné aux États-Unis, alors que 54 % est exporté vers la Chine. L’influence de la Chine reste importante, tout comme sa participation dans l’une des entreprises du corridor de Lobito, Mota-Engil. Néanmoins, les ressources énergétiques et minérales de l’Angola sont cruciales pour les États-Unis, comme l’a souligné la participation du secrétaire adjoint aux Ressources énergétiques, Geoffrey Pyatt, au Dialogue sur la sécurité énergétique entre les États-Unis et l’Angola en juin.

Le corridor de Lobito fait partie du Partenariat pour l’investissement dans les infrastructures mondiales, considéré comme une réponse américaine directe à l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie. Le corridor et la réhabilitation de TAZARA sont un moyen de relier l’Afrique d’est en ouest, mais ils reflètent également la concurrence entre les États-Unis et la Chine pour l’influence et l’accès aux richesses minérales africaines.

Lourenço a l’occasion de réaffirmer les priorités et la place de l’Angola dans le monde

L’engagement graduel de l’Angola auprès des États-Unis reflète l’objectif de Lourenço de diversifier les partenariats internationaux, surtout si l’on considère la dette importante du pays à l’égard de la Chine. Toutefois, cette diversification est principalement motivée par des considérations économiques et n’est peut-être pas un véritable engagement à lutter contre la corruption ou à promouvoir la démocratie, estime Chivucute. Il cite les préoccupations croissantes concernant les législations qui limitent l’espace démocratique, comme le projet de loi sur le vandalisme.

À l’échelle régionale, les États-Unis ont soutenu l’émergence de l’Angola en tant qu’acteur africain clé, notamment comme chef de file du processus de Luanda, dont le but est de résoudre les tensions entre le Rwanda et la RDC.

La visite planifiée de Joe Biden représente une avancée stratégique dans les relations entre les États-Unis et l’Angola, en leur offrant des avantages substantiels. Toutefois, les États-Unis poursuivent clairement des intérêts géopolitiques majeurs contre la domination de la Chine et de la Russie en Afrique australe.

Si les perspectives économiques semblent prometteuses pour les Angolais, certains s’inquiètent des compromis que pourraient faire les États-Unis concernant la défense des libertés civiles et des droits humains en Angola, dans leur tentative de surpasser la Chine.

Lourenço a l’occasion de tirer parti des intérêts de ces puissances concurrentes au profit de l’Angola. La visite de Joe Biden permettra à ce dernier de réaffirmer ses priorités et sa place dans le monde, marquant ainsi une rupture importante avec la politique étrangère plus discrète de l’ancien président José dos Santos.

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