Les élections de novembre au Tchad peuvent-elles éviter la contestation ?
Les prochaines élections consacreront le retour du Tchad à l’ordre constitutionnel, pourvu qu’elles soient crédibles et transparentes.
Publié le 09 septembre 2024 dans
ISS Today
Par
Remadji Hoinathy
chercheur principal, Afrique centrale et bassin du lac Tchad, ISS
Manatouma Nicodème Kelma
chercheur principal, Centre de recherche en anthropologie et sciences humaines, N'Djamena, Tchad
Après la mort du président Idriss Deby, son fils a pris la tête du Conseil militaire de transition au Tchad en mai 2021. Une nouvelle Constitution, adoptée par référendum en décembre 2023, a conduit à des élections présidentielles en mai 2024. Cependant, ni le référendum ni les élections ne se sont déroulés sans heurts. Des partis d'opposition et des organisations de la société civile les ont critiqués et boycottés pour leur manque de crédibilité et de transparence.
Plusieurs leçons peuvent en être tirées pour garantir un processus électoral apaisé et représentatif et, espérons-le, un retour à l'ordre constitutionnel lors des élections législatives et locales, prévues le 25 novembre.
Le référendum et l'élection présidentielle ont été marqués par de vives tensions politiques, des insuffisances techniques et des ressources inadéquates, des controverses sur la composition des organes électoraux et l'absence d'observateurs électoraux indépendants.
Les dissensions politiques qui ont émaillé le référendum ont reflété les difficultés profondes du processus de transition. Elles concernaient notamment l'épineuse question de l'éligibilité des autorités de transition, de la forme de l'État et de la mort de plus de 200 manifestants en octobre 2022. Les mêmes questions ont entaché l'élection présidentielle, exacerbées par la mort, le 28 février, du chef de l'opposition Yaya Dillo Djérou Betchi.
L'élection présidentielle s'est déroulée sans la participation d'observateurs indépendants crédibles
Malgré ces conflits et les manifestations publiques qui ont suivi, le gouvernement a poursuivi la mise en place de l'Agence nationale de gestion des élections (ANGE) et du Conseil constitutionnel, ignorant ainsi les appels de l'opposition et de la société civile à engager des discussions sur le processus électoral.
La controverse majeure a porté sur la formation des organes électoraux, compromettant ainsi la tenue d’élections libres et transparentes. La composition de la Commission nationale qui a organisé le référendum a été critiquée parce qu'elle est contrôlée par les autorités de transition et le Mouvement patriotique du salut, l'ancien parti au pouvoir. La même critique s’applique à l'ANGE et au Conseil constitutionnel dont l’indépendance, garantie sur le papier, compte des membres proches du gouvernement et du parti au pouvoir.
Des insuffisances techniques ont affecté la révision des listes électorales et le déroulement du scrutin. Avant le référendum, un audit du système électoral réalisé à l'initiative du gouvernement a mis en évidence son obsolescence, requérant une mise à niveau du système pour garantir des élections crédibles.
Bien que les autorités l'aient jugée nécessaire, la mise à jour des listes électorales a été mal gérée. En raison d'une mauvaise planification, les délais pour l'inscription et la réinscription en masse des électeurs ont été trop courts, en particulier dans le sud du Tchad, densément peuplé. De plus, l'organisation du processus au plus fort de la saison des pluies et pendant les travaux agricoles a réduit la participation.
L'ANGE a annoncé les résultats de la présidentielle trois jours seulement après la fin du scrutin
Le jour de l'élection, on a noté différents problèmes dont des retards dans la distribution du matériel et le non-respect du Code électoral concernant les heures d'ouverture et de fermeture des bureaux de vote. Le manque de formation de certains responsables des bureaux de vote a également perturbé le processus.
La réticence de l'ANGE à accréditer les partis d'opposition, les observateurs indépendants et la presse avant les élections présidentielles est tout aussi préoccupante. Finalement, la plupart des observateurs indépendants n'ont pas reçu d'accréditation et le scrutin s'est déroulé sans observateurs crédibles. La Communauté économique des États de l'Afrique centrale a envoyé des observateurs, mais l'Union africaine, qui a maintenu sa position selon laquelle les autorités de transition ne pouvaient pas participer à l'élection, n'a pas été invitée à en envoyer.
Le vote des militaires a également été marqué par des irrégularités. Aucun isoloir n'a été prévu et les soldats ont dû voter en présence de leurs supérieurs. De plus, des militaires ont été persuadés de voter pour certains candidats.
Alors que le calendrier électoral prévoyait 15 jours pour le dépouillement, le traitement et la publication des résultats, ceux-ci ont été annoncés à la hâte par l'ANGE, trois jours seulement après la fermeture des bureaux de vote. Il est difficile de comprendre comment les résultats de 26 000 bureaux de vote ont pu être rassemblés et comptabilisés aussi rapidement dans un pays qui souffre d'un manque flagrant de moyens de communication et de routes.
Un cadre de discussion avec l'opposition garantirait la confiance et la transparence
Enfin, des violences ont éclaté après la publication des résultats des élections présidentielles, avec le déploiement d'importantes forces de sécurité dans les quartiers importants des grandes villes. Dans la foulée, on a enregistré au moins 20 morts.
Au cours de la période précédant les élections législatives et locales de novembre, les partis politiques, la société civile et d'autres organisations locales et régionales ont critiqué le nouveau découpage administratif et le nombre de représentants élus par circonscription. Les raisons invoquées étaient l'inégalité des circonscriptions et la répartition des sièges, qui ne respectaient pas le poids démographique des provinces. Le Groupe de concertation des acteurs politiques a déclaré que le gouvernement se préparait à la fraude électorale en attribuant plus de circonscriptions et de sièges aux provinces qu'il était sûr de remporter.
Les élections permettent aux citoyens de choisir, de s'exprimer et de participer à la vie politique. Pour le Tchad, les prochaines élections sont vitales pour le retour à un ordre constitutionnel pacifique. Cependant, la mauvaise gestion de la transition dans son ensemble et les deux dernières élections soulèvent l’éternel débat à propos des élections qui manquent de crédibilité, à savoir si elles sont favorables ou nuisent aux transitions fragiles comme celle du Tchad. Néanmoins, un minimum de professionnalisme et de consensus est nécessaire autour des élections.
À trois mois de l'échéance, le gouvernement doit créer un cadre de discussion avec l'opposition pour garantir des conditions de confiance et de transparence. Ce cadre pourrait notamment permettre de régler les litiges relatifs aux circonscriptions administratives et électorales et à l'observation indépendante des élections.
L'ANGE devrait former ses organes déconcentrés et les membres des bureaux de vote au code électoral. Elle devrait également mieux planifier la logistique de la distribution du matériel dans les circonscriptions électorales afin d'éviter les retards le jour du scrutin.
Enfin, le respect du code électoral lors du dépouillement et de la publication des résultats est essentiel pour éviter toute suspicion.
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