Les errements du gouvernement entretiennent le conflit au Soudan du Sud

Le seul espoir d’empêcher la reprise du conflit est de mettre en place les mécanismes de justice transitionnelle prévus par l’accord de paix.

Un an après la formation d’un gouvernement d’unité nationale de transition au Soudan du Sud, les progrès pour ramener la paix et la stabilité dans le pays sont bien maigres. Malgré la réaffirmation de l’engagement politique en faveur de l’Accord revitalisé de 2018 sur le règlement du conflit en République du Soudan du Sud (l’accord de paix), la Commission des droits de l’homme des Nations Unies dans le pays fait état d’un niveau de violence « stupéfiant ».

Le Soudan du Sud est depuis deux ans le théâtre de violations continues des droits humains et d’attaques visant la société civile, avec une intensification des violences intercommunautaires nourrie par des litiges sur l’accès aux terres et des griefs passés. Les rivalités pour les ressources foncières dans les régions de Yei, Nimule et Juba constituent l’un des moteurs de ces violences dans un pays où les terres, les réparations et la justice transitionnelle sont des questions intrinsèquement liées.

D’après une enquête menée en 2014 par l’Union africaine (UA), les litiges fonciers portant notamment sur la propriété, l’occupation et l’utilisation des terres faisaient partie des griefs accumulés. Cette enquête avait conclu à la nécessité d’intégrer une réforme foncière dans les processus de justice transitionnelle. Pourtant, l’accord de paix de 2018 n’aborde pas le sujet des terres dans son cadre de justice transitionnelle.

Un récent rapport de l’Institut d’études de sécurité (ISS) se penche sur cet oubli. Il présente les points de vue des citoyens et propose des voies de recours sur les questions foncières dans le cadre de la reconstruction du Soudan du Sud après la guerre.

Malgré de grands espoirs, la mise en place des institutions de justice transitionnelle a peu progressé

Or, le problème central est que la Commission de vérité, de réconciliation et d’apaisement et l’Autorité de compensation et de réparation n’ont pas été mises en place comme prévu. Et le protocole d’accord avec l’UA visant à créer une Cour hybride pour le Soudan du Sud n’a pas été signé non plus.

Ces trois mécanismes, prévus au chapitre V de l’accord de paix, ont été conçus pour répondre aux graves violations passées et actuelles des droits humains, traduire leurs auteurs en justice et octroyer aux Sud-Soudanais des réparations pour les préjudices subis pendant les années de conflit.

Malgré les grands espoirs qu’avait suscités l’inclusion des processus de justice transitionnelle dans l’accord de paix, la mise en place de ces institutions a peu progressé. Et ce n’est pas le seul domaine en stagnation : l’élaboration de la Constitution est également au point mort depuis un an, de même que les réformes économiques et du secteur de la sécurité. Cette situation pourrait entraîner une résurgence du conflit national, avec à la clé des milliers de victimes supplémentaires.

La pandémie de COVID-19 a exacerbé la crise humanitaire et intensifié encore les déplacements de population, l’insécurité alimentaire et le manque d’accès à l’aide. Les pénuries alimentaires et les inondations permanentes sont trop lourdes à gérer pour le gouvernement de transition.

La mise en place des trois mécanismes de justice transitionnelle est le seul espoir d’éviter la reprise du conflit

La réaction des autorités à court et moyen terme aura un impact significatif sur la sécurité et le paysage politique du pays. Le seul espoir d’empêcher la reprise du conflit est de mettre en place les trois mécanismes de justice transitionnelle.

L’absence de ces institutions témoigne du peu de volonté politique à instaurer la justice et la réconciliation. Les responsables des violences et de l’insécurité ont bien reçu le message : ils peuvent continuer en toute impunité à déstabiliser le pays à leurs propres fins.

Le gouvernement de transition du Soudan du Sud devrait s’appuyer sur les points de repère établis pour organiser et mesurer la mise en œuvre de l’accord de paix revitalisé. Une première étape essentielle consiste à former une assemblée législative nationale de transition. Cet organe sera responsable des réformes constitutionnelles et législatives nécessaires à la mise en œuvre de l’accord de paix, y compris l’adoption des lois nationales qui rendront la Cour hybride opérationnelle.

Tous les signataires de l’accord de paix doivent remédier d’urgence aux retards volontairement pris dans la signature du protocole d’accord avec l’UA sur la création de la Cour hybride. La Cour aurait dû voir le jour un an après l’entrée en vigueur de l’accord de paix. Or, le gouvernement du Soudan du Sud montre peu d’entrain sur la question.

Il faut remédier aux retards volontairement pris dans la signature du protocole d’accord avec l’UA sur la Cour hybride

Les parties à l’accord de paix doivent effectuer des déclarations communes sur les actions qu’elles ont menées pour assurer sa mise en œuvre. Il faudrait également diffuser un guide de la justice transitionnelle pour permettre au public de participer au processus. L’étape suivante consiste à organiser des discussions locales sur la paix et la réconciliation pour faire suite aux résultats et aux recommandations de la conférence de dialogue national qui s’est achevée en novembre 2020.

L’UA et les signataires de l’accord de paix, en particulier les États membres de l’Autorité intergouvernementale pour le développement, doivent redoubler d’efforts pour atteindre les objectifs de l’accord. Ces progrès montreraient l’engagement du gouvernement et redonneraient espoir aux victimes dans le pays. En tant qu’interlocutrice de la Cour hybride, l’UA peut utiliser sa politique de justice transitionnelle pour guider le processus.

Le temps presse cependant. Un an s’est écoulé depuis la formation du gouvernement d’unité nationale, et il reste moins de deux ans avant la fin de la période de transition. Les processus de justice transitionnelle stagnent. Seul un effort concerté de l’UA et du gouvernement peut empêcher de nouvelles violences au Soudan du Sud. 

Lire le rapport complet de l’ISS sur les terres et la justice réparatrice au Soudan du Sud (en anglais).

Allan Ngari, coordonnateur de l’Observatoire régional du crime organisé d’ENACT pour l’Afrique de l’Ouest et Maram Mahdi, chargée de recherche, Programme Bassin du lac Tchad

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Crédit Photo : UNMISS

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